The House That Jack Built : autopsie d\'une folie signée Lars von Trier

undefined 29 octobre 2018 undefined 14h20

Louis Haeffner

Si l'on accepte bien volontiers l'adage selon lequel la différence entre folie et génie est ténue, c'est grâce ou à cause de gens comme Lars von Trier. Le réalisateur danois possède en effet une certaine propension à la polémique, voire à la provocation, mais ne reste pas moins l'auteur de quelques merveilles du septième art. Examinons ensemble son dernier crime (qu'on a beaucoup aimé, soit dit en passant).


L'idée de base du film est donc la suivante : Jack, ingénieur et tueur en série, raconte au mystérieux Verge cinq "incidents" parmi la grosse soixantaine de meurtres qu'il a commis au long d'une carrière qui semble toucher à sa fin, à mesure que la police resserre petit à petit son étau sur "Mr Sophistication". L'ensemble se divise donc en cinq parties majeures où un crime, à chaque fois, est décrit en images et du point de vue de Jack, entrecoupées de dialogues entre Jack et Verge, de réflexions philosophiques et d'extraits vidéo choisis.

The House That Jack Built critique film

Le choc, le malaise, l'angoisse, ici, viennent évidemment des images mortifères – puisque le héros du film est un serial killer – qui nous sont proposées, mais plus encore peut-être, de la très grande décontraction avec laquelle Jack nous raconte tout ça. Notre ingénieur en chef banalise tellement le fait de tuer – un peu à la manière d'un Benoît Poelvoorde dans C'est arrivé près de chez vous – que ça en devient, par moments, comique. Mais le but de von Trier n'est pas de nous faire rire, même si on imagine aisément sa satisfaction à nous voir nous gausser devant la violence d'un tir à la carabine qui fait mouche dans le genou d'un môme de 6 ans, non. Son but est infiniment plus ambitieux, car rire de la mort ou de la violence, après tout, c'est très commun et terriblement has been. 

The House That Jack Built film critique

Le but de Jack, c'est de montrer à Verge que l'art peut culminer dans la mort, et que sa frénésie de meurtres n'est en fait rien d'autre qu'une espèce de déferlement créatif incontrôlable menant à l'émergence de l'œuvre ultime : une maison faite de corps gelés. Ouais, là, on nage dans le délire le plus total, surtout quand on réalise que la quête de Jack est comparée à la descente aux enfers de Dante dans La Divine Comédie (Verge n'étant autre que Virgile, qui accompagne donc le poète dans l'œuvre de Dante Alighieri). De là à dire que Lars von Trier se compare à l'un des plus grands poètes de l'histoire humaine, il n'y a qu'un pas... 

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Mais si la mégalomanie du bonhomme est avérée, on ne peut lui enlever le mérite d'interroger, à chacun de ses films, le spectateur sur des sujets qu'il n'a pas l'habitude d'envisager, de le pousser dans ses retranchements, d'exiger de lui un jugement aigu et donc d'élever de manière significative la fonction artistique même. Choquer oui, mais pousser à la réflexion, surtout. 

The House That Jack Built film critique


The House That Jack Built
ne restera peut-être pas dans les annales comme le meilleur film de son auteur, mais certainement comme le plus trash. Cependant, au choc des images se substitue vite la profondeur d'une réflexion basée sur notre propre humanisme, et sur notre capacité à le transcender par l'art. Matt Dillon, quant à lui, est magnifique.