J'avais lu je ne sais où qu'Olivier Assayas envisageait son dernier film comme une comédie. J'avais aussi lu "vaudeville" quelque part. L'humour n'étant pas la caractéristique première du cinéma d'Assayas, j'étais vraiment curieux de découvrir ce Doubles vies, dont le titre même semblait être une promesse de duplicité.
Alain est à la tête d'une prestigieuse maison d'édition, et est marié à Séléna, une comédienne qui joue actuellement dans une série policière à succès. Ce midi, il déjeune avec Léonard, ami et écrivain dont il a publié tous les romans, pour lui annoncer qu'il refuse son dernier manuscrit. Quand Léonard, accablé, s'en ouvre à Séléna, celle-ci suggère que peut-être Alain se doute de leur liaison, et qu'il fait de ce refus une sorte de vengeance... ce qui lui semble toujours mieux que la froideur avec laquelle Valérie, sa compagne débordée de travail, accueille la nouvelle.
Alors lu comme ça, on a en effet l'impression d'avoir à faire à une classique comédie de mœurs, avec triangle amoureux, gros mensonges et petites conséquences, un truc très français s'il en est, en somme. Il y a de ça effectivement, sauf que cette histoire-là n'est en fait qu'un fond scénaristique nécessaire, une sorte d'écrin excitant permettant de mettre en exergue une réflexion beaucoup plus vaste sur l'avenir et les grands changements à l'œuvre dans nos sociétés modernes. Ouais.
Pour être honnête, il ne se passe vraiment pas grand-chose dans ce film, du moins d'un point de vue scénaristique. Par contre, énormément nous est dit à travers les dialogues. À la manière du Woody Allen de Manhattan, Olivier Assayas développe son récit par le seul truchement des conversations qui occupent ses personnages. Autour d'une table, dans un bar ou dans l'intimité de leur chambre à coucher, ceux-ci dissertent avec précison, fluidité et pertinence de l'avenir de l'e-book, de l'état du paysage politique en France ou encore de théories personnelles sur le couple.
Si le contenu de ces dialogues est extrêmement bourgeois et élitiste, leur forme pour le moins irréaliste (qui parle comme ça ??) laisse penser à un clin d'œil ironique du réalisateur, qui parvient dès lors assez subtilement à exposer ses théories philosophiques tout en se moquant du milieu social duquel elles sont issues. Brillant.
Olivier Assayas démontre une nouvelle fois qu'il est un réalisateur virtuose en réinterprétant, à la manière d'un grand cuisinier, la tradition du vaudeville à la française. Bien entourré par une brochette d'acteurs croquants à souhait, le plat qu'il nous présente est exigeant, mais indéniablement savoureux.