La chronique du vieux con : arrêtez avec vos « frérot » !

undefined 16 avril 2018 undefined 16h45

Louis Haeffner

La France a peur. Depuis quelques années, un phénomène atroce gangrène notre belle langue, à laquelle on fait toujours référence en mentionnant Molière. Celui-ci doit en effet faire des backflips dans sa tombe à chaque fois qu'est prononcé ce mot, indigne : "frérot".


Vous rentrez tranquillement chez vous après une harrassante journée de travail, quand soudain, un jeune homme que vous ne connaissez pas vous interpelle, de façon un peu cavalière, il faut bien le dire. « Hé frérot, t'as du feu steuplé ? » Au moins il a dit "s'il te plaît", ce qui vous rassure quand même sur un point : la politesse n'est pas encore une valeur totalement révolue. Par contre, c'est quoi ce "frérot" qui vient de vous transpercer assez violemment le tympan ? D'où ça sort, ça ? Posons-nous la question selon les principes irrévocables de la plus grande honnêteté intellectuelle. Dès lors, plusieurs théories se font jour. 


La mauvaise traduction 

Notre société a une légère tendance à s'américaniser depuis quelques décennies, vous l'aurez sans doute remarqué. On leur prend tout aux ricains, leur bouffe, leurs séries, leurs applis, leurs expressions... jusqu'à ce fameux "bro", abréviation de "brother", très populaire au sein de la communauté noire américaine, et qu'on a bêtement traduit par le "frère" qu'on peut entendre un peu partout chez les jeunes ou sur les terrains de football. Bon, comme nous, petits Parisiens chétifs adeptes de burgers bio et de Christine and the Queens, n'avons pas grand-chose à voir avec Fifty Cent, on a préféré moduler le truc en "frérot", de sorte également à atténuer un peu ce lien de parenté inexistant, car même si l'on peut considérer nos semblables comme nos frères en nous basant sur une appartenance commune à la même espèce (celle des humains), il est assez évident au regard du manque de solidarité caractéristique de notre société que nous n'en faisons rien. On emploie donc "frérot" comme une marque de familiarité, mais pas trop quand même, on n'appartient à aucun clan, nous. 


La théorie sociologique

La cellule familiale comme on la théorisait au siècle dernier – une époque pourtant pas si éloignée – étant clairement en passe de disparaître, pour ne pas dire qu'elle est déjà complètement éclatée, on peut imaginer que les jeunes d'aujourd'hui sont en quête d'une forme de structure, de modèle de fonctionnement en société. À défaut d'avoir dans leur entourage une figure tutellaire bien définie et présente, ils reportent leur besoin d'amour sur ceux qu'ils voient tous les jours, c'est-à-dire leurs potes et, par extension, tous ceux qui peuvent potentiellement le devenir. C'est là que vous intervenez : le seul fait que vous répondiez à ce jeune en quête de repères fait de vous son "frérot", à l'opposé du reste de l'univers qui a pour habitude de l'ignorer, voire de le mépriser, tout ça parce qu'il porte des chaussettes blanches sous ses claquettes Speedo. 


Pour s'en sortir

Quoi qu'il en soit et quelle que soit l'origine de cette expression débile, il convient de s'en débarrasser au plus vite. Voici quelques idées de comportements à adopter lorsqu'on vous apostrophe sous cet ignoble sobriquet :

– prenez un air dégoûté, regardez le jeune de haut en bas, et signifiez-lui de façon claire que vous n'êtes pas son "frérot", en lui disant : « je ne suis pas ton frérot », puis faites volte-face et éloignez-vous d'un pas déterminé qu'il observera en se disant « encore un frangin qui fout le camp, pourquoi personne ne m'aime ? », avant probablement de se mettre à pleurer.

– à peine le mot fatal entendu, placez sans hésitation votre main sur la bouche du locuteur, et hochez la tête de gauche à droite en signe de désapprobation.

– humidifiez vos yeux puis regardez votre agresseur verbal droit dans les yeux et dites-lui ceci : « je n'ai eu et n'aurai jamais qu'un seul frère, c'était un héro. » 

– ignorez parfaitement celui qui vous a qualifié selon le terme honni, comportez-vous comme s'il n'existait pas, et comme il vous fera remarquer votre noble attitude, dites-lui : « ah mais c'est à moi que tu parles ? je pensais que tu t'adressais à ton frère, et comme je ne suis pas ton frère... » puis gratifiez-le d'un sourire narquois. 

– sortez vos écouteurs de votre poche et enfoncez-les-vous dans les oreilles, pour ne plus avoir à entendre cette ignominie


Malgré ces quelques pistes de réflexions et tips pour éviter la gênance liée à ce phénomène déplorable, certaines questions restent sans réponse. Par exemple, que penser des jeunes femmes qui, lors d'une conversation avec l'une de leurs homologues, emploient cette expression. Ne devraient-elles pas plutôt dire "sœur" dans ce cas-là ? La question reste ouverte, et nous vous invitons à partager avec nous vos expériences ou vos idées, de façon à ce que nous puissions enfin avancer vers un monde meilleur.