Coronavirus : nos cantines chinoises préférées désertées à Paris

undefined 26 février 2020 undefined 16h52

Carla Thorel

Les commerces chinois, vietnamiens, ou coréens de Belleville et du 13e ont vu leurs chiffres d’affaire baisser de 30 à 50 %. Une désertion qui s’est déclarée quelques jours à peine après que le Coronavirus ait été découvert en Chine puis médiatisé en France... Ce délaissement de nos quartiers serait-il symbolique d’une société pas si soudée ? Zoom sur l’épidémie de la terreur, et ses petits malheurs.

Belleville, 19h30. Les terrasses se remplissent, les sièges se prennent d’assaut, les bières se commandent à la pelle, et les serveurs empilent les plateaux. Un petit creux se fait sentir mais, « Boarf, pas trop confiance pour manger chinois en ce moment. » Cette phrase ne vous choque pas car vous l’avez sûrement déjà entendue au moins une fois depuis 1 mois. Les vaillants qui s’aventurent en zone à risque assistent à un bien triste spectacle : nos cantines chinoises préférées sont TOUTES presque vidées.

La psychose s’impose

Pour Philippe, qui s’enfile un BO BUN au Rouleau de Printemps rue de Tourtille, « C’est une réaction normale. La peur empêche les gens de réfléchir, alors je ne suis pas étonné que les trouillards boycottent Belleville ou Chinatown. (…) Ce qui me dérange c’est qu’ils aient peur de « l’autre » plutôt que peur de quelque chose. On peut flipper du Coronavirus mais pas des Chinois, c’est absurde, ça fait froid dans le dos. » Même constat du côté du Pacifique rue de Belleville pour les trois copains Michel, Bun et Christophe  ; « la peur n’arrêtera pas le danger, alors on ne va quand même pas s’arrêter de vivre non ? » s’exclame Bun, chinois-vietnamien. « Je vis à Belleville depuis des années et ça me crève le coeur de voir mon quartier si triste. En période de Nouvel An Chinois, c’est vraiment dommage » surenchérit-il. Son ami Michel, d’origine chinoise, ajoute que « par précaution, beaucoup de commerces s’auto-mettent en quarantaine en suivant les directives du gouvernement chinois. Mais toutes ces devantures fermées, ça n’arrange pas vraiment l’ambiance.» Des restaurants fermés, d’autres à moitiés vidés, pour Lola qui fait ses courses quotidiennes au grand Chen Market « ça fait bizarre ». Pour Camille sur le point d’acheter son paquet de nouilles et ses sauces diverses « ça change, au moins on n’a pas à faire la queue » plaisante-t-elle. Elle ajoute aussitôt, « j’avoue néanmoins que ça doit être dur pour les commerçants… Etre mis à l’annexe de la sorte, du jour au lendemain, ça ne doit pas aider les finances. »


Les salles vides ne se font pas rares ces derniers temps © Nais Bessaih


Les supermarchés subissent le même sort. © Nais Bessaih

« On n’a pas d’autre choix que d’attendre »

« Que faire d’autre à part attendre ? On reste là pour les clients qui viennent encore et puis voilà » déplore Yan bras ballants, chez Tin Tin rue Louis Bonnet. Chez Guo min, second restaurant a avoir ouvert ses portes à Belleville dans les années 80, le service se fait désormais à moitié effectif. « Et puis on attend que ça aille mieux. » confie Monsieur Whu, dépité, « on est tous dans le même cas. On subit. » ajoute-t-il. Las de cette situation, rares sont les restaurateurs qui ont accepté de nous parler. Le Coronavirus s’impose en leurs murs comme « celui dont on ne doit pas prononcer le nom ». Un seul mot se sera donc démarqué lors de nos entrevues : l’attente.

#JeNeSuisPasUnVirus

« Mes confrères ne restent pas silencieux par choix. C’est plutôt qu’ils n’ont pas les outils ou l’habitude de s’exprimer sur Internet. Les restaurants Zhao ont une certaine communauté, alors nous étions légitimes à en profiter. » Baoyan Zhao est le fondateur des cantines La Taverne de Zhao et Mr Zhao respectivement situées dans les 10e et 2e arrondissements. Il y a quelques semaines, leurs réseaux sociaux ont été envahis d’une vague de commentaires racistes. « En même temps, ils mangent du chien, du chat et de la chauve souris, il ne faut pas s’étonner de ce qui leur arrive. Je doute qu’ils aient beaucoup de clients haha » peut-on lire sur la page Facebook de la Taverne de Zhao entre deux compliments sur la nourriture. « Nous n’acceptons pas d’être pris pour cibles » s’insurge Baoyan. « J’ai grandi en France, et je ne fais que diffuser un message positif en faisant découvrir ma cuisine, et ma culture à mes clients dans mes restaurants. Ce n’est pas parce que nous sommes Chinois qu’il faut nous considérer comme des virus (…) Toute cette panique surréaliste, on la doit à la désinformation et aux préjugés intégrés dans la société.» nous confie-t-il.


Baoyan Zhao a toujours vécu en France, et refuse de subir la stigmatisation © Carla Thorel

« Le seul bénéfice du Coronavirus aura été de prouver que le racisme anti-asiatique existe réellement »

« J’ai longtemps pris sur moi en voyant tout ce que mes parents avaient sacrifié pour mon intégration. » D’origine Sino-Vietnamienne et Laotienne Thérèse Sayarath est un coup musicienne, l’autre modèle, ou encore militante. Engagée et influente sur Instagram, Thérèse y reçoit depuis quelques semaines un tas de messages alarmants : « des gamines de CM2 se font harceler/ frapper à l’école par simple tort de ressembler de près ou de loin à des chinoises. Ça me révolte, me scandalise, mais ça ne me surprend pas ». « Ce qui se passe est grave, et dépasse de loin le simple « ni hao » qu’on a pu se prendre par des imbéciles dans la rue. Aussi, je suis choquée de voir qu’un média (Le Courrier Picard) se permette de titrer en Une de journal « Alerte Jaune », et attristée de voir Chinatown déserté »

Thérèse n’a qu’une crainte, « que l’individualisme atteigne son paroxysme. » Notre énergie ? Nous devrions selon elle l’utiliser pour développer la solidarité, nous aimer plus et nous détester moins.«  Je veux encore croire au vivre ensemble (…) #JaimeMonChinatown et je continuerai pour ça, à soutenir tous les restaurateurs sans qui l’âme de nos quartiers ne pourrait exister. S’ils avaient d’une autre couleur de peau ? Ma démarche aurait été la même.»

@Tcommetherese
@Mrzhao
#JeNeSuisPasUnVirus
#JaimeMonChinatown
SOS Racisme a lancé une campagne contre le racisme anti-asiatique le 25 février 2020. L’organisation déplore une « multiplication des stigmatisations et une recrudescence d’insultes. »