L\'Insulte, un put*** de chef-d\'œuvre

undefined 1 février 2018 undefined 11h00

Louis Haeffner

Quand on fait un film sur un sujet aussi sensible que les relations entre communautés au Proche-Orient, on n'a pas vraiment droit à l'erreur. Il faut être précis, rigoureux et inventif pour ne froisser personne et raconter une histoire qui parle à tout le monde. L'insulte y réussit avec maestria, et dès lors se place comme un favori dans la course à l'Oscar du meilleur film étranger. 


Lors de travaux de restauration dans une rue de Beyrouth, une embrouille survient entre Yasser, le contremaître du chantier, et Toni, un riverain dont la gouttière doit être changée. Problème, Toni est un chrétien libanais, et Yasser un réfugié palestinien. Alors que Yasser, pressé par son patron, va à la rencontre de Toni pour s'excuser de l'avoir insulté, ce dernier va tenir des propos qui vont mener Yasser à perdre son sang froid ; il frappe Toni, lui brisant deux côtes. Toni exige réparation devant les tribunaux. 

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A partir de là, un autre film démarre. De la sphère privée mettant en scène chacune des deux familles concernées on passe à la sphère publique et ballet des avocats puis des journalistes que ce changement de paradigme implique. D'une querelle opposant deux hommes, on passe à un conflit entre deux franges de la population, entre deux groupes ethniques ; on bascule alors dans ce qu'il faut bien nommer une guerre, celle des mots d'abord, mais surtout celle du souvenir. Qui a le plus souffert ? Qui doit-on condamner ? Inévitablement, on en revient au conflit israélo-palestinien, qui depuis 1948 irrigue le Proche-Orient de son sang. D'un drame domestique filmé à l'épaule on passe à un film de procès où les deux avocats s'opposant sont père et fille. Un conflit de plus dans le conflit.

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Dès lors on le comprend, le propos de Ziad Doueiri ne concerne plus les hommes ni même la société. Cet entremêlement d'antagonismes, chacun pouvant lui-même faire l'objet d'un film entier, est le tissu épais d'une réflexion beaucoup plus large sur le genre humain, sur notre capacité à écouter l'autre, à le comprendre, à le faire souffrir et à lui pardonner, en un mot à l'aimer. Le réalisateur libanais joint d'ailleurs le geste à la parole en utilisant sa caméra comme une loupe, les plans étant de plus en plus larges à mesure que le film avance et que le conflit s'élargit. Le rythme est effréné dans cette partie de ping-pong judiciaire, mais le matin du verdict, un long travelling dans un hélicoptère survolant Beyrouth permet au spectateur de prendre une distance salvatrice, et d'envisager la paix. 

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Avec une maîtrise parfaite de son schéma narratif et la neutralité indispensable à l'évocation de telles problématiques - la guerre, l'injustice, la rancœur et la haine aveugle qu'elle engendre -, Ziad Doueiri propose une plongée vertigineuse dans les blessures toujours vivaces du peuple libanais. Un grand film humaniste, d'une profondeur et d'une intelligence rares. Superbe.