[Enquête] : Quand se loger à Paris devient mission impossible

undefined 5 octobre 2023 undefined 12h31

Lucie Guerra

Des semaines interminables de recherches, des heures de queue aux côtés de dizaines d’autres potentiels locataires pour visiter un modeste appartement de 12 mètres carrés, un dossier jamais assez bon, des refus qui s’accumulent… Non, ce scénario n’est pas celui d’une fiction où les bailleurs s’amuseraient à faire vivre un véritable enfer aux étudiants, mais il représente bel et bien le quotidien de centaines de personnes en quête d’un logement à Paris, depuis la rentrée. Au cœur de ce parcours du combattant, un marché plus que saturé. D’après les dernières données de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), la moitié des agences interrogées ont moins de dix biens disponibles à la location et une agence sur dix n’a aucun logement à proposer. 


©Salomé Rateau

Une offre drastiquement en baisse, pour une demande en hausse de 23 % par rapport à l’année dernière, selon la FNAIM. « On a reçu plus de 100 messages en une heure », confie un particulier, après avoir posté une annonce pour louer l’appartement dont il a récemment fait l’acquisition à Belleville. Un constat alarmant, également relevé par Jean-Hugues Brianchon, agent immobilier dans le 18e : « Quand je mets une annonce en ligne, je peux la retirer au bout de 2h et j’ai 400 personnes dessus. Avant, j’en avais une petite cinquantaine ou soixantaine, mais maintenant c’est terrible », déplore-t-il. 


Les étudiants en ligne de mire 

Si cette crise touche l’ensemble des catégories socio-professionnelles et tous les âges, les étudiants et jeunes actifs sont les premiers confrontés aux difficultés de logement dans la région. C’est notamment le cas d’Evrard Caudrelier, 21 ans, récemment arrivé à Paris pour y effectuer sa troisième année d’études en école de communication. Une volonté de venir dans la capitale, pour évoluer scolairement et professionnellement. Mais face au rêve que représente Paris, la désillusion pour s’y loger est bien plus forte. « Lorsque je vivais à Tours, j’étais parvenu à trouver un appartement en deux semaines, en faisant seulement deux visites. Ici, ça n’a rien à voir », déclare-t-il.

Dans un quotidien rythmé par des journées de cours chargées, et un job étudiant qu’il cumule avec ses études, le jeune homme doit trouver du temps pour prospecter des logements. « Je suis en recherche depuis trois semaines car, pour l’instant, je suis logé chez une amie. En moyenne, j’y consacre au moins trois heures par jour, avec les visites », explique-t-il. Chaque jour passe et semble être moins fructueux que le précédent. L’une des principales difficultés rencontrées : « Le manque de réponse », affirme Evrard. Si l’étudiant déplore « l’impression d’envoyer des candidatures dans le vide », Jean-Hugues Brianchon regrette quant à lui, de ne « pas pouvoir répondre à tout le monde ». 


©Yuri A/Shutterstock

Pour s’assurer d’avoir un toit au-dessus de la tête, impossible d’avoir des critères de mobilier, de quartier, ou de superficie. « Au début, je voulais des arrondissements précis, mais aujourd’hui, je ne réfléchis plus trop, je prends ce qu’il y a », affirme Evrard. Comme bon nombre d’étudiants face à cette situation d’urgence, il se dit prêt à s’éloigner de Paris, pour tenter de trouver un appartement en banlieue proche, où l’offre est parfois plus fournie et les loyers sont inférieurs à ceux de la capitale.


Un déséquilibre entre achat et location 

Comment expliquer une crise d’une telle ampleur ? Parmi les raisons principales évoquées par les acteurs du secteur, se trouve la difficulté d’accès aux prêts bancaires et donc à l’achat. Selon la FNAIM, la production de crédit n’a jamais été aussi faible depuis l’année 2014. Si en août 2022, l’Observatoire crédit logement/CSA estimait que les taux d’emprunt étaient à 1,82 % en moyenne, en août 2023, ce chiffre a grimpé pour atteindre les 3,80 %. À cela s’ajoutent des conditions de plus en plus strictes pour l’obtention de crédits et des montants particulièrement élevés : le prix de vente moyen d’un appartement à Paris est de 10 226 € le mètre carré. L’investissement immobilier freiné incite les acheteurs potentiels à rester sur le marché locatif et engendre la saturation que l’on connaît aujourd’hui.


©Salomé Rateau

Une autre explication est celle des loyers particulièrement élevés en Île-de-France. Et avec les Jeux Olympiques à l’été 2024, Jean-Hugues Brianchon s’inquiète de voir que « beaucoup de propriétaires ne souhaitent pas renouveler leurs baux pour pouvoir louer à des prix exorbitants » pendant l’événement. L’Observatoire des loyers a récemment dévoilé que les tarifs des habitations non meublées ont augmenté de 2,4 % dans l’ensemble de l’agglomération parisienne. Le loyer moyen à Paris, pour un peu moins de 50m2, s’élève désormais à 1230 €, contre 1201 € en 2022. Un montant difficilement abordable pour les étudiant·es parisien·nes, dont le budget moyen est de 786 €, d’après une étude menée par LocService.


Des conséquences directes sur l’avenir de la jeunesse

Récemment, OpinionWay a mené une étude pour la plateforme spécialisée en location d’espaces de vie partagés, Wellow, afin d’évaluer les conséquences d’une telle crise sur la jeunesse actuelle. Les résultats obtenus montrent qu’à cause des difficultés de logement, 12 % des personnes de moins de 35 ans interrogées, ont dû renoncer à poursuivre leurs études, 14 % se sont vu refuser un emploi et 20 % ont été obligés de retourner vivre chez leurs parents. Les tensions présentes sur le marché locatif dépassent donc très largement le secteur de l’immobilier et ont un réel impact sur l’avenir de ces étudiant·es et sur le monde du travail. 


©iStock

Si l’agglomération parisienne comptait plus de 5,4 millions de logements en 2022 selon une étude Statista, l’Insee affirme quant à elle que plus de 300 000 de ces habitations restent inoccupées. Pour tenter de pallier cette crise, Thomas Corman, fondateur de Wellow, s’est donné pour objectif d’utiliser les lieux vacants à Paris et en banlieue, pour fonder des appartements collectifs. « De plus en plus de jeunes s’installent dans les grandes villes pour leurs études. Mais c’est très challengeant de trouver un endroit où vivre et créer de nouveaux liens quand on laisse ses proches derrière soi. On a voulu essayer de répondre au besoin primaire du logement et initier une dynamique sociale », explique-t-il. Depuis la création du projet en 2020, ce sont plus de 450 personnes qui ont réussi à trouver un hébergement dans une centaine d’espaces. Des solutions se développent donc progressivement pour aider cette jeune génération, prête à tout pour évoluer dans la capitale, car comme le dit si bien Evrard, « c’est ici que les opportunités se trouvent ».

Pour aller plus loin : 

« Enquête sur le coût de la vie étudiante », menée par l’Unef
« La crise du logement, la nouvelle bombe sociale qui menace ? », un documentaire disponible sur Arte.tv
« Immobilier : comment le marché s’est grippé », un podcast de Code Source