Thunder Road, portrait moderne d\'un anti-héros à moustache

undefined 17 septembre 2018 undefined 16h20

Louis Haeffner

Il est des films rares, inclassables, qui nous mettent dans un état émotionnel difficile à décrire. Thunder Road est de ceux-là, de ces films qu'on a tendance, par fainéantise et manque de vocabulaire, à qualifier de "un peu chelou" ; on ne sait s'il faut rire ou pleurer, mais on a très envie d'applaudir. 


Jimmy Arnaud porte un uniforme parfaitement repassé et amidonné, il est rasé de frais et sa moustache lui donne l'air à la fois viril et idiot d'un petit policier de province. Il se lève, et prend place face à l'assistance venue rendre un dernier hommage à sa mère, qui repose dans le cercueil qui se trouve derrière lui. On sent à sa voix un peu hésitante qu'il a du mal à maîtriser son chagrin. Il commence par parler de sa mère, de sa passion pour la danse, et d'une chanson qu'elle adorait, Thunder Road de Bruce Springsteen. Le magnétophone qu'il avait prévu ne fonctionnant plus, il se met à dancer, étrangement, en décrivant la chanson, jusqu'à ce que sa fille l'interrompe par ses pleurs. 

Thunder Road film critique

Très vite se pose en nous la question suivante : « il est débile ou pas ? », et c'est l'impossibilité d'y répondre qui rend le personnage de Jimmy Arnaud si attachant. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, du portrait d'un Américain moyen qui se trouve à un carrefour de sa vie, incapable de gérer ses émotions et qui risque de tout perdre, à commencer par son travail. Ça ira ensuite de mal en pis, et qui a fait un peu de socio au lycée reconnaîtra vite l'amorce d'un processus de déviance plutôt marqué. La situation peut sembler tragique, et pourtant, on se prend régulièrement à rire. Le type est comique : son accent, sa façon de parler, ses réactions sans filtre, tout ça fait de lui un personnage pathétique et risible.

Thunder Road film critique

Mais au fur et à mesure que le film avance, la vie de notre frêle policier moustachu part quand même sévèrement en vrille, et si l'on possède un cœur, il devient difficile de véritablement s'en amuser. C'est là que Jim Cummings – scénariste, réalisateur et acteur principal pour son premier film, il convient de le préciser – impressionne. La mise en scène, toute en plans-séquences, travelings avant et plans fixes rapprochés, nous situe plus comme un compagnon proche de Jimmy, une épaule sur laquellle on aimerait qu'il se repose, que comme un spectateur extérieur qui contemplerait cette descente aux enfers d'un œil satisfait. On compâtit autant qu'on rit aux déboirs de ce loser au grand cœur, interprété avec une maestria qui force l'admiration, si elle n'incite pas carrément à crier au génie à la vue d'un plan final touché par la grâce. 

Thunder Road film critique


Pour un premier film, Jim Cummings fait très fort. En frappant son personnage d'une sorte de fragilité chronique dans un univers qui exige de lui une virilité à toute épreuve, il donne une nouvelle interprétation au thème de l'anti-héros, et en offre une vision moderne et sensible. Un souffle d'air frais dans le cinéma indépendant américain.