Il est loin le temps où Pigalle était le repère d’hommes friands d’un petit plaisir charnel. Même si les sex-shops clignotent encore, les bars à hôtesses d'antan ont fermé leurs portes et les filles sont parties... Pourtant les rues du "Quartier Rouge" sont encore imprégnées de vice et l'ambiance sulfureuse, elle, est toujours bien présente. Mais pourquoi les bars à putes ont-ils disparu et qu'en reste-t-il ?
Sous ses airs de quartier sulfureux, Pigalle s'est largement assagi au fil du temps. Il fut un temps où le quartier était the place to be pour les amateurs de petites poules ; à partir des 20's et jusque dans les années 2000, c’était tout autre chose. À côté des bars à hôtesses instaurés par la mafia corse et marseillaise, les sex-shops actuels, plus jeunes, ne feraient pas les malins. Ils ont débarqué dans le quartier à partir des 70's soit 50 ans après les bars à putes. Pour Anton Muller, gérant du bar La Petite Taverne, ancien bar libidineux, la transformation du quartier de spot glauque et sexuel à spot à cocktails et sex-shop s'explique par l’évolution de la clientèle tout simplement : « les habitants et habitués du quartier ont changé. Aujourd’hui la population pigallienne est plus saine, a plus de moyen ». La disparition progressive mais fatale selon lui des illustres bars à hôtesses est donc due aux changements de mœurs dans le quartier. Maintenant : « on préfère boire des coups plutôt qu’aller voir des prostituées ou entraîneuses comme on les appelait à l’époque ».
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Pigalle, 1960 © Jean Jehan[/caption]
De son côté, Michel Güet, guide retraité de 62 ans natif du 9e, se souvient de cette rue Frochot : « gamin (dans les 60's) on évitait cette rue à cause de la mafia et des filles. » "Le Milieu", d'ailleurs, principalement d'origine corse et marseillais, est à l'origine de l'âge d'or des bars à hôtesses dès les 20's. Après la guerre, les artistes romantiques et bohèmes laissent leur place aux truands et aux "rabatteuses" qu'ils cantonnent dans les bars de la rue Frochot, entre autres. Les prostituées, la drogue et le Milieu sont à cette époque au cœur de la vie du quartier. Michel se souvient de ses années collège : « on cotoyait des gamins qui baignaient dedans. La mère d'un de mes camarades était une pute, ils habitaient dans un hôtel rue des Martyrs. Il y en avait plusieurs dans ce cas-là. C'était normal et à la fois pas tant que ça puisqu'on savait qu'elle faisait un métier pas comme les autres. »

Si en 1947, on dénombrait 51 établissements tendancieux selon une ancienne gérante entre Pigalle et Blanche, puis 84 en 2005 selon la police, il n'en reste aujourd'hui que deux... Après un commerce prospère qui a duré plusieurs décennies, la chute des bars à hôtesses s'accélèrent rapidement. Le Milieu quitte la capitale en même temps que les bobos l'investissent... Michel, le guide, tient quand même à préciser que malgré leur disparition certaine, ces bars restent une partie à part entière de l'esprit pigallien et ont hérité d'un passé tout aussi vicieux. « Jusque dans les années 1910, il y avait un marché aux modèles féminins sur la place. Les artistes s'y pressaient pour "louer" des filles, les peindre et accessoirement en faire plus... »
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Pigalle, 1950's[/caption]
Découvrez l'évolution des bars à hôtesses en page 2
Disparus mais pas oubliés, les codes des bars d’antan sont encore bien ancrés à Pigalle, malgré les nouvelles gérances : les bars sont toujours étroits, petits, familiaux et ont conservé les lumières rouges et/ou tamisées qui ont fait leur renommée. C’est une manière pour ceux qui reprennent les bars « de conserver l’âme de Pigalle, comme des gardiens d’une chose qui n’est pas morte mais qui s’est adaptée » explique Anton, gérant de la Petite Taverne. Il regrette presque leur disparition. Pour lui c’est certain, les nouveaux bars à cocktails de la rue Frochot et les adresses charnelles cohabiteraient à merveille. Pour preuve, une crèche s’est installée depuis peu à quelques numéros de La Petite Taverne. La diversité, c’est tout ce qui fait le charme de Pigalle.
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Pigalle, 1959 © Peter Cornelius[/caption]
Alors la faute à qui ? Pourquoi les bars à putes de Pigalle disparaissent ? « Il ne faut pas chercher loin, le premier fautif c’est internet » pour Anton. Après avoir fouillé les archives et discuté avec ceux qui font vivre le quartier rouge, on peut dire que l’augmentation des prix du loyer (qui a dit gentrification ?), l’évolution des mœurs, des habitants du quartier et même le temps tout simplement ont eu raison de la disparition des bars à hôtesses. Les tenanciers vieillissent et ne passent pas le flambeau, personne ne veut reprendre ces bars tels quels ou alors ils les transforment en bars à cocktails ou autres magasins bio. Comme le dit Michel Güet, le retraité : « Il n'y a plus que les touristes pour croire encore au quartier Rouge... » Eux et tous les autres qui passent régulièrement sous les néons électriques et sentent encore l'âme sulfureuse de Pigalle la nuit. Quoi qu'il en soit, « Pigalle restera éternellement anti-conformiste et continuera d’évoluer encore et toujours » dixit Anton. Alors, rendez-vous dans 20 ans ?
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@ngphotographe, Pigalle, 2015[/caption]
Photos de couverture : Pigalle, 1979 © Gilles Elie Cohen