5 leçons tirées sur l\'amour avec « L\'amour à l\'épreuve du temps »

undefined 29 mai 2018 undefined 17h44

La Rédac'

Qui n'a jamais rêvé de se glisser dans la peau d'un spécialiste pour élucider ses propres problèmes, en apprendre plus sur soi ou tout simplement moins se sentir seul lorsqu'on vit une situation éprouvante ? Jean-Paul Mialet est un psychiatre spécialiste de l'attention, avec 40 ans d'expérience à son actif. Il signe L'amour à l'épreuve du temps, un ouvrage qui appréhende l'amour sous diverses formes, depuis le désir en passant par la fureur d'aimer, la présence de l'autre, la vie à deux ou encore les effets de mode. Voici cinq leçons en cinq extraits que le Bonbon a tirées du livre.

Nous essaierons de ne pas tomber dans la prescription ni dans les mièvreries, mais plutôt, comme l'a fait l'auteur, de livrer des faits individuels qui peuvent éclairer nos lanternes subjectives et faire repartir quelques petits cœurs molestés par des relations houleuses.


1. L'amour est un parcours 

De la première rencontre à la rupture, on franchit une série de paliers, de premières fois qui orientent à coup sûr la relation. En fait, il y a même un avant qui aiguillera cette dernière, sans même parfois qu'on y prête attention : le passé. Celui de votre moitié et le vôtre. Ce passé influencera le parcours de l'amour puisque ce que vous avez vécu auparavant a une incidence sur la manière dont vous appréhendez votre couple, votre avenir, votre quotidien.

Dans son prologue, Mialet use d'une métaphore particulièrement explicite, celle du sac "AMOUR". Il la tire d'une nouvelle publiée dans un quotidien dans laquelle on peut lire que « chacun, en vrac, fourre [dans ce sac] tout son passé puis y écrit en grosses lettres le mot AMOUR, comme on y marquerait FARINE, RIZ ou THE » : l'histoire et les histoires de chacun sont donc des histoires portées par le couple à prendre en compte, et peuvent aider à comprendre la manière dont vous vous comportez face à une situation.

Extrait : « Avant d'embarquer le lecteur dans cette aventure, rappelons encore une évidence : la perspective où je me place n'est pas celle d'un jeune homme mais celle d'un psychiatre suffisamment âgé pour avoir derrière lui une quarantaine d'années de pratique. Cette longue expérience donne sur l'existence – et sur l'amour qui nous agite tous – un recul panoramique. Vu de mon bureau, l'amour ne peut pas être l'émotion d'un instant : il s'inscrit toujours dans une histoire, ce que les représentations imagées du transport amoureux pourraient faire oublier. Dans tous les sacs, on trouve une constante : c'est l'histoire de chacun. C'est une histoire personnelle qui oriente vers cet amour-ci et qui sera en retour influencée par l'expérience d'un nouveau lien. Autant qu'un sentiment, l'amour est aussi un parcours. Et, au cours de son accompagnement, le psychiatre a la chance unique – parfois aussi la charge – d'en observer le déploiement dans la durée, et non dans l'éclat d'un moment. » 


2. La passion n'est pas l'amour

L'auteur consacre son quatrième chapitre à la passion et plus spécifiquement à illustrer la différence entre la passion et l'amour. Pour opérer cette distinction, il y entremêle trois histoires bien différentes : celle d'un de ses patients, Monsieur N. (qui ne vit que par passion avec des femmes beaucoup plus jeunes que lui), l'histoire des deux personnages du roman Un amour de Dino Buzzati qui relate l'amour d'un quinquagénaire pour une prostituée, et La Doctrine du Pur Amour de Roger Parisot qui s'intéresse à la question de l'amour pour Dieu.

Qu'est-ce qui relie tous ces destins ? Selon Mialet, c'est la recherche de l'absolu. Et s'il semble difficile de le contredire, on est plutôt tentés de nuancer son propos. Au début d'une relation amoureuse, si elle ne commence pas par une forte histoire d'amitié, il y a de grandes chances que l'on éprouve de la passion et c'est même tant mieux, en fait. Simplement, la passion implique qu'il est plus difficile (entre autres) de contrôler l'élan possessif inhérent à chaque être humain qui fait que l'on voudrait être "l'unique" auprès de l'autre. Quand la relation entre en rythme de croisière, la passion semble s'estomper (si le couple n'a pas encore implosé sous les coups de l'impulsivité de chacun) et laisse place à l'amour.

Extrait : « La passion n'est décidément pas l'amour, qui implique deux être prêts à mêler leur existence parce qu'ils comptent l'un pour l'autre, et non deux êtres qui tirent parti d'un jeu de cache-cache le sentiment de compter l'un pour l'autre. La passion est ainsi une tentative de s'annexer l'être aimé, de l'isoler de son contexte pour le posséder absolument, en n'offrant plus aucune prise ni au temps ni aux rivaux potentiels et à tout ce qui peut gâter la jouissance totale de l'aimé. »


3. Il y a une vie après l'échec

On rencontre au cours du cinquième chapitre Mme A., à l'existence en apparence parfaite : avocate dans un cabinet prestigieux, elle est à la tête d'un club féminin, mariée avec deux enfants, et elle est à la fois dévouée et méticuleuse. Au moment où elle apprend que son mari la trompe, tout s'effondre... et pourtant. On apprend que sortir de ses modèles établis et s'abandonner permet curieusement de trouver la stabilité. Un modèle parental particulier, des carences affectives, une ambition professionnelle et personnelle trop basse ou trop élevée sont par exemple des modèles auxquels nous sommes tentés de nous conformer. Jeunesse (et pas que), sors donc de tes carcans ! 

Extrait : « Prisonnière de son scénario de femme parfaite, Mme A. n'avait en fait rien vu d'autre que ce qu'elle voulait voir aussi longtemps qu'elle pouvait continuer, s'aveugler pour maintenir intacte son histoire. (...) Elle pensait qu'il n'y aurait que le vide si elle lâchait.(...) Il y avait une autre vie, à condition d'abandonner ce regard manichéen, de grandir, d'accepter le risque de perdre, de ne plus craindre la concurrence : bref, de laisser derrière elle son regard d'enfant. Il y a une vie après l'échec d'un monde où l'on croit éviter l'angoisse de l'abandon par la maîtrise, et où, paradoxalement, on vit toute seule : comme une reine dans son royaume. »


4. Il existe un véritable "culte de l'amour" véhiculé par les médias et ancré dans la culture

Par où commencer... le culte de l'amour dans la culture et les médias est une notion qui mériterait amplement son propre article. Contentons-nous de rappeler que les chansons les plus écoutées au monde sont celles qui parlent d'amour, que les magazines féminins sont bourrés de sujets idéalisant l'amour et le sexe à grands renforts de "conseils" et "astuces", que notre génération a été biberonnée aux Disney et que dans le dernier roman que vous avez lu, les deux protagonistes se sont forcément pécho à un moment.

Dans son prologue, l'auteur considère d'ailleurs que même pour l'amour, il existe des effets de mode. « Il aura fallu un certain temps pour que l'amour revienne à la mode », dit-il, en expliquant ce retour par la fin des Trente Glorieuses et la crise du sida. Dans son premier chapitre dédié au désir, il revient sur la représentation de l'amour en Occident, « toujours dominée par des figures du désir » et écrit qu'aujourd'hui, l'amour est « une valeur première, qui donne le sens de l'existence » et invite ainsi à « sortir l'amour de son emballage publicitaire ». Vous n'êtes pas parfaits ? Heureusement, qu'est-ce que vous seriez ennuyeux autrement.

Extrait : « N'y aurait-il pas deux formes d'amour : celui qu'on vit et celui que l'on idéalise ? L'amour que l'on expose dans les livres, celui qui fait rêver (et vendre) est bien éloigné de ce que l'on peut vivre. (...) Non, l'amour n'est jamais futile, c'est son exploitation abusive qui le rend futile. Et cette façon d'en faire un Graal de pacotille, "l'infini mis à la portée des caniches" » écrit Mialet dans son prologue. 


5. S'émanciper de toutes les formes de dépendance nous permettrait d'être plus libre d'aimer

Pour rappel, Mialet est un spécialiste de l'attention. Il s'appuie sur certaines croyances bouddhistes portant sur l'attention en tant que « condition de l'éclaircissement de la conscience, un des chemins qui mènent au nirvana » et fait le parallèle entre les religions, établissant comme point commun l'affranchissement à la dépendance. Si la dépendance est évidemment connotée négativement, très peu d'êtres humains s'en sont totalement affranchis. Si, comme nous, vous n'êtes ni moines ni frères (qui sont peut-être accro à la prière, qui sait ?), efforcez-vous parfois de vous écouter et de vous demander si vous ne vous êtes pas trop perdus dans la relation au lieu d'en faire partie.

Extrait : « Le juste milieu entre une disponibilité à soi-même et à son monde intérieur et une ouverture hors de soi vers le monde extérieur représente un objectif difficile ; dans les relations que nous entretenons avec ceux qui nous entourent – et plus encore avec notre partenaire de tous les jours, celui que nous aimons –, nous devrions en permanence nous poser la question de ce délicat équilibre, et évaluer à chaque instant où se trouve le fléau de la balance. On a vu combien l'amour était guetté par deux menaces : s'oublier en ne prêtant d'attention qu'à l'autre, ou oublier l'autre en ne prêtant attention qu'à soi-même. »


L'amour à l'épreuve du temps 
De Jean-Paul Mialet, éd. Albin Michel, 2018