Comment le skate peut sauver une ville ?

undefined 28 septembre 2018 undefined 16h34

Rachel Thomas

Les zones urbaines dans lesquelles on vit ne nous offrent pas toujours ce dont on a besoin. En partenariat avec Vans, nous examinons comment le skate peut injecter de la créativité et un sens de la communauté dans nos villes.

« Quand on était jeune, on nous attaquait pour avoir un skate », dit Paul O’Connor, un sociologue de 42 ans qui a grandi dans la petite ville de Devon et qui skate depuis qu’il a 11 ans. « Je me rappelle que quand je ridais sur le boulevard, les gens mettaient leurs pieds sur ma board – et moi, je volais. »

Le skateboard a évolué depuis, s’infiltrant dans les plus hautes sphères de l’art et de la mode. Mais même aujourd’hui, les skateurs se retrouvent diabolisés par la société. Du stoner bon à rien à la grande gueule qui cherche la merde, la culture skate ne s’est pas encore débarrassé des mauvais stéréotypes. Dans les zones urbaines, plus particulièrement, les relations entre les skateurs et la ville sont précaires.

Et c’est vraiment dommage, parce que les avantages du skate sont nombreux : de l’économie au social, sa présence peut avoir un impact profondément positif dans nos villes. Mais uniquement si on nous le permet.


La sécurité avant tout

Prenez par exemple cette tendance qu’ont les skateurs à réduire le crime dans les spots qu’ils choisissent d’investir. Les squatters sont souvent les premiers à investir des espaces désaffectés et sans grand intérêt. Des zones parfaites car les rideurs y sont livrés à eux-mêmes avec des structures en libre-service.

Si des crimes se produisent, leurs auteurs ne restent pas longtemps. Ocean Howell, un professeur d’histoire de l’architecture à l’Université de l’Oregon et ancien skateur pro, décrit les skateurs comme les « troupes de choc de la gentrification » dans la manière qu’ils ont de dégager toute activité « indésirable » d’un endroit en le rendant plus accessible. Avant d’être à leur tour dégagés par les gens de la tech. 

C’est une théorie sociologique que O’Connor appelle « les yeux de la rue », l’idée qu’une communauté heureuse a des gens « dehors, visibles, et faisant des choses ». Une théorie soutenue par Gregory Snyder, un ethnographe dont le travail sur les contre-cultures l’a poussé à étudier le skate et le graffiti.

« Une des choses que provoque le skateboard, explique Snyder, c’est que ça occupe des espaces souvent dépeuplés, propices aux crimes. Avec ces "yeux", les criminels se barrent. »

Une autre histoire : celle de Hubba Hideout, un spot à drogues de San Francisco dans les 80’s et 90’s, que les skateurs locaux ont investi à cause de ses deux escaliers surdimensionnés et de larges rebords en béton. À l’époque, "hubba" était le terme utilisé pour le crack, mais aujourd’hui, dites ce mot à n’importe quel skateur dans le monde et il vous guidera vers un spot avec ce même obstacle. Quand les skateurs arrivaient, les drogués s’en allaient. Ce qui aurait pu avoir une fin heureuse si les autorités n’avaient pas décidé de les remercier en le nommant comme une "no skate zone".


La devise créative

« Je pense que l'idéologie anti-skate vient d’un grand malentendu sur ce que les skateurs font vraiment », argumente Snyder. « Sur un niveau pratique, quand tu descends la rue et que tu vois des skateurs, si tu ne sais pas ce qu’il se passe, tu vois surtout des gosses en train de tomber. Mais si tu laisses le skateur entrer dans ta ville, il emmène avec lui un tas d’infrastructures créatives. »

Cette idée de classe créative – un terme popularisé par l’économiste et sociologue Richard Florida – est utile quand il s’agit d’analyser l’impact positif que des skateurs ont sur un lieu. Par leur nature, les skateurs appartiennent et gravitent autour d’un réseau créatif fait d’artistes, de réalisateurs, d’écrivains, de musiciens. Ainsi, une ville qui encourage leur présence encourage ceux du même cercle. Si cela apporte des avantages évidents en matière de diversité culturelle, cela se traduit aussi par des bénéfices financiers.

Quand la Floride a popularisé l’idée d’une devise créative à la fin du siècle, elle l’a fait en reconnaissant que les villes desservant ces industries – les médias, la technologie, le cinéma – devenaient les points forts d’une nouvelle économie. Donc, en théorie, une ville skate-friendly ramène toute la famille éloignée et l’argent qui va avec (les shops, les coffee shops et petits boui-bouis où squattent les skateurs...).

« Les gens ne comprennent pas à quel point le skate est une économie productive. Ça fait de l’argent à partir de rien. », dit Snyder. « Pensez à la production générée par une session de skate filmée. Il y a tout un crew, un photographe, un caméraman… L’industrie du skate a été estimé à 5 milliards de dollars. Je veux dire, si chaque ville avait seulement 1/10 de ça… »


Construire des ponts

Une organisation qui en sait beaucoup : le Long Live Southbank crew. Formé en 2013 pour sauver le spot de skate éponyme, et après un an de campagne durement menée, LLSB lui a garanti un futur au long terme. Depuis, l'orga collabore avec les autorités locales et le Southbank Center pour restaurer des sections du spot laissées à l'abandon. Aujourd'hui, on y trouve un centre éducatif qui accueille des jeunes ayant un intérêt pour les arts créatifs.

Quand le Southbank était sous menace, cela a encouragé une communication entre les skateurs et les authorités qui n’aurait pas existé autrement. « Il y avait un dialogue entre les propriétaires fonciers, les promoteurs, les skateurs et le conseil », affirme Stuart Maclure, 24 ans, skateur et chef de projet.

« Ce vieux concept de ce que devrait être le skate et la ville est en train de changer », ajoute-t-il, « l’idée est d’avoir une société qui soit fière de sa ville, et non dégoûtée. Plus vous avez de voix différentes, plus une ville sera démocratique. C’est ce que les villes devraient viser. ».

Malgré ses racines non conformistes, le skate a toujours été le signe de la construction d’une communauté. C’est en réalité ce non-conformisme qui permet un changement progressif. Contrairement aux sports d’équipe, c’est l’un des seuls qui permet aux gosses de 5 ans de rider aux côtés des pros de 40 ans. Pour Becky Beal, une professeur du Cal State Bay qui travaille sur des problèmes de justice sociale dans le sport, c'est l’environnement idéal pour qu’une population puisse s’exprime.

« J’ai passé beaucoup de temps avec des groupes de skateuses. C’est en créant un nouvel espace de marque pour les filles qu’elles se définissent, contrairement à un sport classique qui ne leur laisse pas beaucoup de place. Je pense que c’est plus open avec le skate, les gens peuvent être eux-mêmes, se représenter, s’exprimer. »


Se rassembler

À bien des égards, les meilleures villes sont fluides et cinétiques. À l’instar du parkour et de l’exploration urbaine, le skateboard répond à l’architecture moderne, en contrant son utilisation première et en offrant des milliards de possibilités.

En pratique, cela veut dire que les villes deviennent plus collaboratives. Iain Borden, un historien d’architecture, urbaniste et professeur à l’University College of London, parle d'un acte de subversion qui rend nos espaces de nouveau "excitants".

« Il y a une reconceptualisation de la ville, et avec cela, une critique de ce qu’on attend d’une ville », explique-t-il. « De plus en plus, les urbanistes s’attendent à ce que les villes soient conçues pour se déplacer, faire les courses… Le skate ne fait rien de tout ça. Il n’achète pas un frapuccino ou une casquette de baseball. Cela fait de la ville un terrain de loisirs plutôt qu’un lieu de travail ou de consommation. » 

À l’ère de l’individualisation, le skate encourage le rapprochement. Les espaces urbains partagés deviennent plus un effort collectif, tandis que l’architecture banale et négligée s’offre une seconde vie. Les skateurs sont des amoureux des espaces, « je pense que c’est très sain pour un populus urbain », note Snyder.


Regarder vers l’avenir

« Il est vrai que certains gens fermés d’esprit considèrent les skateurs comme des bons à rien, des ratés et comme une nuisance anti-sociale. », dit le skateur pro Chris Jones. « Mais de ce que j’ai vu, le skate a forcé les individualistes à être plus sociables – ça élargit leurs horizons et ils peuvent utiliser leur énergie de manière plus positive. »

Il serait faux de labeliser le skate comme une force complètement égalitaire et altruiste. De la police sociale à l'entrepreneuriat autonome, les skateurs offrent les qualités que recherchent les villes modernes – et, comme le souligne Iain Borden, ils le font en skatant.

Le skate peut ainsi rendre une ville plus diversifiée et excitante, tout en la rendant plus sûre. Il peut injecter de l’argent dans l’économie locale tout en encourageant la créativité et l’expression de soi. Il favorise l’expression individuelle et contribue à la collaboration et à l’inclusion dans les espaces partagés.

« Comme le reste de la vie, le skate est trop compliqué pour dire que toutes les personnes impliquées sont soit très bonnes, soit très mauvaises », dit O’Connor. « Mais je ne peux juste pas comprendre pourquoi les gens ne voudraient pas des skateurs. »

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