Jeff Nichols confirme avec le très beau Loving

undefined 20 février 2017 undefined 00h00

Louis Haeffner

Il y a des films qui font automatiquement passer un réalisateur du statut d'espoir du cinéma indépendant à celui de réalisateur majeur. Comme au foot, tout se joue parfois sur un match. Rester en Ligue 1 dans le ventre mou du championnat ou devenir une idôle à Manchester United. Avec Loving, Jeff Nichols s'est transféré lui-même au Real Madrid. 


On suit donc les mésaventures du couple Loving, composé de Joel Edgerton et Ruth Negga, tous deux presque inconnus et absolument parfaits. Richard Loving sort avec Mildred, enceinte depuis peu. Leur situation se complique lorsque s'étant marié à Washington, ils sont expulsés de Virginie, l'Etat n'autorisant pas le mariage mixte. On connaît la suite de l'histoire, l'affaire remontera devant les tribunaux de la Cour Suprême et fera jurisprudence, l'arrêt "Loving v. Virginia" symbolisant désormais le droit de s'aimer pour tous, sans aucune distinction d'origine.

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Nichols filme tout cela avec une sensibilité et une minutie confinant à la contemplation. C'est lent, mais on ne voit pas le temps passer. Pas de grandes scènes déclamatoires ici, ou de montages retraçant l'évolution de l'affaire, mais une succession de tableaux superbes, aux couleurs quelque peu vintage ; la photo est superbe, elle se suffirait presque à elle-même. Une galerie de personnages secondaires hauts en couleur et délicieusement interprétés vient cependant apporter le souffle narratif qui aurait pu manquer au métrage, mais ce qui importe réellement dans Loving, ce sont les silences, les regards, les expressions, intenses, de l'amour qui cimente ce couple historique.

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Depuis Take Shelter, on connaît l'affection de Nichols pour les grands espaces et les plans d'ensemble silencieux. Ce natif de l'Arkansas laisse ainsi avec beaucoup de grâce le soin à la nature de se révéler et d'imposer sa domination sur l'Homme, par la démesure de sa beauté, de ses détails, par la musique qu'elle joue en permanence. Le calme a chez Nichols une importance didactique : il permet à la fois de rythmer le récit, comme un silence dans une partition, mais également de permettre au spectateur de se concentrer sur ses propres impressions. C'était déjà prégnant dans Take Shelter ou Midnight Special, où les nombreux plans fixes permettaient de souligner l'étrange, le surnaturel, mais c'est ici tout ce qui fait l'immense beauté de Loving.

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Partir d'un cas juridique historique pour en faire un film d'une résonnance naturaliste telle, c'est le tour de force de Nichols, qui transforme l'essai et montre là son immense maîtrise technique, mais également sa capacité à émouvoir le public avec de simples images. Tiens d'ailleurs, ne serait-ce pas ce qu'on demande à un grand cinéaste ?


Loving
, de Jeff Nichols

Avec Joel Edgerton, Ruth Negga
Actuellement en salles