Transposer sur grand écran le style, l'essence de ce qui fait la poésie d'un auteur, est un exercice difficile. C'est pourtant ce qu'a réussi à faire Pablo Larraín avec Neruda, et avec beaucoup de brio qui plus est. Son film est un pur joyau, de ces films qui ne rentrent dans aucune catégorie, qui deviennent cultes rien que par leur existence.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire à la lecture du titre, le film de Larraín n'est pas un biopic avec trame narrative chronologique classique, loin s'en faut. Bien que la figure éponyme soit un personnage historique, le grand poète et politicien que l'on connaît, le réalisateur chilien (comme Neruda, il convient de le préciser) compose son film autour de deux personnages, qui se cherchent et se répondent sans jamais se rencontrer, au cours d'un épisode de la vie du poète : sa cavale de deux ans qui l'amènera finalement à Paris où il rejoindra son ami Picasso, entre 1948 et 1950.
Ce film, c'est donc l'histoire de la traque de Pablo Neruda (extraordianaire Luis Gnecco !) par l'inspecteur Óscar Peluchonneau, racontée par ce dernier. Gael García Bernal incarne avec beaucoup de justesse et d'humour ce policier « à moitié bête, à moitié abruti », dont la voix monocorde accompagne le spectateur tout au long du métrage.
Cette voix qui parle à la troisième personne est la meilleure idée du film : elle place le spectateur dans une position de... lecteur, car on entend la voix du fonctionnaire de police comme la sienne propre à la lecture d'un bon polar. Là réside tout le génie de Pablo Larraín, dont le film se regarde comme on lit un poème épique. Au lyrisme de la voix off s'ajoute une photographie aux nuances passées, entre orgies dans les bordels de Santiago et plans surexposés, filmés à l'épaule, dans les montagnes de la Cordillière des Andes. Deux niveaux de poésie pour deux niveaux de lecture.
« Tu es un personnage de fiction, nous gravitons tous autour du personnage principal » dit, en substance, la femme de Neruda à un Peluchonneau de plus en plus proche du but. Mais qui écrit l'histoire ? La vérité explose dans une gerbe de neige et de sang, sous un soleil de montagne, dans le froid. Et pourtant, la voix du poète continue de résonner, jusque dans les cafés de Paris...
Almodóvar l'a dit lui-même en décembre, c'est le plus beau film qu'il ait vu cette année. Comment ne pas être d'accord ?
Neruda, de Pablo Larraín
Avec Gael García Bernal et Luis Gnecco
En ce moment en salles