On ne cesse de redécouvrir le mythe moderne des Smiths, et avec lui son chanteur iconique Morrissey. Pourquoi ? Une question de mode probablement, mais aussi et certainement parce que le bonhomme était l'un des songwriters les plus brillants de son époque. Mais tout mythe, aussi moderne soit-il, se forge dans la galère, le doute et la frustration.
Manchester, années 70. Steven Patrick Morrissey est un jeune homme timide, introverti, passionné de musique et de littérature. Son seul véritable contact avec le monde réside dans les concerts auxquels il se rend régulièrement, et dans les critiques acides qu'il en fait pour le courrier des lecteurs d'un magazine musical. Soutenu par sa meilleure amie Angie, il rêve de devenir chanteur dans un groupe, mais se dégonfle à chaque fois qu'il est sur le point de rencontrer quelqu'un. Un jour cependant, un lecteur mystérieux répond à l'une de ses critiques dans le courrier des lecteurs.
Centré sur le jeune Morrissey (superbement incarné par Jack Lowden, aperçu dans Dunkerque), le premier film de Mark Gill n'est pas le biopic rock classique, avec les débuts, l'ascension, la chute, auquel on aurait pu s'attendre. Plus que l'histoire des Smiths ou de Morrissey, c'est surtout l'histoire d'un jeune homme cultivé et brillant, mal à l'aise dans un univers qui ne lui ressemble en rien, que England Is Mine nous conte. En proposant une vision esthétisée du quotidien morne et pluvieux du jeune poète, puisqu'il faut bien l'appeler comme tel, le réalisateur matérialise admirablement les sentiments de son héros grâce à une photographie aux couleurs automnales, de superbes plans serrés et une symétrie discrète mais bien présente. C'est comme si l'on voyait dans et par le cœur de Steven, s'entourant dès lors de la mélancolie cynique qui définit le style des textes de Morrissey.
En évoquant la période précédant le succès, celle des ambitions déçues, des tournées avortées et de la dépression, Mark Gill permet au spectateur de se faire une idée bien plus aiguë des émotions contradictoires qui habitent la rockstar populaire et torturée que le jeune homme deviendra par la suite. On navigue ici dans les bas-fond poisseux de l'âme de Morrissey et de Manchester, et étrangement, c'est très beau.
Grâce à une mise en scène sobre et esthétique, England Is Mine nous plonge dans les méandres ténébreux de la poésie des Smiths et de son mythique chanteur. On comprend aussi, plus largement, ce qu'avoir une âme d'artiste signifie : on se sent, bien souvent, seul. La mélancolie on vous dit !