[Témoignages ] Tout plaquer sans succès : comment réussir sa reconversion ?

undefined 17 novembre 2021 undefined 10h20

Manon Merrien-Joly

Selon une étude menée en 2017 par le Cabinet Deloitte, 53% des salariés estiment que le sens au travail s’est dégradé. Plus de la moitié des salariés en France auraient donc du mal à donner du sens à leur métier. Et vous, pourquoi vous levez-vous le matin ? La crise du Covid-19 a donné du temps aux plus privilégiés - et aux métiers dits “non-essentiels” de se questionner sur leur impact sociétal. Si le secteur culturel a encore du mal à avaler la pilule, d’autres n’ont pas attendu la pandémie mondiale pour changer de métier. Pourtant, tout ne s’est pas passé comme prévu.

“J’ai une longue histoire de reconversions.” annonce d’emblée Clara*. Cette consultante de 35 ans a d’abord étudié le journalisme au Chili, son pays d’origine, avant de se former à l’accompagnement de la transition numérique des entreprises. Dès son entrée sur le marché du travail, après un remplacement de congé maternité la jeune femme a dû se former à nouveau pour trouver un emploi satisfaisant. “Au début en entreprise ça se passait bien mais j’ai eu une mauvaise expérience, j’avais droit à des remarques de mon employeur du type « je remarque que tu ne fais pas la bise au client »”. Elle poursuit ses recherches, et est contactée par un chasseur de têtes. Elle intègre une entreprise de services de gestion de l’environnement de travail numérique. “Je n’ai rien à dire mais je m’emmerde, ce que je fais n’a aucun sens, mon quotidien ne me plait pas du tout.” nous explique-t-elle au téléphone. Cette perte de sens et de motivation réside dans un besoin humain fondamental de créer et d’être utile au niveau collectif, selon l’anthropologue Audrey Chapot, qui a accompagné pendant dix ans des salariés en reconversion professionnelle : “il y a une prépondérance d’activités de services dans notre société qui n’est plus du tout en phase avec l’époque actuelle. Historiquement, l’humain a toujours eu des activités variées qui lui permettent de créer intellectuellement ou matériellement quelque chose, pour se définir lui et se contribuer à un groupe, famille ou société. Aujourd’hui l’activité ne nous définit plus forcément, comme le fait de remplir des cartons de commande ou des tableaux Excel.”

On est en manque de contact, de vivant, de matière”

Selon une enquête Odoxa, 64% des français voulaient changer de métier en 2017. Les chiffres concernant les reconversions professionnelles sont rares, car dans nos sociétés, les métiers à haut niveau d’études sont encore majoritairement privilégiés et valorisés. “Je pense qu’on est encore sur une valorisation de l’ascension sociale de génération en génération, où l’on se demande « est-ce que l’ascenseur social fonctionne ? »” décrypte Anne de Rugy, sociologue et auteure d’une thèse sur les « déclassements choisis », les bifurcations professionnelles avec baisse de revenu.

Historiquement, il est plus valorisé de grimper les échelons hiérarchiques d’une entreprise que d’exercer un métier manuel. Pourtant, les mentalités changent et le retour à l'artisanat fait de l'œil à beaucoup de salariés qui se lassent des journées passées devant un écran. “Pour ceux qui exercent un métier de service ou l’on passe la journée derrière un écran, on est en manque de contact, de vivant, de matière, poursuit Audrey Chapot. La main, le geste est extrêmement important, c’est par là par nos sens qu’on apprend. Passer 8h par jour derrière l’écran de travail puis sur les réseaux sociaux fait qu’on est complètement déshumanisés, c’est comme si on n’existait plus dans notre corps.” Mais choisir le “déclassement” implique un privilège matériel existant, qui passe notamment par celui du logement, constate Anne de Rugy. “La majorité des gens que j’ai interviewés au cours de ma thèse avaient une solution de logement : soit ils sont propriétaires du logement après avoir fini de le payer, soit ils vont mobiliser une maison de famille, soit partent de la région Parisienne pour s’installer dans des petites villes de province où les loyers sont moins chers.”

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Car la reconversion est stressante, met le confort matériel en péril lorsqu’elle est trop brusque. “Toute ma vie, jusqu’à présent j’ai pris mes décisions professionnelles sous la contrainte, reconnaît Clara. Parce qu’étre étrangère c’est une barrière, une femme avec un utérus fonctionnel c’est une barrière aussi. Je suis en train de faire une formation entrepreunariale pour quitter mon poste actuel. Je fais aussi un travail d’introspection, pour cerner le quotidien que je voudrais avoir, je voudrais développer un produit plutôt qu’un service pour ne pas me retrouver prisonnière des horaires imposés par un client, et pouvoir faire des choses qui m’intéressent vraiment.”

Faire le bilan, calmement

Quelles sont alors les clés d’une reconversion réussie ? Les personnes interrogées par Anne de Rugy avaient en commun le fait d’avoir mûrement préparé leur projet et appréhendé la baisse de revenus qui accompagne la transition - du moins temporairement. Elles sont aussi passées par des dispositifs qui permettent un changement progressif pour les salariés, en utilisant des outils de formation en interne ou sur leur temps libre ou bien en passant par la signature d’une rupture conventionnelle ouvrant les droits au chômage - et donc à cette denrée précieuse qu’est le temps. “Certains n’ont pas été jusqu’au bout car se sont rendus compte que c’était dur de vivre avec moins que prévu” prévient cependant la sociologue. Le Compte Personnel de Formation, accessible à chaque salarié permet d’épargner chaque mois un montant en euros ouvrant le droit à des formations allant du permis de conduire au bilan de compétences en passant par des formations plus techniques.

En amont, Audrey Chapot conseille cependant de faire le point sur ses envies, mais aussi sur ce qui a plu et déplu au cours des précédentes expériences professionnelles : “certains ont besoin de changer du jour au lendemain, d’autres ont besoin de tester au fur et à mesure et de tester par petits pas, sur le temps libre, puis sur un temps partiel, puis au fur et à mesure. La transition se fait parfois sur quelques mois, quelques années, de manière fondue, presque invisible. Il y a plein de manières de s’y prendre qui font que ça va réussir pour l’un et pas pour l’autre, la connaissance de soi est indispensable. Il faut se demander u’est-ce qui me convient, me met en sécurité, en difficulté ? Il n’y a pas de schéma type. C’est bien d’interroger des personnes, il faut, mais rien ne remplacera l’expérience d’y aller à tâtons, d’essayer, de voir ce qui convient ou non.”

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En France, certaines organisations comme “Avarap” permettent de se faire accompagner au cours de sa transition. Avarap est l’association doyenne des organismes de reconversion et accompagne depuis 1984 les cadres qui souhaitent se reconvertir. “Test un métier” permet, comme son nom l’indique permet aux salariés de tester un métier au sein ou en dehors de son entreprise, car comme l’observe Audrey Chapot : “parfois ce n’est pas le métier qui ne convient pas mais l’environnement de travail qui ne convient pas, mais le type de culture ou de rapports individuels”. 

Pour aller plus loin : Eloge des métiers hybrides, d’Audrey Chapot, The Book Edition, 17€

* Le prénom a été modifié