Chronique cannoise #5. Radicalisation, pattes d’éléphants et conclusion

undefined 22 mai 2019 undefined 09h43

La Rédac'

C’est ma dernière (demi-)journée à Cannes, d’un côté le tristesse prévaut et cette sensation d’abandon de poste, de l’autre une certaine délivrance tant la succession de séances, de sandwichs au thon qui coulent dans les files d’attente et un sommeil loin d’être réparateur finissent rapidement à décharger sa vitalité débordante de début de festival.

Par Pierig Leray

Pour ce final, j’ai décidé de revenir à la sélection officielle avec le film des frères Dardenne, Le jeune Ahmed. Ahmed est un jeune écolier de Bruxelles, de confession musulmane, mais sa rencontre avec un Imam radicalisé et la fascination pour un cousin mort pour le Djihad le font basculer vers l’islamisme radical : il traite sa sœur de pute, sa mère d’alcoolique, refuse de serrer la main aux femmes. Jusqu’à un épisode dramatique où il décide d’attaquer physiquement une éducatrice qui a tenté d’ouvrir la langue arabe à son éducation par la musique et plus uniquement par le Coran. Cette démarche est vue comme une trahison par Ahmed qui bascule alors dans la violence. S’ensuit alors une succession de personnages tentant de ramener le jeune Belge à la raison (une jeune fille qui tombe amoureuse, des agriculteurs, éducateurs). Toujours par le biais d’un cinéma réaliste, direct, humble par sa forme mais d’une richesse immense par ses messages, les frères Dardenne tapent généralement juste. Il en va de même avec ce jeune Ahmed qui a la qualité de parler d’un sujet aussi complexe que la la radicalisation religieuse par le penchant humaniste, une critique indirecte d’une société qui abandonne sa jeunesse à la dangerosité du lavage de cerveau. Si naïf, en manque d’esprit critique, tous les éléments extérieurs se remuent pour lui faire ouvrir les yeux, mais c’est bien un traumatisme intérieur qui pourra peut-être le faire évoluer. Fil rouge du festival, aucun metteur en scène de cette sélection officielle ne se met réellement en danger, et tous produisent ainsi des œuvres qu’ils maîtrisent. Les films sont donc réussis, mais il n’y a ni surprise, ni envolée. Il en va de même avec ce jeune Ahmed, réussi certainement, mais sans surprise.

Moi qui ne supporte pas la prétention malaisante de Nicolas Bedos, souvent croisé bien mal en point de confiance personnelle à Paris, je me surprends à tenter l’impensable, découvrir son second long métrage, La Belle époque (hors compétition). Lui qui n’est ni drôle, ni intéressant, un provocateur sans rhétorique, un fêtard qui arrive toujours trop tard. Et pourtant. Sa Belle époque est une réelle surprise, vent de fraîcheur entre les drames cannois, il est Le grand bain de 2019, forcément un futur succès en salle, et une comédie dramatique française réussie. Un couple de retraités se gueule dessus, elle, Fanny Ardant, trompe son mari pour un plus jeune. Lui, Daniel Auteuil, un dessinateur en déclin, qui ne fait plus grand-chose de sa vie à part se plaindre comme un vieux con des avancées technologiques qui le dépassent. Leur fils, golden boy bien peigné, tente un coup de poker, et envoie son père dans une société de divertissement d’un ami d’enfance (Guillaume Canet). Cette société propose de recréer en studio de cinéma un moment de sa vie que l’on aimerait revivre. Auteuil décide alors le moment de la rencontre avec sa femme, en 1974, dans un café nommé Belle époque. Tout y est : les costumes, les acteurs, les décors pour recréer l’ambiance si particulière des années 70 et le faire replonger dans ses 25 ans, Canet manageant le tout derrière les vitres sans teint, et hurlant dans les oreillettes des acteurs. À un rythme soutenu avec des vannes qui fusent, des histoires se démêlent, s’enmêlent, les situations improbables font marrer. Et c’est dans ce mix entre The Truman Show mais qui saurait qu’il est dans une émission, et un Westworld low-cost, que se balade un Daniel Auteuil au sommet, arrivant même à nous tirer des larmes en fin de film. Entre le Malick et le film des Dardenne, le contexte jouant un rôle certain, qu’il est appréciable de choper cette bouée de sauvetage légère et bien mise en scène, même si l’on note de nombreuses réserves (redondance, rythme irrégulier, caméra mal placée, scénario jonché d’incohérences). Mais on retient surtout la fraîcheur de cette Belle époque qui conclut d’une manière idéale ce 72e festival de Cannes pour moi.

Sous une pluie ininterrompue, la seule solution était de s’isoler dans les salles noires. Pas de soleil sur la Rivieira, le bronzage ce sera pour Paris-plages. Résultante, 16 films visionnés en moins de 6 jours, quelques déceptions, des confirmations et des surprises. On retient évidemment le film de Terrence Malick, Une vie cachée, monument, immense film et chef-d’œuvre déclaré et J’ai perdu mon corps, la sensation et surprise du festival, film d’animation de Jeremy Clapin qui a bouleversé. Grand favori pour la palme, le film de Pedro Almodovar devrait décrocher la timbale au vu de l’unanimité autour de son auto- biopic détourné, Douleur et gloire. Mention spéciale au Lux Aeterna de Gaspard Noé et à l’excellent retour en force de Christophe Honoré et sa Chambre 212. La compétition, elle, se prolonge avec les mastodontes Tarantino, Kechiche, Bong Jang-Hoo et Dolan. La réponse, c’est samedi et la découverte du palmarès de ce festival de Cannes. Même place, mêmes dates, on se retrouve l’année prochaine, et tous les mois dans le magazine le Bonbon Nuit.