Enquête : les nouvelles façons d'aimer des Parisiens

undefined 20 février 2019 undefined 12h37

La Rédac'

LGBTTQQIAAP. Plus. Bienvenue en 2019, où l’alphabet sera bientôt à court de lettres pour embrasser toutes les communautés, sexualités et identités de genre que les millennials brandissent avec fierté. Gay ? Pansexuel ? Polyamoureux ? Bi-curieux ? Le lexique de la nouvelle génération n’a jamais été aussi riche et complexe, celle-ci exigeant la précision pour se définir au mieux. L’amour conjugué au singulier, au pluriel, au féminin, au masculin mais surtout au présent, rencontre avec ces parisiens qui fêtent l’amour, en toutes lettres.

S’oriente-t-on vers une démocratisation de ces formes de sexualité divergentes, aujourd’hui clairement nommées et identifiées ? Possible lorsque l’on comprend qu'enrichir le vocabulaire amoureux et sexuel, c’est finalement permettre une meilleure compréhension de soi et de sa place face aux normes très instituées. « Le fait que ces définitions se démocratisent, c’est une très bonne chose car ça permet à plein de gens qui avaient le sentiment d’être ‘hors-norme’ de se sentir enfin appartenir à un groupe, de poser des mots sur leur sexualité qui n’a en réalité rien d’anormale. Dans la construction sexuelle, c’est important de pouvoir se référer à ses semblables et à des codes communs, surtout quand on est jeunes » explique Claire Alquier, sexologue.


Une sexualité débridée

Libertine assumée, Florence s’est toujours sentie hors-norme, avant même de débuter sa sexualité "kinky" et de découvrir le monde BDSM. Sa sexualité débridée, elle n’en parle finalement qu’aux initiés. Seuls quelques très bons amis à elle étrangers au milieu, appelés "vanille", sont au courant de ses pratiques sexuelles. Elle explique en effet que s’assumer en tant que femme dans notre société n’est pas toujours évident, alors se revendiquer libertine peut vite donner lieu à des raccourcis et des préjugés.

Même son de cloche du côté de Tony qui se définit comme « hétéro-curieux non monogame ». La norme et les pressions sociales, il les a subies pendant plusieurs années, exprimant des difficultés à accepter son attirance pour les hommes. « Assumer sa bisexualité chez un homme, c’est encore compliqué de nos jours car il faut sans cesse se justifier sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’une homosexualité refoulée, mais bien d’une réelle attirance pour les deux sexes », regrette notre sexologue. Pour Tony, le choix de ses partenaires est vite devenu compliqué car contraint de respecter "cette norme" dont il avait du mal à se défaire. Finalement, ce trentenaire non-monogame a décidé d’assumer sa sexualité, bien que celle-ci reste très controversée, notamment auprès de son entourage qui ne le prend pas toujours au sérieux ou « essaie de (le) réparer ».

À 22 ans, Camille a déjà une belle expérience en tant que polyamoureuse. Et c’est par le biais d’une rencontre que cette jeune fleuriste a troqué sa fidélité et ses habitudes de monogame au profit d’un amour multiple. La raison ? « Je me suis dit que cet homme était si merveilleux, alors pourquoi aurais-je dû être à la seule à en profiter ? », s’est-elle demandé. Si l’amour à plusieurs continue d’alimenter bien des fantasmes, considéré comme une fantaisie, une excentricité voire une anomalie, Camille pense précisément le contraire. « Il me semble que tous les polyamoureux sont de grands sentimentaux. On aime l’amour. C’est justement cette soif de l’Autre qui m’a menée au polyamour. Ma curiosité. J’ai l’impression de vivre plus intensément ainsi. Et on ne va pas se mentir, c’est aussi jouissif de se sentir subversif. »


À la recherche d'une vie sexuelle plus excitante 

Une sexualité en marge de la norme aurait-elle donc des effets aphrodisiaques ? S’affranchir du modèle étriqué de leurs aînés, dominé par le patriarcat, la binarité hétéro/homo mais aussi par cette vision hétéronormée de la relation amoureuse, voilà le pari de ces jeunes adultes qui redéfinissent l’amour et la sexualité, les rendant protéiformes mais aussi plus excitants. Si Clémence, éducatrice spécialisée de 30 ans, se définissant comme bisexuelle avoue ressentir parfois de la jalousie quand elle voit un(e) de ses partenaires dans les bras d’autres personnes, elle reconnaît que cette vision peut également l’exciter « surtout quand la soirée se finit dans leurs bras », précise-t-elle.

Se jouer du genre, en brouillant volontairement les codes vestimentaires, pour Malaïka, jeune cheffe de projet digital assumant sa bisexualité et se revendiquant comme « genderfuck », peut avoir en effet des aspects très attrayants. Elle raconte ainsi qu’en tant que cis-genre, il lui arrive souvent de se faire draguer par des hommes gays ou des femmes hétérosexuelles, pour son « plus grand plaisir ». Preuve que les orientations et représentations sexuelles échappent aux concepts dans lesquels la société tente parfois de les enfermer.


L'expérience à tout prix aurait-elle un prix ? 

Si la démocratisation de ces nouvelles façons d’aimer est une vraie avancée, Claire Alquier craint que la "tendance" prenne le pas sur la sincérité, pointant du doigt cet encouragement parfois exacerbé de l’expérience à tout prix, contraignant les jeunes à essayer tout et tout de suite. « La sexualité, c’est quelque chose qui évolue tout au long de la vie. Plus on a accumulé de l’expérience, avec l’âge, avec du recul et une réflexion sur soi-même, plus on est en mesure de définir ses propres besoins et de s’affranchir des pressions sociales normées et très classiques. Mais c’est quelque chose qui demande du temps, du travail et de l’énergie », explique-t-elle.

Si bien que la nouvelle génération est parfois aux prises avec une sorte de tiraillement, ne se reconnaissant ni dans la norme très classique toujours très présente de nos jours ni dans l’autre, celle du non-classicisme et de l’expérience pour l’expérience. Finalement, en 2019, l’amour, la norme et le sexe n’auraient-ils pas été déplacés, faisant de la marginalité une nouvelle forme de conformité ? Seul l’avenir nous le dira.


Crédit texte : Eva Yoro