Chronique cannoise #2 : pas si Redoutable

undefined 23 mai 2017 undefined 00h00

La Rédac'

Réveil brutal et en sueur. Putain, on est quel jour ? Il est 4h du matin, je suis dans mon lit. Ce qui devait être une petite sieste postprandiale à 17h dimanche s'est transformé en nuit entière. Mon corps s'est mis en mode veille et il était impossible d’en sortir. La bonne nouvelle, c'est que mon réveil à 8h du matin fut doux et sans bouche pâteuse, et ça, ça vaut de l’or à Cannes.

Enfin un peu de calme après un samedi soir mouvementé comme rarement. La cousine de Björk qui me tourne autour au Silencio, la fête qui se poursuit au Baron avec Christopher Laessø, l'acteur génial de The Square. Des longues discussions sur le film et son travail d'acteur, lui qui signe ici son tout premier grand rôle dans un film majeur. Sa simplicité et sa bienveillance m'ont particulièrement touché. Vous le comprenez bien, la soirée s'est éternisée dans un fabuleux appartement d'un jeune producteur de Los Angeles et c'est au petit matin que ma carcasse a daigné rentrer.

Ce sera donc un dimanche écourté avec la projection de Before We Vanish de Kiyoshi Kurosawa (Un certain regard). Cela fait du bien de retrouver un peu de science-fiction après l’ultra-réalisme d'hier, et cette claque toujours bien présente en tête et sous mon visage rougi par le soleil qui tape à 120 battements par minute. C’est un film sans prétention, redite de film complotiste sur l’envahissement de la Terre que l’on a souvent vu, mais d’une justesse dans la mise en scène qui n’a rien de surprenant au regard de l’excellent travail de Kurosawa dans le passé, et notamment à Cannes (Real, Le secret de la chambre noire). Quelques scènes ressortent et marquent, comme cette jeune écolière goûtant le sang sur ses mains, d’une passivité absolue et bien entendu inhumaine face à un carnage. L’émotion ou plutôt son absence est le cœur de ce film de genre. Et même si le message est un peu suranné et encore une fois, loin d’être novateur, on se prend assez bien au jeu avec cette enquête menée par Sakurai, un journaliste local. Loin d’être un coup de cœur, Before We Vanish est une sucrerie qui colle aux dents, et sans arrière-goût. Mais il s’apprécie à sa juste valeur et à son niveau, comme un bon film de science-fiction contemporain.

La journée s’annonce bien plus chargée que ma mise au repos forcée d’hier. On reprend la routine du journaliste à Cannes, une bouteille de San Pe et un pain au chocolat pour gagner un peu de temps dans la file d’attente. Le soleil est toujours aussi perçant, et c’est avec grand plaisir que l’on retrouve la fraîcheur d’une salle obscure. Après un zieutage en règle sur les retours très mauvais des journalistes sur Twitter, je pars avec l’appréhension d’un bide magistral pour la projection de The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach (sélection officielle). Organisé en quatre chapitres portant les noms des quatre membres de la famille Meyerowitz, Baumbach séquence son film pour mieux appuyer la dissonance et l’éclectisme de cette famille hors-norme, éclatée par les mariages mais avec comme point d'attache central le père, joué par un brillant Dustin Hoffman. La famille Tenenbaum de Wes Anderson - déjà avec Ben Stiller -, et bien entendu le travail comique de Woody Allen sortent comme principales sources d’inspiration de ce joli foutoir : un artiste raté, une belle-mère alcoolique, une fille dépressive et le Rémi sans boulot qui traine encore chez papa joué par Adam Sandler. Loin d’être déplaisant, The Meyerowitz Stories choque par sa sélection en compétition officielle. Plutôt banal, sans grande portée esthétique ou philosophique, je me demande sincèrement pourquoi Lescure et consorts ont choisi ce film à l’origine en plus d’une polémique sur la Croisette (produit par Netflix, souvent sifflé à l’apparition du logo). Mais ne serait-ce pas là justement la banalisation du cinéma, de ses codes et donc forcément une perte qualitative obligatoire que l’apparition de productions Netflix ? Eh oui, ce film ne sortira apparemment pas en salles, et restera uniquement sur la plateforme. Je trouve que sa sélection (et d’autant plus pour un film d’une telle banalité crasse) n’est pas un bon message pour le cinéma mondial. Et je crois qu’il est pour ce sujet précis de bon ton d’être un brin réactionnaire et protectionniste. Même moi je suis bien embêté à vous tirer quoi que ce soit de ce long métrage excepté quelques blagues bien senties, de l’humour situationnel bien amené mais mon Dieu, ce petit plaisir coupable est des plus éphémères car rien ne porte le film à part son humeur. Loin d’être un navet, The Meyerowitz Stories est en effet un bon film à regarder dans son lit, les volets fermés, à 14h un lendemain de cuite, sur son petit écran d’ordinateur.

La prochaine séance s’enchaine et c’est avec délectation que je m’installe devant Le Redoutable de M. Hazanavicius (sélection officielle). Je n’en attends pas grand-chose à part une possible explosion en plein vol. Alors, qu’en est-il ? Eh bien Le Redoutable est à l’image de son metteur en scène, sans profondeur ni réflexion, futile mais léger et pas si désagréable. Tout comme dans The Search il y a un an, Hazanavicius reste persuadé d’être un grand réalisateur et s’oblige de surcroît à faire jouer une mauvaise actrice (Bérénice Bejo, sa femme). On voit alors naître un film sans aucune vision esthétique (car les vaines tentatives de clin d’œil à Godard sont terriblement gênantes, comme ces regards spectateurs) ni réflexion ou message particulier (aucune prise de position à part celle de préférer le Godard d’A bout de souffle à celui de l’époque Dziga Vertov, et là encore, le film n’ouvre même pas le débat). Et si l’on rajoute à cet ensemble bien superficiel cette fameuse prétention qui surgit à l’écran, on a un ensemble très faible. Faible mais tout de même pas ridicule. On prend plaisir à aimer le Godard détestable qui finira par se couper du monde, on aime sa rhétorique et son flegme légendaires, on s’amuse d’un humour bien amené et on applaudit la performance à la fois capillaire et vocale (le zozotement) de Louis Garrel. Là où Hazanavicius est le meilleur, c’est avec ses OSS et des comédies parfaitement maîtrisées. Il perd totalement pied lorsqu’il s’attaque à des sujets qui le dépassent. Godard tuant Godard, le sujet est bien trop lourd pour un amuseur de place publique. Moins pire que prévu, mais tout de même très faiblard.

Pour conclure ce lundi, The Villainess de Byung-gil Jung (hors-compétition). Ah putain que c’est bon de lâcher les chiens avec un bon film de bourrin, de l’hémoglobine qui gicle et des scènes de tuerie crados, mais comme souvent dans le cinéma sud-coréen, sur-esthétisées. La première scène a récolté une volée d’applaudissements pour sa vision à la première personne en mode Doom, ça donne un peu la nausée, la caméra gigotte de partout mais on y est carrément dans les yeux de cette jeune femme, tueuse professionnelle, venue dégommer tout un gang de mafieux à elle seule pour venger la mort de son mari (qu’elle croit l’idiote ! car le scénario un peu bancal nous amuse de twists à répétition, mais je n’irai pas plus loin pour vous laisser la surprise). Sook-He est une ancienne tueuse à gage, chopée par les flics et transformée en agent dormant à Séoul. Pendant 10 ans, elle doit se tenir prête à réaliser des contrats, pour qu’ensuite le gouvernement puisse la laisser tranquille, et notamment mener cette fameuse "vie normale" tant souhaitée pour élever sa petite fille. Vous imaginez bien la suite, rien ne se passe comme prévu, chaud chaud cacao pour la petite fille, et puis la tuerie continue et s’étale sur deux heures un peu longues. Mine de rien, c’est sacrément jouissif, un peu bâclé au niveau scénaristique mais ce n’est pas là qu’on attendait Byung-gil Jung qui nous sert une bonne soupe sanguinolente de vengeance.


Par Pierig Leray