Chronique cannoise #4. Sorcières, #metoo et montagnes autrichiennes

undefined 21 mai 2019 undefined 15h29

La Rédac'

Il est clair que ce dernier Moscow Mule siroté en furie au Silencio était une grave erreur, après ma danse endiablée un brin malaisante. La barre au front, il faut s’extirper du lit, et pas pour n’importe quel film : Lux Aeterna de Gaspard Noé.

Par Pierig Leray


Je pense que c’est le pire choix post-gueule de bois imaginable, je m’inquiète d’une probable crise d’épilepsie à la bouche mousseuse en pleine séance. Espérons que non. Sous un très court format (50 minutes), Gaspard Noé filme Béatrice Dalle dans son propre rôle, réalisant son premier long métrage, une histoire de sorcière et de bûcher, avec en guest Charlotte Gainsbourg. Et c’est la grosse cata : complètement dépassée et hystérique, Dalle brasse du vent en gueulant sur ses équipes, tout en se faisant shooter dans le dos par des producteurs qui veulent la virer, les acteurs sont complètement paumés, sans aucune direction artistique. De longs plans séquences s’enchaînent dans des décors de cinéma en carton-pâte, de la froideur d’une morgue à la chaleur d’un feu de cheminée dans un brouhaha ininterrompu de critique assassine, du maquilleur au costumier. L’ambiance se tend, s’alourdit, le rythme du film tend vers une trame quasi-horrifique. Une scène va se tourner : 3 sorcières en lunettes de soleil, attachées au bûcher, acceptant l’inacceptable d’une mort certaine. Un bug technique vient alors twister le film dans un vacarme épileptique angoissant, et une violence stroboscopique à couleurs qui fait décoller la tension cardiaque. On finit à bout de souffle, à deux doigts de détourner le regard pour survivre. Lux Aeterna est un objet cinématographique puissant, unique, et confirme Gaspard Noé comme un expérimentateur brillant, qui ne cesse de renouveler sa vision du monde (ici, athéiste).

On retourne à la sélection Un certain regard avec le film taïwanais Nina Wu de Midi Z, qui commence avec du retard car Tarantino est à la bourre, lui qui voulait absolument assister à la projection. Midi Z nous explique à quel point il a été compliqué de monter ce film, la raison paraît évidente par son sujet très délicat. On découvre ici le traumatisme psychologique immense subi par une jeune actrice après s’être fait violer par le producteur du film pour décrocher un rôle qui bouleversera sa carrière. Ça vous rappelle quelqu’un ? Eh oui, l’affaire Weinstein est indirectement le sujet principal de Nina Wu (le nom de cette jeune actrice) et la déferlante #Metoo qui a suivi. Loin d’attaquer le sujet par un ton démagogique et bien-pensant, Midi Z installe d’abord son personnage, sa vie, son ex-copine restée à la campagne, la difficulté d’assumer une relation lesbienne, sa mère tombée malade et cette ascension sociale par le fameux rôle. Et puis, par des flash-backs entre réalité alternée et cauchemars aux réveils brutaux, on découvre une porte d’hôtel, des femmes en robe rouge, des bruits étranges et inquiétants, un verre qui se brise, des cris de chiens. La pelote se défile peu à peu, et l’on comprend le traumatisme immonde qu’elle a subi, et qui continue de la hanter. D’un sujet grave et donc d’actualité, Midi Z joue la carte de la déroute psychologique, la perte des repères, et les conséquences mentales d’un corps souillé. Le film est une vraie réussite, la mise en scène mature et remplie de finesse par ce jeu psychologique pervers choque, et amène une sensation de répulsion, voir de dégoût face à cette attitude du producteur dominant qui sonne malheureusement comme une réalité actuelle.

Terrence Malick est le réalisateur d’une vie, celui par qui ma perception et mon regard sur le cinéma ont changé, et a fortiori, celui sur le monde qui nous entoure. Son cinéma a tant évolué depuis son premier film La Balade sauvage, mais garde des marqueurs forts (transcendantalisme, montage, voix off, spiritualité). Après sa trilogie amoureuse intimiste conclue de toute beauté avec Song to song, certains ignorants criaient à la sénilité du plus grand metteur en scène encore sur pied. La plupart sont aujourd’hui en train de retourner leur veste. Car Une vie cachée est un chef-d’œuvre, et mérite une Palme d’or face à l’immensité d’une œuvre bouleversante. Il est donc bien délicat pour moi d’établir une critique détaillée, tant un tel film doit se revoir et se maturer pour en tirer sa quintessence. Franz est un paysan des montagnes autrichiennes. Son pays est en guerre, Adolph Hitler est au pouvoir. Mais il ne supporte pas l’idéologie raciste du national socialisme. Il refuse de faire allégeance au Führer. Il est alors débarqué de sa famille, déclaré traître et déserteur puis emprisonné avant son jugement. Malick filme la nature, la terre comme racine indélébile, appuie comme dans chacun de ses films sur son caractère immuable, les hautes herbes resteront les mêmes en dansant au vent avant, pendant et après la guerre des hommes. Mais par le biais de cette histoire vraie de la Seconde Guerre mondiale, d’une main magistrale, il filme le pouvoir du non, du refus de collaboration avec l’« anti-christ ». Il n’a pourtant qu’un simple papier à signer pour littéralement sauver sa tête (sa condamnation est à la mort par guillotine). Son refus idéologique est un signe d’espoir optimiste en l’humanité face à la déchéance de la xénophobie. La photographie est fantastique, les lumières naturelles baignent les montagnes enneigées autrichiennes, la voix-off est une interrogation directe de Malick au spectateur, un appel profond à la réflexion sur sa propre spiritualité, son rapport à l’autre, et à Lui. Il serait simpliste de tacler Malick sur le terrain du pro-curé en soutane, ses interrogations dépassant toute notion de religion à proprement dit. Et ce chemin de croix, mélangeant l’allemand et l’anglais est bien universel et brise chaque frontière archaïque de pensée. Difficile de comparer Une vie cachée avec Tree Of Life même si les marqueurs sont communs, mais il est clair que Malick revient en force avec un film sublime, déchirant, et qui redonne vie comme personne en une notion d’espoir pour le futur de notre monde en crise. Il serait donc si beau de le voir recevoir sa seconde Palme d’or.

C’est la dernière soirée cannoise pour moi. Une pizza froide à 20 € à 1h du matin et un demi suffiront à mon plaisir. Et une nuit, qui sera, encore une fois, écourtée par la première projection du matin. Cannes est un marathon, je crois que je suis en pleine fringale. Le beau temps s’annonce pour mon départ. La loose. A domani.