[ITW] Catastrophe, entre pop française et expérimentation poétique

undefined 8 mars 2019 undefined 11h05

Sarah Leris

Insaisissable, interpellant, inattendu mais beau. Quand il faut décrire les Français qui forment le collectif Catastrophe, on choisit bien ses mots, non par peur de se tromper, mais pour être au plus proche de la vérité, pour leur être fidèle. Une chose est sûre, impossible de rester de marbre face à ce kaléidoscope de genres musicaux dans la lignée de l'avant-garde française. On aurait voulu garder cette anecdote pour nous, mais au final, rien ne reflète mieux Catastrophe qu'un concert sous des trombes d'eau et pourtant si joyeux, si magique et poétique qu'un an plus tard, on ne s'en est toujours pas remis. À l'occasion de son passage au Printemps de Bourges le 19 avril prochain, rencontre avec un groupe de pop française (mais pas que) qui repousse les limites, qui fait voyager, dont la prose inspire, qui est adulé par les plus grands, et puis par nous aussi.


Pourquoi Catastrophe ?

Pour essayer d'exorciser l'inquiétude qui a cours aujourd'hui, de la transformer en autre chose, en danse, en rires, en musique.   


Vous formez un collectif qui peut compter jusqu'à 20 personnes. Ça a commencé comment ?

C'est vrai que nous avons été beaucoup, surtout dans les débuts, mais maintenant nous sommes 7. Nous sommes fixes. Catastrophe a commencé très aléatoirement et joyeusement dans un squat nommé l’Amour en 2015. À ce stade, nous faisions des sortes "d'opéras pauvres", dans un mélange d'amateurisme et de mégalomanie, ce qui donnait des choses étonnantes à voir. Et à l'époque, effectivement, le groupe pouvait monter jusqu'à 20 personnes : danseurs, musiciens, scénographes en pagaille. Tout ça a continué plus tard chez "Madame Arthur", un cabaret transformiste où l'on se retrouvait tous les mois. Nous ne savions pas où nous allions mais nous y allions franchement, avec l'énergie du désespoir. Depuis, il y a eu beaucoup de métamorphoses, le projet s'est "vertébré", sans toutefois perdre – on l'espère – l'étincelle de folie.


Comment trouve-t-on sa place individuelle dans un aussi grand groupe ? Où est la part de personnel dans votre musique ?

Le groupe n’est pas si grand ! Et les rôles bien définis : nous avons chacun nos spécialités et nos couleurs, comme les Power Rangers. Pierre compose la musique et imagine, Arthur est une bête de scène, Blandine écrit et danse, Carol et Bastien tiennent la section rythmique, Pablo est à la basse, Mathilde a une technique vocale qui nous subjugue. Et nous nous efforçons tous d’avoir de la curiosité pour les spécialités des autres, de nous contaminer, tous, réciproquement.


C’était quoi votre première chanson ?

La toute première chanson de Catastrophe s'appelle Aria 140.66. C'est une balade triste, qui commence par un saut d'octave. 


Quelles sont vos influences ?

Tout ce que nous aimons nous influence ! Les comédies musicales de Stephen Sondheim. La série des Tiny Desk concerts. Une mèche de cheveux. Le silence.


Vous jouez au Printemps de Bourges le 19 avril prochain. Ça vous fait quoi ?

Ça fait envie et hâte.


C'est un festival très réputé... Vous faites comment pour affronter le stress ? Vous avez des rituels ?

Oui : avant chaque concert, nous donnons naissance à un “égrégore”. Qu'est-ce qu'un "égregore" ? C’est une entité invisible, qui naît lorsque plusieurs personnes se réunissent dans un but commun. Nous nous mettons en cercle, bras dessus-dessous, et silencieusement nous essayons de nous délester de nous-mêmes, et nous soufflons sur cette boule invisible, qui grossit, et nous porte chance, et nous prête main forte pendant toute la durée du concert. C’est tendre et, tout de même, un peu rieur.


On vous a vu sur scène à la Villa Noailles l’année dernière, lorsqu’une averse a démarré en même temps que votre concert. Ils sont toujours aussi poétiques vos concerts ou c’était un coup de chance incroyable ?

C'est toujours un coup de chance quand l'inattendu apparaît. Lorsque tout est suspendu à un fil, on les regarde autrement. La pluie, au Midi Festival, avait des allures de châtiment divin, il y avait quelque chose de presque mythologique, parce qu’elle venait juste de faire annuler les deux dernières soirées, et que le sort s'acharnait contre le festival. On était un peu les survivants. Alors quand elle est arrivée, on ne s’est pas démonté et on a continué comme si de rien n'était. On a monté des barnums pour éviter les électrocutions et autre aquaplannings hors de propos. Pierre continuait à jouer, sous une bâche et sans plus rien voir, comme un fantôme. Chaque concert a sa poésie. Ça peut être le regard perçant de quelqu’un dans la foule, la qualité particulière d'un silence.

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Sur scène, vous demandez au public d’écrire ses peurs sur des morceaux de papier avant de les manger. C’est une manière de l’impliquer ou plutôt de le rassurer ?

On ne cherche surtout pas à rassurer le public, mais à le sortir de sa situation de spectateur, à l'emporter là où il ne savait pas qu’il irait. Lorsqu’on cherche sa peur la plus grande, on rentre en soi et on essaye d’être sincère, pour trouver ce qui profondément nous fout les pétoches. Ce n’est pas obligatoire et totalement anonyme, alors chacun fait ce qu’il veut, si le public joue le jeu ça nous donne encore plus envie de le surprendre, c’est une invitation.


Et vous, c’est quoi vos plus grandes peurs ?

D’être les seuls à jouer sans doute. De se répéter aussi. De devenir bête sans s'en rendre compte. De ne plus s'étonner de rien. De cesser de tenter de faire mieux. De faire comme si. De laisser tomber, de baisser les bras. La peur de cligner les yeux et de rater le moment. De ne plus être vivant à l'intérieur de ce qu'on fait.


Ça fait quoi d’être admiré par Étienne Daho ? Il vous a beaucoup aidé ?

C'est une chance ! Étienne Daho est une véritable bombe de sensibilité, d'innocence et de jeunesse. Le rencontrer était déjà un cadeau en soit. Il a beaucoup parlé de nous autour de lui et puis nous a fait une place dans sa très belle exposition sur la pop française à la Philharmonie.


Et Bertrand Burgalat ?

Bertrand nous a vraiment inondés d’ondes positives et nous a laissé une liberté maximale pour créer. C’est un musicien lui-même, qui sait que créer peut prendre du temps, et ce temps il nous l’a offert, les yeux fermés, sans vraiment savoir ce que nous allions faire. Il ne projette rien sur Catastrophe, et n'est pour nous qu'un miroir, et nous laisse faire. C’est sans doute la première personne que nous voulons surprendre et épater. Il est le premier à nous rappeler qu'il faut toujours mettre la barre le plus haut possible, et répète sans cesse, comme dans une chanson de Léo Ferré : "Tu peux tout faire". C'est une phrase qu'on ne répète jamais assez.


Vous nous racontez votre rencontre avec lui ?

C’était à l'enregistrement d’une émission de radio qu’on animait dans les sous-sols de radio Science-Po, The Karl Popper’s show. Nous l’avions invité pour lui poser des questions étranges parce qu’il nous fascinait. Nous avons beaucoup ri, pendant l’enregistrement et après, depuis nous ne nous sommes jamais vraiment quittés.

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Quel est le lieu où vous rêveriez de jouer ?

Sans hésiter : Les Bouffes du Nord, de Peter Brook.


Et avec quel artiste vous aimeriez partager la scène ?

Nous sommes fous de David Byrne, qui propose actuellement le meilleur show du monde, avec son American Utopia Tour. Allez voir ça sur YouTube.


Vous écoutez quoi en ce moment ? Est-ce qu'il y a des artistes qui vous touchent particulièrement ?

Beaucoup, oui ! Alicia Keys pour la force et le charme. La géniale "Tank" de "Tank and the Bangas" pour sa manière de parler sur la musique, en regardant les gens dans les yeux. PJ Morton. Hubert Lenoir. Orelsan et Lomepal parce qu’ils sont directs, malins, et émouvants, et qu'ils savent toujours de quoi ils parlent. Flavien Berger, la douce et chavirante Solange, l’espiègle Chassol, les pétulants Kokoko !, Benny Sings. À part ça, Bastien écoute Music With Changing Parts de Philipp Glass pour s'endormir.


Le dernier concert qui vous a chamboulé ?

David Byrne, sans hésitation, au Zénith de Paris.


Vous sortez où à Paris ?

Dans des appartements. Nous mangeons parfois à l'Afghani, un restaurant afghan sur la butte Montmartre. En semaine nous allons au Complot, chez Marinette ou au Banco.


Si on vous invite à faire une pétanque, vous venez ?

Et si on allait plutôt faire de l'escalade, près de Paris, sur une de ces structures multicolores ? 

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Label Tricatel
En concert le 19/04 au Printemps de Bourges