On a rencontré les Cuistots migrateurs, les chefs réfugiés qui cuisinent à Paris

undefined 18 janvier 2017 undefined 00h00

Olivia

Employer des réfugiés pour faire voyager nos papilles, c’est le projet unique de Louis et Sébastien, 29 ans, avec les Cuistots migrateurs. Créée il y a moins d’un an, la start-up propose des plats typiques de chefs réfugiés via un service de traiteur, avec pour objectif d’apporter de la diversité et de l’authenticité aux cuisines du monde à Paris. On est allé faire un tour dans la cuisine des Cuistots, où l'on a rencontré des cuisiniers originaux et qui nous ont fait découvrir leurs meilleures recettes.


C’est au sous-sol d’un restaurant syrien à Aubervilliers que la petite équipe des Cuistots migrateurs officient chaque jour. Dans une cuisine qu’ils partagent, trois chefs travaillent au quotidien - Hasnaa de Syrie, Fariza de Tchétchénie et Rashid d’Iran -, et y préparent leurs recettes typiques, « celles avec lesquelles ils ont grandi », explique Louis Jacquot, un des deux fondateurs de l’entreprise. 

Louis-réfugié-cuistotLouis Jacquot, un des fondateurs, et Rashid, chef iranien ©Les Cuistots migrateurs


Valoriser les gens et leur cuisine

Passionné de cuisine, l’ambition du jeune entrepreneur était de faire découvrir des saveurs que « les gens ne connaissent pas, comme la cuisine tchétchène, la cuisine syrienne, et le faire d’une manière authentique », poursuit-il.

Il a créé ce projet avec Sébastien Prunier, un ancien camarade de promo de l’école de commerce Neoma à Rouen. Dans ce contexte de crise migratoire, les deux acolytes ont voulu, avec les Cuistots, prendre le contre-pied du discours ambiant en changeant le regard des gens sur les migrants à travers leur cuisine, explique Louis.

« Je prends souvent l’exemple de Fariza, notre cuisinière tchétchène, qui est en France depuis quatre ans », confie-t-il. « Quand on l’a vue en juin, elle m’a dit presqu'en pleurant que c’était la première fois que l’on s’intéressait à sa cuisine. C’est vraiment ça le cœur du projet des Cuistots migrateurs, c’est de valoriser les gens ».

fariza-réfugiéFariza , la chef tchétchène en cuisine © Louise Bonizec

Mais l’idée est aussi d’aider ces personnes à s’intégrer dans la société française, car en général elles sont, par la force des choses, renfermées dans leur communauté. Rashid, le chef iranien, raconte : « Je suis ici (en France, NDLR) depuis trois ans et demi, j’ai commencé dans un restaurant iranien, et tous les jours je parlais perse, au travail, chez moi, avec mes amis. Travailler chez les Cuistots, ça m’a permis de vraiment m’ouvrir à la société française ».

Tous les chefs qui travaillent ou ont travaillé pour la start-up n’ont pas forcément un passé de cuisiniers. Alors comment sont-ils choisis ? « Via plusieurs associations, j’ai rencontré une trentaine de cuisiniers potentiels, et j’ai sélectionné ceux qui avaient un éventail de recettes large, et qui savaient cuisiner vite et bien. Certains étaient parfois surpris que je leur demande leurs propres recettes et pas un steak haché-frites », raconte Louis. 

réfugié© Les Cuistots Migrateurs

Depuis février, les cuistots ont préparé environ 75 cocktails et buffets pour des entreprises, des fondations, ont participé à l'organisation du Refugee Food Festival en juin dernier à Paris où tous leurs chefs cuisinaient dans des restaurants partenaires, et ont aussi ouvert un stand de street food syrienne au Petit Bain l’été dernier.

Et la mayonnaise prend ! Car si les gens adhèrent au projet social avant tout, la cuisine en elle-même séduit beaucoup, explique Louis. Jusqu'au 3 février, l'équipe organise un crowdfunding, et fait appel aux dons des gens afin de pouvoir, notamment, ouvrir son propre local à Paris. L'idée, à terme, étant d'ouvrir un vrai restaurant. Pour l'instant, on t'emmène dans les coulisses de leur cuisine actuelle où les maîtres-mots sont efficacité, bonne humeur et entraide. 


Qui se cache derrière les cuistots ?
 

Hasnaa, 38 ans, syrienne

Expérience culinaire : En France depuis deux ans, Hasnaa est ceinture noire de karaté, mais n'a pas de réelle expérience dans la cuisine. « En Syrie, je travaillais comme surveillante dans un collège, et j’ai aidé bénévolement dans un restaurant ». 

réfugié-hasnaaHasnaa, la chef syrienne aux fourneaux © Louise Bonizec

Plat préféré : « Moi ? Tout ! », sinon le « Mlokhiye, un ragoût de viande à la corête potagère (une sorte d'épinard) et à l'ail frit. »

Recettes préparées devant nous : Le Kebbeh bil sanieh, un "gâteau" fait avec une croûte de boulgour, avec en dessous de la viande hachée mélangée à des épices et des oignons. 

Le Kebbeh bil sanieh © Louise bonizec

Le dessert typique : le Hawat El Jeben, un gâteau roulé à la semoule et au fromage, au sirop de fleur d’oranger et pistaches. « Sur le feu, on mélange la semoule avec de la mozzarella (le fromage qui ressemble le plus à celui utilisé dans la véritable recette, très difficile à trouver) et un peu de lait. Cela donne une pâte légère que l’on étale, et sur laquelle on badigeonne le Hashta (un mélange de yaourt, de citron et de fromage que l’on sucre un peu). Ensuite tu roules ça comme une buche, tu mets dessus du sirop de fleur d’oranger et de la pistache concassée. » 

La cuisine pour Hasnaa ? « J’aime beaucoup la cuisine, je me retrouve dedans, ça me ramène à mes racines. » 

Rashid, 30 ans, iranien 

Expérience culinaire : « J’ai travaillé pendant huit ans dans ma ville d’origine de Gorgan, dans le nord de l’Iran, en cuisine et depuis trois ans et demi ici. J’ai commencé dans un restaurant iranien, ensuite j’ai appris le français, pour parler avec des gens français. Avant tous les jours je parlais iranien : chez moi iranien, avec des amis iraniens... ça m’a permis de vraiment m’ouvrir à la société française. »

Plat préféré : Le Koobideh, des brochettes d’agneau concassées avec des oignons et qu’on sert avec des tomates grillées.

rashid-réfugiéRashid, chef iranien © Louise Bonizec 

La recette préparée devant nous : Le Kashk Badenjan, un caviar d’aubergines qui « ne ressemble à aucun autre, typiquement iranien, car on y ajoute du fromage, le kashk, (une espèce de pâte qui est entre le parmesan et le chèvre), des noix, des oignons frits et de la menthe. »

Le dessert typique : le Noon Khamai, un choux à la crème à l’eau de rose et aux pistaches.

La cuisine pour Rashid ? « Ça ne change pas trop par rapport à quand je cuisinais en Iran. Toutes les choses qu’ici il n’y a pas ici, on les commande. Sauf la viande, en France elle n’a pas le même goût, alors c’est pour ça que pour les brochettes, c’est un peu différent. »

Fariza, 32 ans, tchétchène 

Expérience culinaire : Les écoles de cuisine en Tchétchénie, ça n'existe pas. Fariza a appris la cuisine par sa mère et sa grand-mère, qui avant la guerre de Tchétchénie, avait un petit restaurant familial à Grozny (capitale de la Tchétchénie). 

Recette préférée : Le Manti, des raviolis vapeur à la viande avec une sauce aux poivrons, carotte et à l’aneth, et "les salades de betteraves". 

fariza-réfugiéFariza est en France depuis 2011 © Louise Bonizec

Recette préparée devant nous : Les Lulya, des boulettes de viande de bœuf, que l’on frit, que l’on sèche au four, puis qu’on coupe en deux et dans lesquelles on met une rondelle de concombre. On les mange avec une sauce yaourt au persil et à l’ail.

Le dessert typique : l'Hingalsh, une crêpe sucrée au potiron et au thym.

La cuisine pour Fariza ? Le bonheur de faire découvrir la cuisine de son pays en France. « En Europe, j'ai demandé à mes cousins, il y a un restaurant en Allemagne, mais en France, je ne connais pas de restaurant vraiment tchétchène. »

*Louis et Sebastien n’emploient que des réfugiés statutaires, c’est-à-dire des gens auxquels on a accordé le droit d’asile, et qui ont donc un permis de séjour et un permis de travail.