[ENQUÊTE] À la recherche des cafés disparus de la capitale

undefined 8 avril 2022 undefined 19h40

Djaïd Yamak

En déambulant dans les rues de la capitale, on aperçoit de plus en plus d’anciens locaux de bar-tabac investis par de nouveaux commerçants. Comme celui de la rue des Bluets (11e) remplacé par une dark kitchen, ou celui du quartier du boulevard de Strasbourg (10e), qui n’a gardé que le suffixe tabac comme activité principale. Sous les néons de ce désormais buraliste, un groupe de jeunes grattent compulsivement des tickets de jeux. Astro, Cash, Millionnaire, les papiers glacées de la Française des Jeux aiguisent les ongles.

Un shot d’adrénaline de 5 minutes. La possibilité de s’offrir un voyage unique dans les parois de l’ascenseur social. Omar, un coiffeur du quartier, avale sa première tasse de café en grattant. Gratter attise les braises du destin. Quand la main travaille, l’ongle végète dans la féérie des mondes fictifs crées par la Française des Jeux. Mais depuis la fermeture de son café préféré, Omar est orphelin de la petite tasse en porcelaine qui lui servait de carte de visite et qui lui permettait d’entamer une conversation rafraichissante de bon matin. Le gobelet en carton acheté à la boulangerie du coin le remplace. «La fermeture du bar a tué l’âme du boulevard» glisse-t-il avec nostalgie.



L’histoire d’un bar-tabac passé à tabac


La pancarte qui célèbre les gagnants trône toujours devant l’enseigne. Elle récompense les héros anonymes du grattage, caractérise la nature du haut-fait accompli: le montant de la somme empochée. «Ci-gît un ongle victorieux » semble indiquer la pancarte. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les conversations enjouées, les amitiés de passage et les amitiés de longue durée ne font pas l’objet d’une célébration particulière. L’âme du lieu et ses rencontres se sont évaporées en pleine ville. Seuls les souvenirs perdurent.

André, gardien d’un immeuble du quartier et gratteur invétéré depuis 20 ans, se souvient du moment où il est passé de l’ombre à la lumière en un frottement de pièce. En 2009, il remporte la somme de 4000€ en jouant au Goal. La métaphore du sport, très présente dans l’imaginaire des jeux d’argent, transforme le gain en performance. Du jour au lendemain, André devenait la star de l’endroit. «Avant, tout le monde me prenait pour le pilier de bar. On m’appelait l’arbre, tellement je stagnais au comptoir. Depuis que j’ai gagné au Goal, on m’appelle le penalty. »

Mais pourquoi les cafés parisiens disparaissent-ils? Une première explication: les fast-foods et les groupes de restauration rapide ont multiplié, grâce à leur importante capacité financière, le rachat de cafés parisiens convoités pour leur situation stratégique. Une histoire de lutte d’emplacement, mais aussi de renouvellement de l’expérience de consommation.

Les cafés parisiens n’ont plus l’apanage du café. La machine à café, le coffee shop et les lieux qui proposent du café à emporter (boulangeries, restaurants, etc…) concurrencent leur hégémonie. Les habitudes évoluent également. Le télétravail, le raccourcissement des pauses déjeuner et la vente à emporter n’incitent plus les coudes à s’attarder sur le zinc. Heureusement, le phénomène n’est pas uniforme, car les arrondissements du centre de Paris semblent épargnés par les disparitions, d’après l’étude du Crocis.


Le Café de Flore : résidus d’un mythe


Parler de café, c’est désigner à la fois une boisson et un lieu de consommation. Le glissement sémantique, qui s’opère entre l’importation du produit en France au 17e siècle et l’ouverture d’établissements consacrés à sa consommation, est le signe d’un changement de pratique. Produit de raffinement de la Cour parisienne, le café se diffuse peu à peu dans la société pour devenir une boisson populaire et un véritable lieu de sociabilité. Un imaginaire commun se forme autour de ces lieux typiquement parisiens : les cafés littéraires de Saint-Germain en constituent le porte-étendard. La fermeture administrative des cafés parisiens en mars 2020 ne semble pourtant pas avoir écorné l’image de ce mythe. Mais si l’imaginaire existe toujours, est-il encore incarné par de vrais lieux?

À l’inverse des disparitions économiques, forcées et subies par les clients, la recherche de l’authenticité n’est-elle pas une autre forme de disparition du mythe des cafés parisiens? Pour le vérifier, il fallait se rendre au café de Flore, lieu symbolique de l’effervescence des cafés littéraires du début du 20e siècle. De la carte à l’ambiance, en passant par le café avoisinant les 5€, tout est orchestré pour nous donner l’impression d’être à l’époque de Jean-Paul Sartre. Dans ce Disneyland de la littérature, les touristes ont remplacé les écrivains. Les échanges formels – «Coffee and croissant please» - se sont substitués aux débats d’idée.

L’essayiste Jean-Laurent Cassely analyse cette quête d’authenticité dans No Fake. Pour lui, ce qui satisfait les clients d’un café parisien, ce n’est pas le fait que le lieu soit authentique, mais le fait qu’il paraisse authentique. Autrement dit, peu importe que l’authenticité soit mise en scène, du moment que l’on fabrique pour le client des « signes d’authenticité», qui renvoient à la version idéalisée qu’ils se font de l’endroit.

Quand le puriste crie à la disparition des cafés parisiens, le profane se contente de l’illusion du mythe.

Pour en savoir plus :
“Histoire insolite des cafés parisiens”
Éditions Perrin “Au vrai Zinc de Paris”, Editions Parigramme