[ITW] Alexis Michalik, prodige de la mise en scène, présente son histoire d'amour sur grand écran

undefined 21 avril 2023 undefined 10h37

Sarah Leris

Est ce quon peut se remettre de nimporte quel chagrin damour Alexis ?

C’est la question que pose le film. Oui en théorie, mais en pratique ça dépend de ce quon a vécu, de l’importance de l’histoire, de l’impact que ça a eu sur nous, sur notre vie… Je pense qu’on peut être vraiment persuadé qu’on ne va jamais se remettre d’une histoire et puis rencontrer quelqu’un le mois suivant et oublier complètement qu’on s’était persuadé de ça. Moi j’ai eu de belles histoires qui seront belles à jamais puisqu’elles sont finies. Mais les pires ruptures sont celles qu’on n’avait pas vu venir, quand ça s’arrête d’un coup, qu’on n’était pas préparé. C’est à la suite d’une rupture que j’ai écrit cette histoire, pour m’intéresser à ce qui reste après l’amour, et comment on recommence à aimer, est-ce qu’on s’en remet, est-ce qu’on oublie l’autre…


Écrire sur ce sujet, ça aide à y voir plus clair ?

Il y a un côté cathartique, c’est sûr. Et puis au-delà de ça, on a la sensation d’avoir sorti quelque chose de positif d’un truc négatif, puisque ça va émouvoir d’autres gens, on se dit qu’au moins, on arrive à transmettre à d’autres les émotions qui nous traversent. C’est quelque chose de chouette et c’est le propre de l’art. Quand j’ai gagné mon Molière de la mise en scène, j’ai  même remercié mon ex sans qui cette pièce n’aurait pas existé !


Dans Une histoire d’amour, ta vision de l’amour est assez optimiste, presque spinozienne. Tu te sens proche de sa théorie ? L’amour c’est la possibilité de jouir de la présence de l’autre et de l’instant présent ?

J’ai cette vision optimiste oui. Mon personnage en parle dans le film lorsqu’il s’adresse à la petite dans le supermarché, elle lui demande comment est-ce qu’elle saura quand elle sera amoureuse et qu’est-ce qu’il aura de spécial, et lui répond : « Bah par exemple il te fera rire et toi tu le feras rire, quand tu n’iras pas bien il saura trouver les mots pour que tu ailles mieux, et il te laissera être toi-même et du coup tu t’aimeras mieux qu’avant ». Je pense que c’est ça ma définition de l’amour, c’est être avec quelqu’un qui nous laisse être nous-même et qui nous permet de mieux nous aimer.


Reprendre les comédiens originaux, c’est une manière de faire un film plus authentique ? En famille ?

Complètement. Si j’ai l’opportunité de faire ça et d’être libéré des contingences, c’est génial. Je n’aime pas trop manager des égos et j’aime travailler avec des gens qui sont contents d’être là et qui sont conscients de la chance que c’est. Quand je passe tout ce temps à écrire un rôle et à le travailler, à essayer de monter un film, c’est beaucoup de boulot. Un rôle c’est un cadeau, et j’aime bien que la personne qui va le recevoir en soit vraiment contente. Faire ce film en famille et être avec les gens qu’on aime, c’est un luxe, et ça se ressent sur le plateau puisque ça va vite, il y a une confiance mutuelle.


La pièce a été jouée plus de 400 fois avant d’être mise en boîte. C’était la suite logique pour un spectacle aussi acclamé que celui-ci ?

Ça n’avait pas grand-chose à voir puisqu’au moment où on a décidé de faire le film la pièce n’avait joué que deux mois et puis il y a eu le confinement. Moi je ne m’imaginais pas du tout en faire un film, c’est le public qui me répétait qu’il faudrait le faire alors j’ai essayé de me mettre au boulot. Quand j’ai écrit le scénario j’étais beaucoup moins confiant qu’avec Edmond, j’ai rarement été autant en doute que sur cette aventure parce que quand je me lance dans une histoire ou une création, ça vient habituellement de mon fait, e sais ce que je veux raconter, je sais où je vais, je sais ce que je cherche comme émotion, comme dosage d’humour, comme longueur… Mais ce qui me motivait c’était d’emmener l’équipe avec moi, de me battre, d’aller au bout du truc. J’étais vraiment content quand le film a été projeté pour la première fois en public, à Angoulême, on avait les réactions de spectateurs qui pleuraient, riaient, applaudissaient… Et là, ok, tu te dis que tu n’as peut-être pas raté ton coup.


Comment on s’y prend pour passer de la mise en scène à la réalisation sur une pièce pareille ?

Il fallait enlever la théâtralité, je ne voulais pas qu’on remarque que le film était l’adaptation d’une pièce. Alors j’ai enlevé du dialogue et j’ai rajouté des décors, il en fallait plein pour qu’on ait l’impression de traverser 15 ans de vie et que ça avait été un long tournage. Quant aux dialogues, il y a des punchlines qui étaient trop théâtrales, qui sont pourtant des marqueurs sur scène mais qui ne fonctionnaient pas du tout à l’écran. C’est une autre écriture et une autre façon de jouer.


« L’amour, c’est être avec quelqu’un qui nous laisse être nous-même et qui nous permet de mieux nous aimer. »


Cette pièce tourne autour du thème de l’amour qui n’est pas ton sujet de prédilection. C’est un sujet inépuisable dans l’écriture ou ça t’est simplement tombé dessus à ce moment de ta vie ?

Ce n’est pas mon thème principal dans le reste de mon travail et ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Moi ce qui m’intéresse le plus ce sont plutôt les failles, les souffrances, les questionnements, les doutes… C’est ça qui donne de l’épaisseur à un personnage. 


La mort est omniprésente dans l’histoire du film. Comme pour prendre une revanche sur elle ?

J’ai toujours eu une hyper conscience de l’inéluctabilité de la mort et du temps qui passe, ce qui fait que j’ai toujours fait les choses très vite. Ça me déprime que ça doive s’arrêter un jour, c’est une chose sur laquelle je n’ai pas de prise, or moi je suis toujours dans le contrôle. Pour conjurer ça j’essaie de faire le maximum de choses pour ne pas y penser, c’est pourquoi le message qui sort de la plupart de mes œuvres c’est qu’il faut créer, créer et créer encore, et la morale est plus une pulsion de vie que de dépression. Malgré l’omniprésence de la mort, malgré la chute, malgré la rupture, il y a toujours de l’amour et de la place pour ceux qui survivent.


Ça te force aussi à vivre vite dans ton quotidien ?

Oui, mon obsession est de gagner du temps pour en avoir. Je passe ma vie à gagner du temps et à tout anticiper. Ça passe par recevoir les journalistes chez moi pour faire les interviews plutôt que me déplacer une demi-heure pour aller dans un café, gagner du temps sur les répétitions, bien organiser ma journée… Les années m’ont appris que toutes les choses que j’ai faites en anticipant m’ont servi. Quand je me retourne en arrière, je vois qu’une graine qu’on a planté il y a dix ans peut être devenue une entreprise, une œuvre, une famille…

© Une histoire d'amour / Alexis Michalik


Tu te sens plus sage aujourd’hui ?

Je suis plus apaisé qu’il y a quelques années. J’ai moins ce besoin d’exister, puisque en quelque sorte j’existe, je me suis prouvé que j’étais capable de faire des trucs, un film, un bouquin, d’aller au bout. Maintenant je peux prendre du recul et créer en ayant moins l’angoisse de me demander si tout n’est pas vain.


Tu aimes être là où on ne t’attend pas ?

Oui, je change complètement de territoire d’une œuvre à l’autre, pas pour surprendre les gens mais parce que j’ai envie d’explorer un autre domaine, traiter un autre sujet, et parce que l’histoire m’y porte. Je ne referai jamais une œuvre historique qui pourrait se rapprocher d’Edmond, je ne voudrais pas qu’on les compare. Ça me challenge car quand on s’aventure hors de ce qu’on connait on est dos au mur et on est obligé d’être créatif.


Et toi, tu aimes quoi en tant que spectateur ?

Comme je suis scénariste, j’aime être surpris par une histoire et ne pas être capable d’en donner la fin au bout de dix minutes. Quand ça arrive et que je suis surpris jusqu’à la fin, c’est l’exception et ça me marque. Cette année, le film qui m’a mis par terre c’est Everything, Everywhere, All at once, et de la même manière il y a une série animée qui s’appelle Undone, que personne n’a vue et qui est incroyable. Quand je vois ça, je me demande comment je pourrais prendre cette espèce de multiverse, et l’utiliser dans mes œuvres. Il n’est pas impossible qu’un jour une œuvre naisse et soit la conséquence de ça.

© Arnaud JUHERIAN

Une histoire d’amour
Actuellement au cinéma