La folle vie d’Ed van der Elsken au Jeu de Paume

undefined 17 juillet 2017 undefined 17h34

Olivia

Cet été le Jeu de Paume met à l’honneur le photographe néerlandais Ed van der Elsken (1925-1990). Son nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant il est considéré comme une figure unique de la photographie et du cinéma documentaire des Pays-Bas du XXe siècle. Avec pour domaine de prédilection la rue, il capture entre autres les instants de vie des années 1950 à 1980 à Paris, Amsterdam ou Tokyo. Celui qui disait « montre qui tu es » à ses sujets a effectué un travail fascinant, qui à l’heure de notre obsession pour le selfie, trouve une résonance toute particulière dans notre relation à l’image.

Le photographe d’une jeunesse parisienne sans avenir

Lorsqu’il arrive à Paris dans les années 50, il est l’un des premiers à avoir une approche nouvelle de la jeunesse dans ses photographies. « A Paris dans les années 50 j’étais sombre », déclare-t-il. Il y fait le portrait d’une génération en marge de la société qu’il publie dans son premier ouvrage Une histoire d’amour à Saint-Germain-des-Prés en 1956. Récit autobiographique et fiction se mêlent dans ce roman-photo où il montre des jeunes sans avenir dans le Paris d’après-guerre.

Sa muse, Vali Myers, une artiste australienne proche de Cocteau, est un des personnages principaux de ses photos. Fascinée par cet ouvrage, Patti Smith déclare à Vanity Fair en avril 2011 : « J’ai été particulièrement captivée par l’image d’une fille, un genre de fille que je n’avais jamais vu auparavant. C’était Vali Myers, la beatnik gitane mystique sorcière qui régnait sur les rues trempées de pluie. Avec sa chevelure sauvage, ses yeux cernés de khôl, son grand imperméable, sa cigarette, elle s’offrait avec abandon et retenue ».

expo-photoVali Myers (Ann) devant son miroirParis, 1953 © Ed Van der Elsken

Le photographe d’une Afrique authentique

A la fin des années 50, il entame son premier long voyage en Afrique Centrale. « Il est à la recherche d’une Afrique authentique qui n’existe plus », commente Hripsimé Visser, commissaire de l’exposition. « Mais sa façon de photographier est beaucoup trop expressive pour être authentique. » C’est à ce moment que sa technique se sophistique. Il commence à utiliser le flash et donne ainsi du relief à ses photos prises de nuit. L’Afrique contemporaine – des voitures ou les blancs – est absente, c’est au contraire l’Afrique des rituels, des chasses, qu’il s’attache à représenter.

afrique"Guérisseur" exécutant une danse rituelle pour une bonne chasseOubangui-Chari (République centrafricaine), 1957 (2016) © Ed van der Elsken

Le photographe de rue

En 1959, il débute avec sa femme un tour du monde, période au cours de laquelle il affirme son style personnel et notamment cette particularité qu’il a de suivre le sujet. A propos d’une série de huit photos d’une femme au Vietnam capturée sous différents angles, Hripsimé Visser explique qu’il s’agit là de cette approche typique qu’il a « de tourner autour du sujet ». C’est aux Philippines qu’il devient le photographe de rue, poursuit-elle, qu’il se concentre sur « des petites situations » et accentue l’expressivité des gens. Au cours de son périple, il sera marqué par tous ces gens qui « essayent de survivre » et s’attachera ainsi à montrer cela. « Le voyage autour du monde m’a appris la résilience des êtres » déclare-t-il. Sa photographie d’un couple qui a installé un petit musée dans le désert de Mojave est emblématique de cette volonté de représenter des personnes qui tentent de s’en sortir, de façon quasiment absurde. 

expo-photoLos Angeles
États-Unis, 1960, Ed van der Elsken

Elsken est aussi un cinéaste. Plusieurs de ses films sont projetés au cours de l’expo, et l’on remarque ainsi la ressemblance entre ses films et ses photos. Ils ont les mêmes sujets et la même approche – celle du “cinéma vérité“. « Il essayait le plus possible de travailler tout seul, il voulait que la caméra soit une extension de son corps », confie Hripsimé Visser. Certaines de ses photos ont cet aspect filmique, comme celle d’un couple à Los Angeles dans les années 60 que l’on voit de dos, avec cette “fermeture au noir” typique des fins de films.

Le photographe du Japon

L’exposition se clôt avec le thème du Japon où il effectue son premier séjour dans les années 50. Il y retournera une quinzaine de fois au cours de sa vie, pour y photographier la vie de tous les jours. Il s’intéresse aux gens, des Yakuza (les mafieux japonais) aux transsexuels en passant par les sumos ou encore par la vie des jeunes poussés vers la découverte du monde occidental. « C’est au Japon qu’il découvre cette façon qu’il a d’interpeller les gens dans la rue », explique Hripsimé Visser. « Ne parlant pas la langue, il gesticulait et faisait tout pour les intéresser. »

van-expoCouple s’embrassant
Japon, vers 1974 (2015) © Ed van der Elsken

Travail passionnant sur les gens, on ne peut s’empêcher de voir le lien avec notre époque et cette relation si particulière que l’on a avec l’image. Elsken voulait montrer qui étaient les gens, alors qu’aujourd’hui nous ne cherchons qu’à nous montrer, ou tout du moins à montrer qui nous espérons être.


Jeu de Paume
1, place de la concorde – 8e
Jusqu’au 24 septembre