Éducation non genrée : la clé de l'égalité hommes-femmes ?

undefined 5 février 2020 undefined 14h24

Zoé Stene

"L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse donner pour changer le monde", clamait Nelson Mandela. Et si celle-ci pouvait être à la base d’une société plus égalitaire, dans laquelle les hommes et les femmes se sentiraient libres de sortir des cases, d’être qui ils veulent et de faire ce qu’ils souhaitent ? C’est ce que tente de proposer l’éducation non genrée, une nouvelle façon d’élever nos enfants, qu’ils soient fille ou garçon.


Une étude[1]publiée le 9 janvier dernier par la revue scientifique Sex Roles a démontré que, dès l’âge de 4 ans, les enfants ont tendance à associer le pouvoir et la domination à la masculinité. Un constat alarmant lorsqu’on connaît l’impact de ces stéréotypes sur leur construction identitaire. 

En effet, l’enfance est le début de la mise en place de systèmes de références ancrées sur lesquels on se repose toute sa vie. Les stéréotypes de genre auxquels l’enfant est confronté dès son plus jeune âge ont pour conséquence de réduire son champ des possibles et de perpétuer les inégalités hommes-femmes, aussi bien sur les plans personnels que professionnels. « C’est dommage de cantonner les petites filles à un rôle demandant sagesse, calme et politesse et les petits garçons à la motricité, l’ambition et la force. », nous expliquent Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet, auteures du livre Fille – Garçon, même éducation.[2]

 

  Étude menée par des scientifiques de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod et des universités d’Oslo (Norvège), de Lausanne et de Neuchâtel (Suisse) sur plus de 900 enfants âgés de 3 à 6 ans. La majorité d'entre eux ont désigné le personnage dominant comme étant un personnage masculin.

Qu’est-ce qu’une éducation non genrée ?

Que ce soit clair, l’éducation égalitaire, dite "sensible au genre" ou "non genrée", n’a pas pour ambition de créer des clones en éradiquant les différences entre les filles et les garçons, l’idée est simplement de prendre conscience que les rôles attribués distinctement aux filles et aux garçons sont des constructions sociales, de traquer ces stéréotypes nocifs et d’apprendre à son enfant qu’il peut tout explorer et tout expérimenter en fonction de son âge et non de son sexe. En Suède – pionnière de la pédagogie neutre –, l’éducation non genrée s’invite à l’école dès la maternelle, et parfois même à la crèche. Résultat : le pays est régulièrement classé parmi les plus égalitaires du monde. [3]


Le cerveau a-t-il un sexe ?

Certaines études se sont évertuées à prouver que les enfants naissaient avec des cerveaux différents selon qu’ils soient une fille ou un garçon et que ces différences biologiques justifiaient les rôles assignés à chacun dans la collectivité. Or, comme nous l’explique Astrid Leray, spécialiste des questions d’égalité femmes-hommes et conférencière, « Seuls 10 % des connexions neuronales sont faites à la naissance, les 90 % restantes se créent par la suite en fonction de notre histoire personnelle, de nos expériences et de nos apprentissages. ». Le cerveau est donc un muscle à l’intérieur duquel on va travailler certaines zones et en délaisser d’autres.

Et l’impact des hormones alors ? « S’il est vrai que les femmes possèdent plus d’œstrogènes et les hommes, de testostérone, leur production ne s’active qu’à la puberté, or, dès l’âge de 2-3 ans, on observe que l’enfant se comporte différemment selon qu’il est une fille ou un garçon, ça montre que socialement, il y a déjà une construction. », ajoute l’experte. À la question de savoir s’il n’y a quand même pas certaines caractéristiques liées au genre de manière innée, Pihla et Elisa nous répondent qu’ « Il y a surtout certaines caractéristiques que l’on pense innées tellement elles sont ancrées. ».

© Istock


Les conséquences d’une éducation genrée à court et à long terme

Dans nos mécanismes éducatifs, nous aurions donc tendance, selon Astrid Leray, à mettre les filles sur un chemin et les garçons sur un autre. « En effet, on tourne les petites filles vers le privé et la coopération, les garçons vers l’extérieur et la compétition. On est d’ailleurs généralement plus patient avec l’agressivité des garçons, on lie leur colère à une force de caractère. On considère, a contrario, que les filles font des caprices, du cinéma voire qu’elles manipulent, comme si leurs colères n’étaient pas légitimes. Statistiquement on peut clairement en voir les conséquences sur les ambitions scolaires, la vie personnelle et la vie professionnelle. » Pas étonnant que la plupart des femmes n’envisagent pas certains métiers, gagnent moins ou soient à des postes moins élevés que les hommes parce qu’elles n’osent souvent pas s’imposer. 

De l’autre côté, « Dès le plus jeune âge, il est par exemple plus accepté pour les filles d’avoir des attributs masculins alors que lorsque les garçons ont des attributs dits "féminin", on a l’impression qu’ils ont perdu quelque chose, que c’est dévalorisant. Il n’est pas rare qu’un petit garçon qui pleure de tristesse se fasse traiter de chochotte, il ne faut pas s’étonner que plus tard, les hommes aient plus de difficulté à exprimer leurs émotions. », ajoutent les deux auteures. Pire, Selon une étude publiée dans le Journal of Adolescent Health[4], ces stéréotypes affecteraient même la santé des adolescents[5].  

 Deux petites filles calmes en train de dessiner et de jouer à la poupée © Istock


Quelques clés pour une éducation sensible au genre

Dans leur livre, Pihla et Elisa nous livrent quelques conseils ; le langage est important, on évitera les phrases types comme « fais pas ta princesse » ou « fais pas ta chochotte ». On peut aussi veiller à démasculiniser notre vocabulaire, notamment lorsqu’on parle des animaux (ne pas systématiquement parler de loup, de chien, de chat, mais de louve, de chienne, de chatte...). L’autre enjeu est d’éviter de genrer les vêtements, les activités et les jouets proposés. « On se rend alors compte que tous les enfants aiment ce qui brille, les voitures, les peluches, les poupées, jouer à la dînette ou passer le balai, parce qu’ils aiment reproduire ce que l’on fait. », nous expliquent-elles.

« L’idée n’est pas de forcer un garçon à jouer à la poupée pour développer son empathie, mais d’ouvrir les possibilités. », ajoutent-elles. On privilégiera les livres et les dessins animés mettant en valeur une large diversité de héros[6] sans toutefois censurer les autres à travers lesquels il est intéressant d’entamer une discussion avec l’enfant sur ce qu’il voit et ce qu’il comprend. On peut, enfin, s’interroger sur le modèle qu’on incarne au quotidien en tant que papa ou maman – au niveau des tâches ménagères par exemple – et donc, sur l’image que l’on renvoie à l’enfant du rôle de la femme ou de celui de l’homme.

Mais l’important, concluent Pihla et Elisa, « c’est d’être à l’écoute de l’enfant et de le guider vers une autonomie qui lui permettra de créer sa propre identité et de trouver qui elle/il est ».

Guide indispensable de la parentalité féministe de 0 à 3 ans écrit par Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet 

[1] Etude menée par des scientifiques de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod et des universités d’Oslo (Norvège), de Lausanne et de Neuchâtel (Suisse) sur plus de 900 enfants âgés de 3 à 6 ans. Publiée par la revue scientifique Sex Roles.
[2] Fille – Garçon, même éducation, de Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet
[3] Selon le rapport Global Gender Gap 2016 du Forum économique mondial
[4] A Global Perspective on Gender Roles and Identity, oct. 2017
[5] Kristin Mmari, à l'origine de cette étude intitulée Global Early Adolescent Study et réalisée en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'université américaine Johns Hopkins.
[6] Trucs de fille ou de garçon ? de Clémentine du Pontavice