Un Été 44, un spectacle étourdissant

undefined 9 décembre 2016 undefined 00h00

La Rédac'

La presse est unanime, il faut aller voir « Un Été 44 », le nouveau spectacle qui se joue au Comédia depuis deux mois. Même Charlie Hebdo en parle, c’est pour dire. Nous avons nous aussi débarqué dans la salle pour comprendre un peu mieux ce qu’une énième co-médie musicale sur l’éternel thème de la Seconde Guerre Mondiale pouvait encore avoir d’intéressant. Nous n’avons pas été déçus.

En 1980, Claude-Michel Schönberg, Alain Boublil et Jean-Marc Natel adaptent le roman de Victor Hugo et donnent naissance au spectacle « Les Misérables ». Son adaptation anglophone détient aujourd’hui encore le record de durée d’exploitation continue. Mis à part cette oeuvre colossale, la France ne peut se vanter d’avoir de grandes comédies musicales. Bien sûr il y a « Starmania », bien sûr il y a « Notre-Dame de Paris », mais ce sont là des spectacles où s’enchainent tour à tour des chansons et des chorégraphies. Pour trouver de véritables comédies musicales, il ne reste que le cinéma où en effet, Michel Legrand nous a laissé un bel héritage. En 2016, ce sont Valéry Zeitoun, Sylvain Lebel et Erick Benzi qui décident de créer, à l’américaine, une continuité drama-tique où les personnages pousseraient la chansonnette dans l’univers du débarquement allié de 1944 en Normandie.

À l’image des grandes oeuvres du genre comme « Hair » ou « Un Violon sur le Toit », les personnages évoluent à travers différents décors et différentes intrigues et, de manière naturelle, se mettent à chanter. Bien sur, nous sommes encore loin d’une mise en scène aussi riche qu’un « Mamma Mia », et les dialogues ressemblent parfois d’avantage à des prétextes qu’à des enchainements logiques, comme lorsque Petit René, un jeune normand à l’âme de résistant nous apprend l’avancée des soldats et s’interroge sur le champ de bataille que représentent les bocages. S’ensuit une chanson digne des pires heures du Rock français (« F… Bocage »), interprétée par Tomi-slav Matosin, le G.I à la voix rauque.

Mais c’est loin d’être la norme dans ce spectacle. Au contraire, malgré peu de moyens et en grande partie grâce à l’ingéniosité du metteur en scène Anthony Souchet, « Un Été 44 » arrive sans problèmes au bout de ses ambitions artistiques. Une ambition pal-pable, qui manque cruellement et bien souvent à l’ensemble des spectacles musicaux que l’on nous sert depuis quelques années (pour ne pas dire, quelques décennies). C’est en partie grâce aux auteurs-compositeurs qui ont répondu à l’appel. Parmi eux, des hauts noms de la variétés française comme Le Forestier, Goldman, Aznavour, Chamfort, et d’autres il-lustres dont les noms sont malheureusement parfois moins connus du public que les chansons qu’on leur doit, à l’instar de Claude Lemesle (« L’été indien », « Je n’ai pas changé »…) ou Joëlle Kopf (« Femme libérée »). Là encore, il faut avouer que certaines chansons manquent parfois de richesses dans la rime, nous pourrions citer alors « Les lunettes cassés » : « Je suis ce que vous appelez un boche / Ce qu’on a fait à la France, c’est moche (…) L’angélus sonne dans ma tête / Et en plus, j’ai cassé mes lunettes ) », interprété par Philippe Krier, un allemand au coeur tendre, tra-ducteur pour la wehrmacht, bien plus convainquant lorsqu’il chante « Commando de la lune », une chanson lyrique où se mêlent les sentiments contradictoires d’un soldat du 3ème Reich, complice malgré lui dans cette invasion et ceux d’un être humain profondément sensible et bienveillant.

Mais les personnages principaux de ce roman historique, ce sont les femmes. Yvonne, Rose-Marie et Solange, au coeur d’une intrigue qui les dépasse. On les découvre d’abord dans une cave qui ne laisse que peu de place à l’espérance. Leur seul lien avec le monde extérieur c’est Petit René, qui leur apporte des nouvelles du monde : L’arrivée des G.I en Normandie, les combats navaux des Commandos Kieffer, et même des nouvelles de Hans, le gentil traducteur boche dont Rose-Marie est tombée amoureuse et qu’elle voit en secret. On s’attache rapidement à ce personnage interprété par Sarah-Lane Roberts, légère et charismatique sur scène. Cette idylle interdite nous offre une autre chanson émouvante, « Le monde n’est jamais assez grand », qui rap-pelle sans tomber dans le cliché l’omniprésence de l’amour qui passe à travers les toiles du destin, qui se niche parfois là où on ne l’imagine pas et que rien ne saurait taire, « pas même le bruit des guerres ». Cette cave, c’est aussi l’occasion de se laisser conter l’histoire des Rochambelles, ces infirmières qui s’engagèrent aux cotés du Général Leclerc, ou celle des Québécois eux aussi tombés pour une autre patrie.

La deuxième partie du spectacle se déroule sur les routes de France et si elle commence de ma-nière sombre dans un pays détruit, elle se termine dans l’euphorie la plus totale. En effet, Alice Rau-coules, l’ancienne candidate de la Star Academy 8 chante ses peurs et ses angoisses dans une église en ruine : « On a pris la route », des paroles où les sentiments sont évoqués avec simplicité mais précision ( « Dieu que j’ai serré les dents quand j’ai croisé ces visages / Des regards transpa-rents de capitaines à naufrages / Et demain sur ma valise il fait si chaud et j’ai si froid / Même les arbres hérissent les chaines noires des forçats » ) et une musique orchestrale où l’on valse entre la gravité des cors et la légèrement d’une flute. On apprécie alors d’autant plus les « musiques caba-rets » qui suivront, où nos héroïnes peuvent enfin souffler et se laisser aller aux charmes d’une Amérique qui va envahir la culture française à coup de « perfectos », de « chewing gum » et de « Jeeps ». Mais le point d’orgue de cet « Été 44 », c’est un solo écrit par Claude Lemesle et composé par Aznavour : « Seulement connu de Dieu ».

C’est Barbara Pravi qui nous présente ce bijou sur scène. Son personnage, Solange, est une féministe avant l’heure au caractère trempé qui nous révèle finalement une fragilité émotionnelle à travers les chansons qu’elle interprète seule. Lorsqu’elle commence a capella cette prière du coeur envoyée aux soldats inconnus, le temps s’arrête, tout est suspendu au son de cette voix unique, véritable révélation du spectacle dont c’est pour elle le tout premier rôle. Son premier album, en collaboration avec Jules Jaconelli, sortira l’année pro-chaine : un disque que nous attendrons impatiemment. Nous sommes ressortit du théâtre avec cette sensation formidable que provoque aisément les show de Broadway : On a rit, on a pleuré, On s’est laissé aller, le temps d’un spectacle, au monde fantaisiste de la tragi-comédie chantée pour retourner à nos quotidiens avec ces mots et ces mélodies dans la tête et sur les lèvres. Nous suivrons cette aventure de près, nous espérons même qu’une adaptation anglophone donne un second souffle à cette oeuvre, comme Cameron Mackintosh l’avait fait pour « Les Misérables ». Mais surtout, nous n’oublierons pas cet « Été 44 ».