\"Ava\", de Claude Nori à la Nouvelle Vague en passant par Magritte

undefined 26 juin 2017 undefined 17h10

Louis Haeffner

Avec un premier film ambitieux, visuellement très réussi et truffé de références à ceux qu'on imagine être ses modèles artistiques, Léa Mysius dessine les contours d'un univers esthétique qu'on a déjà hâte de revoir. Ava, son personnage éponyme, qui pose sur le monde un regard presque trop adulte, semble très pressée de vivre, d'expérimenter ; comme sa créatrice, apparemment.


Ça commence comme si l'on pénétrait dans une photographie de Claude Nori. A l'image, une plage bondée et bourdonnante, des couleurs saturées, un grain suranné, le soleil qui pique et le bruit des vagues, comme étouffé par la chaleur. La scène se déroule pourtant à notre époque : un grand et superbe chien noir se balade la langue pendante et enjambe les touristes amusés, jusqu'à plonger son museau dans la barquette de frites d'une adolescente assoupie... qui ouvre les yeux sur la gueule noire et pousse un petit cri effrayé. Cette jeune femme, c'est Ava - incarnée par Noée Abita, des grands yeux curieux et une bouche à la Adèle Exarchopoulos, un talent déjà bien affirmé -, 13 ans, qui passe son été ici avec sa mère - Laure Calamy, excellente -, une femme seule un peu nympho. Quand elle apprend que la maladie des yeux d'Ava s'accélère et que bientôt elle ne verra plus, elle décide que ces vacances seront les meilleures de leur vie. 

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Quand le jour tombe, Ava ne voit plus, mais son univers, étrangement, plutôt que de se restreindre, s'étend. C'est la nuit qu'elle retrouve le chien noir de la première scène, qui appartient en fait à Juan, un jeune gitan ; c'est aussi la nuit qu'elle passera avec lui, après avoir soigné sa blessure. Ava passe de la peur de la cécité à une certaine appropriation de sa peur comme du domaine de tous les possibles, une notion que l'on appréhende dans une scène de rêve absolument superbe et surréaliste, où la représentation du sens de la vue et de sa perte est symbolisé par une esthétique aussi cauchemardesque qu'artistique, proche de celle de Magritte. Le rêve et l'inconscient n'étaient-ils d'ailleurs pas les forces psychiques utilisées par les surréalistes pour se représenter le monde ? Notre réalisatrice utilise cette esthétique si particulière avec un à propos désarmant, tout en l'intègrant au métrage comme une plus-value stylistique. Un coup de maître.

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La dernière affiliation évidente repérée dans Ava, et qui est représentative du cinéma que Léa Mysius entend produire, c'est cette longue scène de vol des touristes sur la plage. Couverts d'argile, habillés seulement de pagnes faits de branchages et d'algues et armés d'une carabine Winchester, nos deux jeunes adultes dévalisent sans vergogne des touristes nudistes mi-apeurés mi-amusés. C'est le climax du film, une scène étrangement distancée du récit, ou tout du moins de son aspect réaliste, pour offrir au spectateur un moment de pure innocence et de bonheur débridé. La mise en scène presque abstraite, la plage, le côté hors-la-loi et bien sûr l'aspect bleuté de l'argile qui recouvre le corps de nos héros fait tout de suite penser à Pierrot le fou, et l'on ne se mouille que très peu en affirmant avoir affaire là à un clin d'œil plus qu'appuyé au chef-d'œuvre de Godard, étendard sacré de la Nouvelle Vague, dont l'on retrouve également les codes dans la toute dernière séquence du film qui se fige sur le visage rigolard d'Ava, en noir et blanc... musique, générique. 

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Ava impressionne donc par la finesse de son propos, sa construction à plusieurs niveaux de lecture, un univers esthétique qui mélange les références et les idées brillantes, des acteurs excellents et une réalisation de caractère. Ça fait beaucoup pour un premier film, que l'on peut dès lors considérer comme une éclatante réussite. Vivement les prochains !


Ava
, de Léa Mysius

Avec Noée Abita, Laure Calamy et Juan Cano
En ce moment en salles