Salope et autres noms d\'oiselles : petite histoire des insultes envers les femmes

undefined 4 octobre 2017 undefined 11h14

Manon Merrien-Joly

La Rédac s'est rendue à l'exposition "Salope ! Et autres noms d'oiselles" montée par l'Université Libre de Bruxelles et accueillie à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme. De George Sand au slut-shaming en passant par Nabilla, l'installation retrace l'histoire de ce mot devenu au fil des siècles une insulte, croisant art et personnalités qui ont toutes fait l'actualité en étant victimes de ce mot ou d'autres quolibets du genre (féminin). 

Il y a quelques jours, Marlène Schiappa (la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes) a annoncé la création d'un groupe de travail chargé de plancher sur les moyens de réprimer le harcèlement de rue.

Alors que selon l'INSEE, le terme "salope" est le terme le plus fréquemment utilisé pour insulter les femmes dans l'espace public, l'exposition tombe à pic, proposant un parcours pour comprendre les mécanismes psychiques et sociaux qui président à l’insulte, en contrepoint des œuvres de 8 artistes contemporains.

Mais au fait, il vient d'où le mot "salope" ?

Apparu au XVIIe, le terme se forme à partir des mots « sale » et  « hoppe » (variante de huppe, un oiseau très sale). A l'époque, le terme était mixte, on disait par exemple "Il est salope". D’abord utilisé pour désigner une personne malpropre, à l’hygiène douteuse, l’équivalent masculin du salaud (après un court passage du terme « salop » disparu aussi vite qu’il est apparu) provient directement de l’adjectif sale

La connotation sexuelle apparaît au temps où la question de la prostitution se pose pour contrôler les épidémies et diminuer l’insécurité des clients les plus aisés. La police parisienne commence donc à employer le terme de salope pour désigner les prostituées de rue, considérées comme sales et vénériennes. La police fait alors la distinction entre la courtisane (la prostituée « de condition ») de la salope, souillon prostituée porteuse de maladies (que l’on peut arrêter), pour éduquer le peuple à la richesse et à la vertu.

Au XIXe siècle, le Marie-Salope est un nom initialement donné à des bateaux qui acquiert finalement le sens de femme malpropre et de prostituée, donnant naissance au terme de "Marie-couche-toi-là".

« Si on me traite de salope, très bien ! J’aime bien être une salope, une mémère, j’aime moins, car je ne me sens pas une mémère »

 Régine Deforges

Quand en 1971 paraît le Manifeste 343 dans le Nouvel Obs (la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste “Je me suis fait avorter”, acte illégal à l'aube de la loi Veil de 1974), Charlie Hebdo s'en empare pour une couverture intitulée : « Mais qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l’avortement ?» qui a finalement conduit à l'emploi familier du Manifeste des 343 salopes. Sympa.

Une salope, oui, mais laquelle ?

 "La plus grande prostituée de France", "Madame Déficit", "l'Autrichienne" : ces surnoms sont ceux de la reine Marie-Antoinette, réputée pour son caractère volage et dépensier. Aujourd'hui, c'est Nathalie Kosciusko-Morizet qui hérite du surnom de l'épouse de Louis XVI, en raison de son côté un peu "aristo". 

"Quand NKM parle du PSG, c'est Marie-Antoinette au Parc des Princes" 

Bruno Roger Petit (2013)

A en voir le nombre important de critiques à l'encontre de femmes comme George Sand (qui en son temps était une fervente militante féministe, divorcée et réputée séductrice) il parait (encore aujourd'hui) difficile pour une femme de tenir un discours égal à l'homme traitant d'une sexualité libre, sans être automatiquement rangée dans la case des filles aux moeurs légères...

En démontre cette scène datant de 1986, sur le plateau de l'émission Mon Zénith à Moi : Serge Gainsbourg avait lancé à l'encontre de Catherine Ringer : "Vous êtes dégueulasse. Vous êtes une pute. Vous êtes une salope."

Et elle n'est pas la seule dans ce cas. A la mort de Margaret Thatcher en 2013, Charlie Hebdo (encore?) avait publié sur son site une photo de l'oeuvre d'Eric Pougeau qui montre une couronne mortuaire ornée d'un ruban qui arbore le mot "salope" (voir photo ci-dessus).

30 ans plus tard, rien n'a changé : Thierry Ardisson, de passage dans l'émission Touche Pas à Mon Poste disait de Nabilla Benattia qu'elle était une "petite cochonne". 

De George Sand a Nabilla, des femmes qui ont toutes été insultées en raison de leur identité de genre combinée avec la place ou la fonction qu'elles occupaient dans la société.

On en revient systématiquement au même point : des insultes variées mais qui chacune stigmatisent la femme, la rabaissant à ses attributs et au genre auquel elles appartiennent. Auraient-elles subi les mêmes insultes si elles avaient été des hommes ?

Et aujourd'hui ?

C'est aussi un terme qui émane de différences sociales : des études portant sur le statut du mot chez les filles de banlieues montrent que l’énoncé « je suis une salope » prononcé par elles intègre en fait une dévalorisation, qui les fait s’assimiler à des objets de mépris. Et finalement, le mot ne fait que renforcer la domination d'une sexualité masculine assez libre par rapport à des "normes" de réserve sexuelle chez la femme.

En 2011, la ministre de la Santé Publique belge Laurette Onkelinx pose nue pour une campagne contre le cancer du sein : elle sera lynchée sur les réseaux sociaux. Rebelote lors d’un shooting pour Elle Belgique en novembre 2014 lorsqu’elle dévoile ses épaules et suggère sa nudité. 

Le photographe belge François Harray expose également sa vision de la salope à la FMSH, déclinant des oeuvres d'art majeures en tableaux photographiques QUEER. En mettant en scène de jeunes hommes travestis et maquillés, l'artiste questionne les frontières du genre, dont la "salope" est la première victime, car la salope peut très bien être un homme.

The Pearl from Vermeer #vermeer #perle #fillle #peinture #gayboy #gay #queer #genre #gender #lgbti #art #arthistory

Une publication partagée par François Harray Photographer (@fharray) le

 A l'heure actuelle, le terme de salope est aussi fréquemment utilisé sur les sites à caractère pornographique pour désigner une femme avide de sexe, qui se prêterait à tous les fantasmes. 

En février dernier, Canal + avait consacré un reportage aux cagoles, qui, selon une définition trouvée par le réalisateur du documentaire serait "une fille de mauvais genre, d'allure vulgaire". Elles aussi sont souvent raillées en raison de leur style vestimentaire ultra-voyant. Car le vêtement féminin, en dépit du fait qu'il soit un formidable canal de communication est plus que tout soumis au diktat du politiquement correct. 

« Une cagole n'est pas une féministe dans le sens premier du terme mais (...) elle finit par avoir une image plutôt revendicatrice de la liberté des femmes. C'est un genre de féminisme" souligne la journaliste Alice Pfeiffer.

Un féminisme qui passe à notre époque également par l'acte de se (non) vêtir, comme l'aborde l'ouvrage "Les 30 féministes que personne n’a vus venir"  de Johanna Luyssen qui rend hommage aux féministes d'un autre genre, à l'image de Nicky Minaj qui assure sa propre révolution contre le culte du corps...par les fesses. 

Ces nouvelles formes de féminisme posent la problématique de la limite de la féminité et le commencement de la "salope", si elle existe ? La question reste ouverte. Et comme dirait l'artiste Tamina Beausoleil, "le combat des salopes n'est pas prêt d'être terminé".

"Salope ! Et autres noms d'oiselles"
Du 29 septembre au 18 octobre 2017
Fondation Maison des sciences de l'homme
54 bd Raspail - 6e
Du lundi au vendredi
Entrée libre