[ENQUÊTE] Quel impact a eu la crise sur nos relations amoureuses ?

undefined 17 mai 2021 undefined 18h53

Sarah Leris

Emma, 26 ans, était encore en couple en mars 2020. Aujourd’hui, elle fait partie de ces très nombreux·ses nouvelle aux célibataires pour qui la crise a tué toute forme de romantisme. « Pour moi, c’est une évidence : sans confinement, on ne se serait pas séparés. Mais c’est que ça devait arriver. » L’année 2020-2021, grand test pour les couples ? « Parfois même le crash test », s’amuse Jean-Claude Kaufmann, sociologue et spécialiste de la vie quotidienne. « Ceux qui se sont confinés dans une grande maison avec jardin, au moment des tensions, pouvaient toujours s’isoler ou aller tondre le gazon... Dans les espaces plus resserrés, les uns sur les autres, c’est rapidement devenu explosif. »

Emma, elle, a rapidement regretté son choix de se confiner avec son partenaire. « Au début, ça nous semblait logique, on n’allait pas ne pas se voir pendant plusieurs mois. Et au final, ça a été horrible. Je ne pouvais plus le voir, chacun de ses gestes était devenu insupportable et on  s’engueulait trop sur les tâches ménagères. » Des conflits, tous les couples en ont. « Le problème, c’est que la crise les a accentués, explique Jean-Claude Kaufmann. Elle a éloigné les couples qui allaient déjà mal et qui, au lieu de jouer le rôle de soutien moral pour l’autre, faisaient passer leur propre moral en priorité, allant jusqu’à dénigrer leur partenaire. Ces couples-là n’ont pas survécu, on a assisté à des séparations et à une augmentation des violences conjugales et des violences sur les enfants. » Les couples qui allaient mieux, eux, ont parfois réussi à traverser l’épreuve et en sont même sortis renforcés.

La pandémie a-t-elle tué le date ?

Côté célibataires, c’est le drame absolu. « Pour la jeunesse en particulier : ce qui définit la jeunesse, c’est que l’avenir est ouvert, la vie est légère, tout reste à écrire et la vie n’est pas dans le chez soi. Elle est ailleurs, dans les rencontres, les fêtes, les échanges avec les amis ou les amours », analyse le sociologue. Il ne fait pas bon être jeune célibataire en période de crise. « Depuis que mon couple a implosé, je me rends compte à quel point c’est galère de faire des rencontres, se désole Emma. Je n’ai plus que les applis sur lesquelles je me suis inscrite – un peu à contre-cœur –, mais j’ai besoin de sorties, d’étincelle, de vie ! » Pas de sortie possible, pas de date, pas de verre en terrasse ni de ciné pop-corn... Le date en a beaucoup souffert et l’alternative n’a pas mis longtemps à s’imposer pour les couples comme les célibataires. Les échanges en ligne ont fait un boom spectaculaire pendant le(s) confinement(s), les applications de rencontre et d’échange se sont multipliées et la séduction virtuelle est devenue de plus en plus populaire... tandis que la consommation de porno, elle, a augmenté de 50% en période de confinement, selon le secrétaire d’État chargé du Numérique Cédric O. Certain·e·s ont fait preuve d’inventivité, tant pour la séduction que la rencontre « dans la vraie vie ».

Messages audio, apéros à distance, rencontres clandestines chez l’un·e ou chez l’autre, balades dans les Buttes-Chaumont... « Il y en a même qui ont progressé dans l’art d’éprouver des sensations, y compris sexuelles telle que la masturbation croisée par écrans interposés, pour continuer à vivre des relations, constate Jean-Claude Kaufmann. Car Internet n’est pas que du virtuel : dès qu’on rentre dans l’échange, c’est une relation dans laquelle on ressent des choses. Mais il manque quelque chose...le toucher, la rencontre, le rapport physique à l’autre et le rapport au groupe, à la fête. »

Dater sous couvre-feu, un problème de sécurité

Un manque encore présent aujourd’hui, quinze mois après l’annonce du premier confinement. Les rendez-vous ne vont pas mieux... et peu d’alternatives se présentent aux jeunes célibataires désireux·ses de rencontres : pour dater en 2021, il faut accepter d’accueillir un·e inconnu·e chez soi, d’aller soi-même chez un·e inconnu·e ou se résoudre à se rencontrer dehors, debout, parfois dans le froid ou sous la pluie. Question romantisme, on a connu mieux. « Il y a beaucoup de rencontres dans la vraie vie qui sont des balades du tour du pâté de maison, il y a plus sexy quand même !», s’amuse le sociologue. Pour les plus téméraires, comment se sentir en sécurité une fois seul·e avec l’autre ? Le confinement et le couvre-feu ne permettant pas de se déplacer librement, les violences sexuelles et les viols décollent. Selon une note du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, publiée en janvier 2021, 24 800 viols ont été signalés l’année dernière, soit une augmentation d’un tiers en deux ans. « Aller chez un inconnu après une journée de boulot, ça sous-entend passer la nuit chez lui, précise Sofia, 31 ans. Ça m’est arrivé de me retrouver dans la merde face à un type flippant et de rester pour ne pas risquer une amende... Avec du recul, j’ai eu de la chance qu’il ne m’arrive rien, mais le couvre-feu, c’est quand même la restriction la moins safe au monde pour dater. » Les plus prudent·e·s, elleux, prennent le risque de passer à côté d’une belle histoire... Pendant combien de temps ? Si le virtuel est désormais nouvelle norme, les beaux jours s’accompagnent du retour des terrasses et des rencontres fortuites – vers des jours meilleurs. « Le moral à zéro, conclue Jean-Claude Kaufmann, c’est normal, c’est une période tellement compliquée. Mais il faut se dire que, quand on arrive à traverser cette épreuve, c’est déjà un bel exploit. »

Pour aller plus loin

C'est fatigant, la liberté... Une leçon de la crise, Jean-Claude Kaufmann, Ed. de l’Observatoire

La Sexualité positive, Iv Psalti, Ed. La Musardine