Chronique cannoise #4 : « Hipster, nanar galactique et toiletteur pour chien  »

undefined 18 mai 2018 undefined 19h07

La Rédac'

Je commence à tirer la langue. Ces cinq premiers jours me paraissent une éternité, mon genou gauche commence à siffler, mes jambes tremblent, et le Champagne commence à me dégoûter : Dieu sait que ce n’est pas bon signe ! Je fais tout de même l’effort d’aller saluer l’équipe de En guerre à la plage Magnum. Et j’ose m’emballer auprès d’Olivier Gorce, scénariste avec Brizé, en lui souhaitant la palme. Car nous sommes d’accord, aucun vrai coup de cœur depuis le début du festival, aucun film ne semble se dégager, à part donc depuis aujourd’hui cette guerre de Stéphane Brizé, critiquée dans la précédente chronique. On s’amuse du feu d’artifices démentiel de la soirée Star Wars avant que les yeux se décident à se fermer tout seuls. Il est temps d’abandonner. Dormir. Un peu. Car le réveil sera très matinal.


7h30. Que je déteste cette putain de sonnerie. Mais après avoir tant aimé It Follows, j’attends énormément de ce nouveau film du branchouille américain David Robert Mitchell et son Under the Silver Lake. Il est clair que la branchitude absolue d’un tel film, bercée notamment par l’influence directe de Richard Kelly, va rebuter la plupart des vieux croutons cinéphiles déçus de ne pas pouvoir s’extasier sur les frères Dardenne. Andrew Garfield, looser au t-shirt crade et à la culture geek, s’ennuie à crever. La rencontre avec une jeune blonde au physique hollywoodien va tout changer et le faire basculer dans une chasse au trésor ubuesque, trouvant des indices dans la culture de masse (un carte Zelda dans un paquet de céréales, un score de base-ball, un titre d’un groupe de hipster). S’instaure alors une course à étapes à travers l’underground de LA, majoritairement des lieux de vie nocturnes éphémères, à la recherche de cet amour perdu, un amour tout aussi futile que ses rencontres au fil de sa quête introspective.

 

On rentre alors dans un jeu fou de carte au trésor, de signaux irréels qui se cachent dans les bas-fonds d’une mégalopole paumée, désabusée, une Hollywood n’existant qu’à travers l’image qu’elle pense renvoyer. Et puis l’horreur arrive, les meurtres, le sang, les disparitions. Mais Sam, dans une ambiance ironique lynchienne, sait à chaque fois rebondir et trouver la voie de sortie de ce labyrinthe psychologique complément dément, se terminant par une conclusion psychédélique à la Southland Tales. Le principal reproche que l’on pourrait faire à cette énorme bouffée d’oxygène dans une sélection officielle qui ronronne un peu, c’est l’hipsterisation massive du film à toujours chercher l’image cool, la musique trendy qui va bien, la blague référencée et l’image léchée. Trop branché pour être vrai ? En tout cas après It Follows, Robert Mitchell confirme son statut de nouvel espoir du cinéma américain après que Jeff Nichols, lui désormais confirmé et déjà sélectionné à Cannes avec Loving l’année dernière, a possédé cette place royale.

À peine sorti du Théâtre Lumière que je me retape les 24 marches. Malgré des bruits de couloir terribles, je m’impose le nouveau spin-off de Star Wars, Solo du très modeste cinéaste Ron Howard venu sauver la baraque en dernière minute après que les mecs des films Lego ont foutu en l’air le film en y intégrant apparemment trop d’humour. Autant l’on pouvait raisonnablement s’enthousiasmer pour les nouveaux volets proposés par Disney, autant ce Solo est une bouse intergalactique bien cradingue. Et dès les premières images, avec le charisme de hareng de Alden Ehrenreich et une scène d’action d’un autre temps, on sait déjà que l’on assistera à un vrai nanar détruisant allègrement la relation si particulière Chewbacca-Han Solo des précédents opus. Le scénario n’a aucun intérêt, parfois même incompréhensible avec des raccords douteux, les scènes d’action sont même ratées et mal réalisées, et puis bien entendu le Lando Calrissian et Han Solo jeune pâtissent violemment de la comparaison avec leurs personnages plus âgés. Insipide, et indigne d’un univers Star Wars. On boude sévère à la sortie.


Troisième projection de la journée avec Burning de Lee Chang-Dong, déjà apprécié dans la sélection Un certain regard avec A girl at my door en 2014. À travers le personnage de Jong-Soo se dessine la naïveté et l’authenticité de la campagne et des terrains reculés de la Corée du Sud. Face à lui, Ben, prénom à l’américaine, fervent représentant de la jeunesse dorée coréenne, roulant en Porsche et dont l’origine d’un argent coulant à flots reste obscure. Entre les deux, Haemi, sublime jeune femme partagée entre l’amour de ses racines agricultrices et la superficialité d’un lofteur à la peau délicatement poudrée et au regard idiot, et ennuyé. La puissance du film réside dans la mise en abîme de cette opposition culturelle violente entre la ville et la campagne dans une société coréenne perdue dans une fuite des campagnes.

Le visage victimaire de Yoo Ah-in (en course pour le prix de la meilleure interprétation) se transforme peu à peu en un regard excédé, la violence orale qui se dessine puis bascule dans une violence physique explosive, résultant d’une frustration et d’une haine viscérale de l’évolution d’une société qu’il ne comprend plus. Quelle épreuve de force ! La mise en scène brillante de Chang-Dong laisse transparaître cette tension au départ amoureuse avec ce couple à trois puis criminelle (et je ne vais pas plus loin sur ce thème) le long de scènes à la photographie superbe, tournées en lumière naturelle, on se croirait avec certains plans dans un Monet de premier ordre. On ressort marqué par quelques scènes d’une rare justesse, mettant en jeu ce jeune agriculteur à la puissance sourde, ressentant la violence viscérale d’un amour qu’il voit disparaître avant de rendre justice de sa propre perte. Il est clair qu’avec En guerre de Brizé, c’est un second coup de cœur palmable.

Matteo Garrone nous avait totalement paumé avec sa fable un brin pathétique Tale of Tales en 2015, il revient cette année avec Dogman. Assénant les clichés d’une Italie du Sud pauvre et en galère, Garrone nous délivre une succession d’images redondantes, accablantes de simplicité, dans un scénario tenant dans la paume d’une main d’un enfant de 5 ans. Un toiletteur pour chien slash dealeur de cocaine se retrouve engréné dans des situations violentes et dangereuses par un toxicomane psychopathe prêt à tabasser n’importe qui et n’importe comment pour son pochon de poudre. Aucune passion, aucune émotion ne transparaît de cette course-poursuite idiote entre ce triste homme jouant à merveille l’idiot du village bonne poire et sans esprit (Marcello Fonte, lui aussi en course pour le prix d’interprétation) et le trou du cul ultra violent sans âme, le regard bovin avec comme seule réponse la destruction. Et l’inversion des rôles en point d’orgue du film à la Tarantino n’est même pas si agréable. Sans compter sur une fin qui patauge, à l’image de sa mise en scène finale bancale. Sacrément mauvais.

Il est tard, il faut rentrer. Tiens, une porte entr'ouverte, des balcons qui hurlent et une musique de mauvais goût qui résonne. On fonce, tête baissée, l’air d’être invité. En résulte une fiesta dégoulinante de sueur et de bières tièdes de la maison de production LOCO dans leur appartement cannois. On croise des regards plus ou moins éveillés, et surtout sacrément beurrés. Mais enfin une fête authentique. Ça rassure sur le genre humain pendant le festival de toutes les deviances. Allez, un verre de rosé humide qui tiède et on déguerpit au lit.

 

Par Pierig Leray