[ENQUÊTE] Qui sont les parennials, la nouvelle génération de parents 2.0 ?

undefined 12 mars 2024 undefined 11h45

Lucie Guerra


« 
Longtemps j’ai cru qu’une mère comptait plus qu’un père. Un jour, une femme m’a dit que je comptais autant qu’elle, et nous sommes devenus parents ensemble », écrit le médecin et auteur Martin Winckler. Depuis moins de 10 ans, une réflexion nouvelle est menée quant à l’éducation des enfants. Face aux figures traditionnelles et autoritaires d’antan, les parents d’aujourd’hui revendiquent une parentalité plus libre et décomplexée.

Ces parennials, nés entre les années 1980 et 2000, et appartenant à la génération connue sous le nom de millenials, bousculent les codes éducatifs jusqu’ici considérés comme normaux. Exit les violences physiques et psychologiques, les « dépêche-toi » et autres brusqueries, pour laisser place à une éducation plus positive où la communication et l’expression des émotions sont maîtres, et où les enfants ne sont pas un frein aux activités et aux sorties, mais plutôt un moteur.

Cette génération Do It With the Kids (DIWK) favorise le fait de sortir avec ses enfants, et s’oppose à la Double Income No Kids (DINK) qui, elle, promeut le fait de ne pas avoir d’enfants pour profiter davantage. D’ailleurs en 2023, 60% des 25-34 ans ne considèrent plus la parentalité comme une contrainte. Un chiffre en hausse par rapport à l’année 2022, où ils étaient 51 % à penser de la sorte, selon la 2e édition du baromètre Evian. « Aujourd’hui, on note un désir d’extériorisation du cocon familial, de prendre son enfant avec soi en toute circonstance. Et aussi l’aspiration à une certaine légèreté familiale », précise le sociologue Ronan Chastellier dans l’étude. Mais dans un pays où l’éducation est particulièrement cadrée et intégrée à un modèle patriarcal, qui sont ces parennials et que mettent-ils en avant ?


L'éducation positive comme modèle de conduite

Si les questions de parentalité et d’éducation semblent être au centre du débat depuis ces cinq dernières années, notamment grâce à l’avènement des réseaux sociaux et à l’émergence des parennials, ces thèmes prennent racine à une époque bien antérieure. Comme l’explique la Docteure en psychologie Béatrice Lamboy dans un article* publié en 2009, le terme parentalité « apparaît dans la langue française au début des années 1960 au sein du champ psychiatrique et psychanalytique » et est « officialisé dans les années 1980 ». On s’intéresse alors davantage au rôle de parent et à l’impact de l’éducation et des violences sur le développement de l’enfant. Véritable rupture avec les modèles habituellement reproduits d’une génération à une autre sans réflexion particulière, « la parentalité apparaît comme un processus qui se développe et implique des compétences à acquérir ».

Et ce processus, les parennials n’hésitent pas à l’enclencher. « Il y a une volonté de notre génération de remettre en question plusieurs dogmes qu’on a toujours considérés comme normaux », précise Samuel Clot, papa d’un garçon de 6 ans, créateur de contenus, et auteur du livre Père au foyer. Le schéma de domination de l’adulte sur l’enfant et les « violences éducatives ordinaires » (VEO) sont alors délaissés pour privilégier la mise en place d’un cadre sain, où l’enfant explore à son rythme et le parent est un tuteur qui soutient et accompagne. « L’idée, c’est de faire coexister nos besoins à tous·tes dans le foyer. Beaucoup de gens disent de l’éducation positive que c’est du laxisme, au contraire, ça demande beaucoup plus d’efforts mais qui sont rentabilisés sur le long terme. On a des enfants autonomes plus rapidement et aussi plus à l’écoute des besoins des parents », explique le papa de 27 ans.


Affirmer la place du père

Parmi cette nouvelle génération de parents s’illustrent les “nouveaux papas”. Loin de la figure paternelle autoritaire et du « père [qui] n’est évoqué que s’il est violent, alcoolique, maltraitant voire abuseur »** dans la littérature et la fiction, ces papas s’emparent des idées préconçues à la fois sexistes et inégalitaires, pour entamer un travail de déconstruction et réaffirmer leur paternité. « Un père qui fait le ménage ou la cuisine parce que sa femme se repose après l’accouchement ou qu’elle allaite, un père qui porte son enfant contre lui [...], n’est pas un père qui “aide sa femme” : c’est un père qui fait sa part, tout simplement », affirme Samuel Clot dans son ouvrage.

Un constat qui coule de source pour le jeune papa, mais semble bien moins évident à plus grande échelle. En France, tout ce qui est relatif aux enfants est généralement orienté vers la mère. Dans les librairies, c’est au rayon maternité que l’on retrouve les livres dédiés aux parents. Si aux États-Unis et au Canada, 5 000 lieux ont été équipés de tables à langer dans les toilettes pour hommes en 2019, rares sont les établissements français à faire de même. Depuis 2021, le congé de paternité est officiellement passé de 14 à 28 jours. En Suède, ce même congé s’élève à 240 jours par parent, par naissance.


Un phénomère répandu et pourtant encore marginal

Pour répondre à cette volonté de repenser le schéma familial traditionnel et les méthodes éducatives mises en œuvre jusqu’alors, de multiples lieux kids-friendly ouvrent leurs portes dans les différentes villes de France. En parallèle, les réseaux sociaux voient s’accroître le nombre de comptes de parents partageant leur expérience avec l’éducation bienveillante. Un modèle de parentalité en pleine expansion, qui reste encore pourtant grandement minoritaire. En France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses géniteurs***. D’après l’Observatoire des VEO, 85 % des Français·es font usage des violences éducatives ordinaires en 2018 et 23% affirment utiliser la fessée en guise de punition, selon les données du sondage Ifop en partenariat avec la Fondation pour l’enfance, publiées en 2022. Des chiffres alarmants, alors que la loi n°2019-721 prévoit que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». À quelques heures de là, en Suède, les enfants ne comprennent même pas le concept de la fessée tant il est anormal de lever la main sur eux, comme l’illustre le documentaire de Marion Cuerq.

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Encore profondément ancrée dans un schéma patriarcal traditionnel avec des déterminismes de genre, la vision du père au foyer ou du père qui s’occupe simplement de son enfant est encore perçue comme une atteinte à la masculinité. « Quand mon fils était bébé, j’avais l’impression qu’on me regardait comme si je n’étais pas à ma place et que ce n’était pas à un papa de s’occuper des nourrissons, de porter en écharpe etc. Maintenant qu’il a 6 ans, qu’on joue au foot et fait des activités considérées comme masculines, ça choque beaucoup moins », déplore Samuel Clot.

Loin d’être la priorité, le budget des départements alloué à la protection de l’enfance s’élevait à 8,9 milliards d’euros en 2018. À titre comparatif, celui des armées était de 43,9 milliards d’euros en 2023. Le modèle de vie des parennials pourra-t-il donc être pérenne ? Pour le jeune papa, il faut garder espoir : « Je ne sais pas imaginer un avenir où mon fils élèvera ses enfants, s’il souhaite en avoir, dans le même paradigme que celui qui est actuellement dominant en France. Globalement on se dirige vers quelque chose de plus positif et bienveillant, mais ça va passer par beaucoup de travail et de grands combats politiques parce que les freins sont encore nombreux. »


Pour aller plus loin : 

- Père au foyer, Samuel Clot, aux éditions Hachette
- Papatriarcat, un podcast de Cédric Rostein 
- Même qu'on naît imbattables!, un documentaire de Marion Cuerq


* Lamboy, Béatrice. Soutenir la parentalité : pourquoi et comment ? Différentes approches pour un même concept, Devenir, vol. 21, no. 1, 2009.

** Goldbeter-Merinfeld, Édith. La place des pères dans les familles. Introduction, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, vol. 54, no. 1, 2015.

*** Selon un rapport élaboré par les inspections générales des affaires sociales (IGAS), de la justice (IGJ) et de l’éducation (IGAENR) en 2019.