Chronique cannoise #3. Adultère, voguing et sifflotement

undefined 20 mai 2019 undefined 09h13

La Rédac'

La soirée Orange, la soirée France Télévisions, la terrasse UGC, la fête du film de Lelouche : eh bien rien. Il pleut des cordes, il fait froid, les rues sont détrempées, et je suis crevé. Autant dire que ce petit Mac Do au fond de la couette un samedi soir à Cannes, c’est un des actes les plus anarchiques de mes trente dernières années. Fuck open bar et champagne, welcome Badoit et petit LU. À mi-parcours, le bilan est assez pauvre. Pas encore de claque comme on aime tant en ressentir durant le festival. Allez, on y croit. Il nous reste quelques jours.

Par Pierig Leray


Juste avant cet intermède pantouflard : Netflix est bien mis à la porte, mais Amazon Studio réussit encore à se faufiler avec la présentation des deux premiers épisodes de Too old to die young de Nicolas W. Refn (Neon Demon, Drive). Martin, et sa tête du parfait sociopathe, a une double vie, entre flic à chemise et tueur à gage pour la pègre de Los Angeles. Il part en guerre contre les crevures de notre société, violeurs et pédophiles en tête de liste, dans une quête de sang et d’une justice féodale difficilement lisible pour le moment. À l’image du travail de Refn, la mise en scène est géométrique, froide, la caméra est millimétrée, le rythme est lent et posé avec style dans un sens de l’esthétique propre : la photographie jaunissante dans les lueurs des feux rouges, une violence crue sans adoucissant, la bande-son qui martèle le sang-froid des balles qui sifflent. C’est fort, c’est beau, ça peut agacer le classiciste en mal de drames à claques à la française, mais moi j’aime l’idée de cet objet esthétique singulier : les deux premiers épisodes posent le sujet, il en restera 8 à être diffusés par Amazon. Je suis convaincu que la série et son format pourront conquérir de nombreux autres grands réalisateurs, avec cette possibilité unique d’installer une mise en scène sur la longueur et développer un personnage dans toute sa profondeur. Too old to die young est une petite bombe à retardement, on voit en deux épisodes se dessiner une réussite certaine en 10. Sans être révolutionnaire, cette approche de la série comme l’ont fait Campion ou Lynch en précurseurs, les frères Cohen ou encore David Fincher, prouve le futur d’un tel format par de grands cinéastes. On peut, je crois et sans être trop élitiste et obtu, s’en réjouir.

Première projection du matin avec Les siffleurs, film roumain de Corneliu Porumboiu, en sélection officielle. L’histoire est d’allure banale, un flic ripou en équilibre entre une mafia espagnole le payant gracieusement pour ses informations, et sa boss flic qui découvre son secret et tente à son tour de le convertir à sa cause. Au delà d’un drame policier basique, Les siffleurs questionne sur la communication : Christi est surveillé, épié par l’image et les caméras de surveillance qui accompagnent sa vie quotidiennement. Il débarque aux Canaries pour apprendre avec la pègre espagnole le sifflement comme langage : chaque voyelle est un son, en découlent des mots et cela permet ainsi une communication sans risque. Cette virevolte scénaristique brillante s’accompagne d’une bande-son porteuse (de Iggy Pop à Radzitsky) qui habille souvent avec un humour juste les multiples rebondissements d’une histoire un peu bancale. Porumboiu s’amuse par des références au film de genre (Hitchcock, James Bond) et offre avec Les siffleurs un film réussi, juste, mais bien loin de soulever les foules, comme je me rappelle avec nostalgie du fabuleux Toni Erdman de Maren Ade, qui est d’ailleurs productrice du film. Malgré certaines belles idées de mise en scène, le film ne décolle pas et reste à la seule place qu’il puisse mériter, au mieux un prix du meilleur scénario.

Du voguing à Harlem, ça branche comme pitch. J’enchaine alors avec Port Authority de Danielle Lessovitz (un Certain regard). Un vingtenaire débarque à New York, paumé, et délaissé par une demi-sœur absente. Il se retrouve à la rue, et aidé par un ringard à gonflette qui l’héberge dans un centre pour SDF et lui file un petit job de salopiot : déloger les locataires mauvais payeurs. Face à cette figure homophobe très caverneuse, Paul fait le grand écart et traine avec une communauté queer à donf ‘ dans le voguing. Il fait la rencontre de Wye, l’amour est grandissant puis mis à l’épreuve lorsqu’il découvre que Wye est trans. Le sujet est si vaste, l’univers si riche et entrainant (les compétitions de voguing à Harlem, la scène du ballroom), la confrontation si belle entre un amour sincère face au préjugés et idées reçues dictées par une société hétéronormée. Mais malheureusement, le film sonne creux et plat. Lorsque l’on commence à peine à s’immiscer dans le cœur de cette relation, il est déjà trop tard, et le film s’achève d’un goût d’inachevé. Et je ressens une vague de frustration, car film après film, la déception prévaut. Car tout (ou presque) est tiède ou convenu. Avec un tel sujet, Port Authority aurait pu être un grand film, il n’est malheureusement qu’anecdotique.

Petite parenthèse musicale désormais avec le concert de Pépite chez Nomade, lieu éphémère sur le toit du Five Seasons hotel. Très intimiste, devant une poignée de barmen en descente et quelques fans qui finissent les textes du bout des lèvres, on apprécie ce berceau pop romantique qui tente comme il peut d’extirper notre morosité pluvieuse. De la pluie, encore et encore, ininterrompue, sans cesse. Et ce n’est pas la coupette offerte qui va nous faire changer d’avis. Une sieste et on conclut la soirée par le nouveau film de Christophe Honoré, Chambre 212. Après que Thierry Frémaux se vante de la qualification de Lyon en ligue des champions enchainant par une présentation haute en couleur de l’équipe du film, on se sent tout de suite en famille, confortable, bien à l’aise face à un cinéma de Honoré parfaitement maîtrisé, jouant avec sa caméra par effets de style, dans un burlesque quasi anglo-saxon mais des rhétoriques bien françaises. Après 25 ans de mariage et la routine destructrice, Maria (jouée par Chiara Mastroianni) trompe son mari (Benjamin Biolay) pour un jeune étudiant au nom évocateur d’Astrobald. Elle décide de faire le point sur vie maritale en s’isolant à l’hôtel d’en face, dans la chambre 212 (jolie blague, c’est le numéro de code civil lu lors du mariage). Pensant se retrouver seule, elle ne le sera pas, car des figures du passé viendront lui demander des comptes : son mari à l’âge de 25 ans (Vincent Lacoste), sa conscience représentée par un (faux) sosie de Charles Aznavour et enfin l’amour de jeunesse de son mari (Camille Cottin). Ce quatuor si à l’aise ensemble se balade dans une mise en scène ingénieuse, allégeant par son rythme le propos parfois lourd et triste du film. Cette introspection métaphoriquement représentée par des personnages est si drôle, et si intelligemment écrite, que l’on se réconcilie avec un Christophe Honoré retrouvé après l’excellent Plaire, aimer et courir vite l’année dernière avec déjà Vincent Lacoste. Un film à dévorer comme une sucrerie piquante au fond coulant, sans modération.