Mektoub My Love Intermezzo de Kechiche : c'est quoi cette polémique ?

undefined 27 mai 2019 undefined 16h30

Inès Agblo

Les scènes de sexe, leur contenu, leur durée… On ne fait qu’entendre parler de Mektoub my Love : Intermezzo. Et si on analysait la polémique ?

Ces derniers jours, nous entretenons comme un sentiment de déjà-vu. En effet, l’association de Kechiche aux polémiques cannoises n’est pas neuve. Il avait beau avoir remporté la Palme d’Or avec La vie d’Adèle en 2013, à contre-courant, les déclarations houleuses autour des conditions de tournage tombaient déjà.

À présent, il est question de la suite de Mektoub my love : Canto Uno, intitulé Intermezzo. Projeté à Cannes dans une version montée in extremis, qui dure tout de même 3h30, le dernier long-métrage de Kechiche crée à nouveau la controverse.

On ne fait que parler du contenu sexuel du film qui ne contient que très peu de scènes véritablement dialoguées. Il y est principalement question de festivités dans les méandres d’une boîte de nuit – en écho avec le premier volet – et des séquences explicites dont un cunnilingus de 12 minutes sur toutes les lèvres (sans jeu de mots) depuis la diffusion cannoise.

On essaye d’analyser tout ça en 4 points capitaux.


Pourquoi doit-on être choqués exactement ?

Depuis que le film a été dévoilé, tout le monde crie au scandale. Des spectateurs ont quitté la salle au cours de la projection, et l’ensemble des opinions s’orientent vers un véritable lynchage du film. La question est de savoir pourquoi il faut être choqué, exactement ? La médiocrité du scénario pointée du doigt ? L’omniprésence de sexe non censuré à l’écran ? Ou la misogynie présumée du réalisateur ?

C’est sur ce dernier point que les critiques sont les plus légitimes. En effet, on reproche principalement à Kechiche une approche sexiste à travers laquelle les actrices sont purement sexualisées et exposées aux regards avides de la caméra, tandis que les hommes, eux, n’écopent pas du même traitement.

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On peut donc concevoir qu’après le déferlement #metoo, on s’offusque de tels partis-pris en contradiction avec un contexte contemporain pro-féministe. Toutefois, les autres motifs des attaques sont, quant à eux, plus subjectifs.

Oui, une majorité se désole d'une quasi absence de scènes "classiques" et de la domination d’un érotisme permanent assimilé à de la pornographie. En ce qui concerne ce point, il s’agit en fait d’une divergence de points de vue. Tout comme bon nombre de spectateurs se disent désintéressés par les explosions et chamailleries des super-héros, avançant un manque de véritable contenu aux blockbusters, d'autres trouveront un grand intérêt esthétique à ce film qui apparaîtra aux troisièmes comme vide.

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Ça sera à vous de trancher et de prendre parti librement.


La vision du réalisateur est-elle le motif ultime ?

Il est d’usage de dire que Kechiche est voyeuriste et qu’il porte à l’écran ses fantasmes personnels. Mais concrètement, n’est-ce pas ce que font les cinéastes en général ? Mettre en scène les tréfonds de leur esprit et leur imagination ? Bon, pour le coup, dans ceux de Kechiche, il est notamment question de femmes qui se déhanchent en micro shorts en boîte de nuit… Oui, bon. Mais dans l’idée, il s’agit avant tout d’une ode à la fête, la jeunesse et l’amour. Seulement la forme est particulièrement crue et guidée par un esprit masculin attiré par le corps féminin. Une fusion entre l’œil de la caméra et du réalisateur qui amène l’inégalité d'exposition entre les sexes abordée plus haut. La vision de l’auteur devient donc le motif ultime pour justifier ces partis-pris.

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Le problème c’est que cette vision ne peut représenter une toute-puissance et s’imposer à la volonté d’acteurs comme beaucoup s’en inquiètent. Le départ de l’actrice Ophélie Bau pendant la projection a, effectivement, nourri toute la polémique actuelle. Tous ces actes filmés étaient-ils pleinement consentis par les acteurs ou ont-ils été imposés au nom du désir créatif d’un artiste ?

En tout cas, ce n’est pas ce que laissent paraître les autres membres du casting qui ont récemment fait les louanges de Kechiche et justifié le contenu du film. Shaïn Boumedine parle de « corps qui vont bien, qui s'éclatent, filmés sans vulgarité et avec beauté ». La messe est dite.


Le festival de Cannes : grand amateur des polémiques

On ne va pas se le cacher : les polémiques font le jeu du festival de Cannes. Au fil de sa longue vie, le festival a été le terrain de nombreuses controverses qui ont plus fait sa publicité qu'elles lui auront nui.

Bien avant La vie d’Adèle notamment, ou les propos antisémites de Lars Von Trier venu présenté Melancholia par exemple, on se souvient surtout du torrent engendré par Irréversible de Gaspar Noé. Si on est aujourd’hui scandalisé par Mektoub my love : Intermezzo, rappelons-nous à quel point la séquence de viol issue du film de Noé – durant 9 minutes – avait fait trembler Cannes en 2002.

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Seulement, comme nous le disions plus haut, non seulement Kechiche était attendu au tournant suite aux précédentes débâcles, mais de plus, le contexte est particulier. La société met un point d’honneur à lever le bouclier contre les inégalités entre les sexes et la misogynie. Il n’y a jamais de bon moment pour traiter – ou mettre en scène – différemment des hommes et des femmes. Mais le retour de bâton est on ne peut plus virulent à cette heure militante.


L’influence de Cannes sur la réception du grand public

On oublie souvent d’aborder le problème qu’impliquent ces polémiques cannoises dans le laps du festival. Car ces dernières viennent clairement biaiser la réception des spectateurs avant même qu’ils aient été confrontés au film.

Actuellement, tout le monde crie au scandale, au sexe gratuit et au scénario faible. Tout comme ce fut partiellement le cas avec La vie d’Adèle. Le public ira alors en salles avec cette série d’a priori qui influenceront forcément le jugement de chacun.

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Peut-être auriez-vous vu de la beauté dans l’œuvre ? Une simplicité au scénario et non de la médiocrité ? Un hommage aux femmes et non un assujettissement ? Ou peut-être auriez-vous aussi crié au sexisme et au voyeurisme ? Toujours est-il que, malheureusement, vous ne pourrez passer outre ce que vous avez déjà entendu.

La date de sortie n’a pas encore été dévoilée. Essayez toutefois de faire abstraction avant d’abattre lauriers ou foudres sur Mektoub my love : Intermezzo.

On l'attend de pied ferme.