Climax : et Noé créa le bad trip au cinéma

undefined 20 septembre 2018 undefined 15h42

Louis Haeffner

Sacré Gaspard ! Je l'adore d'habitude, mais là je lui en veux un peu. Il m'a mis mal, son truc était beaucoup trop dosé cette fois-ci. D'habitude je plane, je kiffe, mais ce coup-ci j'ai fait un gros bad trip qui me donne tout sauf envie de recommencer bientôt. Pas cool.


Ça avait pourtant super bien commencé. Un vieux poste de télé cubique fait défiler les images d'entretiens de danseurs qui préparent une tournée aux États-Unis. Chacun parle de lui, de ses motivations, de la danse. C'est évidemment trop court pour qu'on puisse accéder de quelque manière que ce soit à l'intimité des personnages, mais assez long pour qu'on puisse en faire des caricatures et leur assimiler un rôle qu'on imagine déjà symbolique. On retrouve ces mêmes danseurs et danseuses en action dans une chorégraphie absolument fabuleuse, filmée en un long plan séquence utilisant à peu près tous les angles de vue possibles et imaginable. La performance visuelle est remarquable, rien à dire, mais ça ne surprend plus véritablement chez Gaspard Noé, même si là en l'occurence sa "plongée subjective" fait des merveilles. Jamais la danse moderne n'aura été filmée de la sorte, les images renferment une énergie et une grâce électrisantes, et plongent dès lors le spectateur dans une sorte de transe qu'il partage avec les danseurs. Ok, tout ça, ça marche du tonnerre, mais à part être joli, ça ne raconte pas grand-chose. 

Climax Gaspar Noé critique

Heureusement, les personnages se mettent en branle, et la fête commence. La caméra, toujours en plan séquence, passe d'un bonhomme à l'autre, d'une discussion à l'autre. Il est question de drogues, de sexe, de jalousie... Les dialogues sont hyper naïfs, mais en même temps le film a été tourné en deux semaines et les personnages sont extrêmements jeunes, ceci expliquant cela. Puis progressivement, la soirée va partir en vrilles. À la frénésie de la danse va vite succéder une sorte d'état de malaise généralisé : quelqu'un a mis quelque chose dans la sangria, c'est sûr. Petit à petit, nos héros vont commencer à complètement perdre les pédales, Sofia Boutella, la chorégraphe, en tête. Si vous avez déjà pris du LSD, vous comprenez que c'est probablement ce qui imbibe nos danseurs : perte de repaires, confusion extrême, lumières agressives... "ils ont trop pris", et tout va progressivement se muer en chaos total, incluant la caméra (et donc le spectateur) qui fait des saltos, tape des blanc, cherche une issue. Un bon gros bad trip des familles quoi, super bien représenté, mais extrêmement désagréable

Climax Gaspar Noé critique

C'est là que ça foire en fait : quelle est l'ambition de Gaspard Noé avec un tel film ? Difficile de croire au film moralisateur sur le mode « vous voyez, la drogue c'est pas cool, la teuf peut dégénérer, faites attention les enfants ». Impossible en fait. Alors quoi ? Une satire de la France des 90's, cette société du partage et de l'ouverture black-blanc-beur qui a pourtant tôt fait de virer le seul reubeu non consommateur d'alcool de la bande (voyez l'assimilation ? le mec est musulman, il ne boit donc pas et peut à loisir droguer tout le monde sauf lui-même) ? Plusieurs éléments peuvent mener à cette lecture, dont l'immense drapeau tricolore qui orne la scène où le Dj n'est autre que Kiddy Smile, qu'on a vu très récemment à l'Élysée... mouais, il doit y avoir un petit peu de ça mais c'est un peu tiré par les cheveux. Que dire encore des deux phrases assénées en lettres capitales sur l'écran, la première à l'endroit, "Vivre est une impossibilité collective" et la seconde à l'envers, "Mourir est une expérience extraordinaire" ? Difficile d'y voir autre chose que de la prétention, ou qu'une volonté de plonger le spectateur dans un questionnement existenciel qui n'apporterait rien et justifierait mal l'heure et demie de bad trip qu'il vient de se taper. Cela aura quand même l'avantage d'entretenir encore un peu plus l'impression de confusion et de chaos qui se dégage du métrage...

Climax Gaspar Noé critique


Gaspar Noé peut donc se targuer d'avoir réussi son coup, si tant est que le but de son film fût de montrer au cinéma ce qu'est un bad trip. Si l'on a du mal à y trouver une réelle trame narrative significative, Climax se définit plus comme une expérience sensorielle chaotique que comme un long métrage de forme classique. De ce point de vue là, c'est une réelle réussite.