Interview : On a passé la Saint-Valentin avec Lomepal

undefined 19 février 2018 undefined 15h43

Arnaud Mourier

De passage à Toulouse le jour de la Saint-Valentin, Lomepal a accepté de répondre à nos questions

Après plusieurs EP salués par la critique et par le public, Lomepal a définitivement trouvé sa place dans le paysage musical français avec la sortie de son album Flip. Ce titre n'est pas anodin car Antoine, de son véritable prénom, est un passionné de skate mais possède également plusieurs facettes. Parfois mélancolique, parfois égocentrique, il a ce côté mystérieux qui donne envie d'en savoir plus. Si ses chansons donnent de nombreux indices sur sa personne, il paraît malgré tout difficile de se faire une idée précise qu'avec les infos distillées par ce biais. C'est donc le 14 février qu'il était en concert au Bikini. L'occasion pour le Bonbon Toulouse d'aller à sa rencontre et de tâcher d'en savoir un peu plus. Tant sur Lomepal que sur Antoine.


Le Bonbon Toulouse : Tu étais déjà venu à Toulouse il y a quelques mois [en octobre, dans le cadre des Curiosités du Bikini, ndlr] et la salle affichait complet. Ce soir, c'est pareil, comme pour toutes tes autres dates d'ailleurs. C'est une chose à laquelle tu t'attendais ou plutôt une surprise ?

Lomepal : Je t'avoue que ça arrive petit à petit et au final c'est plus une satisfaction qu'une surprise. Parfois j'ai surtout peur que ça n'arrive pas.

Comment tu décrirais ton parcours, depuis tes premiers EP jusqu'à la sortie de Flip ?

J'ai commencé en voyant la musique de manière très sportive, je pensais pas faire ma vie dedans, vendre des albums et tout. Je voulais juste être le plus fort, faire des freestyles, des rimes. Après j'ai rencontré Caba [Caballero, ndlr], on a fait des trucs cools, Le Singe fume sa cigarette et par la suite j'ai essayé de donné un ton plus joli mais ça restait très boom bap et j'ai commencé à m'éclater avec Seigneur et Majesté, c'était plus expérimental.

J'ai essayé plein de trucs, je voulais me tester. Je me suis donné beaucoup de temps sur l'album, je voulais que ça soit très abouti, j'ai dû jeter plein de choses. Je voulais vraiment faire des chansons, j'ai bossé mes refrains et j'ai ressorti toutes mes vieilles influences rock. On peut le sentir sur Club d'ailleurs.

 

"Les émotions il faut les pousser un peu pour obtenir de bons morceaux"

On sent dans tes textes une vraie dualité. D'un côté tu parais assez nihiliste, fataliste et mélancolique et de l'autre tu arbores une personnalité davantage prétentieuse, avec pas mal de fierté.

Je joue avec ça ouais.

Les deux sont des personnages mais lequel est Lomepal et lequel est Antoine ?

Franchement il n'y a aucun clivage entre les deux, pas de différence. C'est juste que je prends des émotions et que je les exagère dans mes morceaux pour les rendre intéressants. En fait je suis prétentieux à certains moments de ma journée, j'aime bien jouer au mec qui se la raconte quand je suis avec mes potes, en tant qu'Antoine. Donc après, quand je le mets dans mon texte je l'exagère encore plus. 

Et quand je suis fataliste ou nihiliste c'est pareil, c'est ce que je suis vraiment. Les émotions il faut les pousser un peu pour les transformer en bons morceaux.

Dans Flip tu parles de ta mère, de skate, des sujets que tu n'abordais pas jusqu'à maintenant. Est-ce qu'on peut considérer cet album comme celui de la guérison ?

De la guérison peut-être pas mais on peut dire que j'y parle de moi, qu'il est très personnel. Là c'est de ma vie dont il est question, beaucoup moins d'ego trip.

Tu évoques souvent la société et tu la critiques. Mais tu parles aussi d'argent et du fait que tu en veux toujours plus...

[Il coupe] J'assume d'être un paradoxe. Certains restent droits, moi je fais pas attention, je me contredis d'un morceau à l'autre comme je pourrais me contredire dans la vie d'un jour à l'autre. Après le fond reste généralement le même. Ce que je dis dans 70 c'est que j'ai envie de profiter, de m'exploser.

On vit dans une société où pour profiter de la vie il faut de l'argent. "Si je veux des millions j'en veux 70" c'est pour continuer à faire des conneries.

En 2015 tu avais dit vouloir approfondir ton côté chanteur. On peut dire que c'est chose faite avec cet album.

J'ai toujours adoré chanter mais j'étais vraiment pas fort. Là je me suis grave entraîné dans ma chambre, j'aime bien le résultat.

Pour le clip de Palpal tu as utilisé l'expérience de Milgram*. Pourquoi celle-ci et pas une autre ?

C'est le réalisateur qui a eu l'idée. Il y a pas mal d'ironie dans les couplets, des références à la société qui est prise au second degré, de l'humour noir et il a trouvé cette manière très "Black Mirror" de représenter tout ça.

Au départ je voulais devenir metteur en scène donc avant je m'occupais de la réal' . Sur cet album j'ai un peu laissé ça de côté et j'ai fait confiance à ceux dont c'est vraiment le travail. Je me concentre sur la musique et j'ai appris à déléguer pour qu'on soit le plus fort possible. Mais je reste quand même directeur artistique des clips en général.

"C'est assez fascinant le sexe. C'est tellement instinctif, animal..."

Le rapport au sexe est très important dans ton album. Est-ce que sa place est aussi grande dans ta vie ?

Le sexe ça a effectivement pris beaucoup de place dans ma vie. Je suis resté avec une fille pendant quatre ans, on avait une vie sexuelle intense et une fois que ça s'est fini j'ai mis un peu de temps à me réadapter...

Mais maintenant je vis de manière très libérée. Du coup je sais pas si ça me rend heureux mais j'ai des histoires un peu tout le temps. C'est pour ça que j'en parle beaucoup, je suis à l'aise avec le sujet. C'est assez fascinant le sexe. C'est tellement instinctif, animal...C'est toujours fascinant de faire l'amour avec quelqu'un que tu connais pas. C'est un peu l'un de nos derniers remparts instinctifs je trouve.

En ce moment le rap devient de plus en plus populaire, dans beaucoup de milieux et on sent moins de condescendance de la part de certains médias. Est-ce que c'est quelque chose que toi tu ressens ?

Moi j'ai de la chance. Je représente cette partie qui leur fait accepter que le rap est une vraie culture. Je leur donne les moyens de s'en rendre compte mais en réalité il y a des milliers d'artistes avec lesquels ils sont toujours condescendants et auxquels ils ne comprennent rien.

Moi au final je leur permet de dire "ah tu vois, il y en a des biens". C'est un peu comme les gens racistes qui rencontrent un renoi gentil et qui disent "ah mais non, lui je l'aime bien, je suis pas raciste". En gros je leur donne juste l'occasion de voir un rappeur bien éduqué qui sait bien parler donc là ils disent "ah mais finalement j'aime bien le rap en fait" alors qu'ils écoutent pas. La satisfaction de rencontrer un rappeur qu'ils comprennent alors qu'ils comprennent pas forcément le rap.

Mais c'est pas non plus méchant de leur part, c'est plutôt un manque d'infos, de culture. Ils sont très contents de me recevoir donc c'est quand même cool.

"Je t'avoue que je suis sur mon deuxième album. Je galère un peu parce que j'ai peur d'avoir rien à dire. J'ai donné beaucoup de ma personne sur Flip."

C'est quoi les projets pour la suite ?

Je t'avoue que là je suis sur mon deuxième album. Je galère un peu parce que j'ai peur d'avoir rien à dire. J'ai donné beaucoup de ma personne sur Flip. J'avance petit à petit, je suis déjà parti trois semaines à Rome en Janvier pour commencer et j'ai bien avancé mais j'ai pas envie que ça sorte trop tard et je me mets un peu la pression avec ça.

Et qu'est-ce qui se dégage de ces trois semaines de taf ?

J'essaie de pas faire un "Flip 2" donc ça va être différent, dans les textes comme dans la musique, moins introspectif aussi. Je préfère garder des surprises concernant les futures collaborations mais je peux annoncer qu'il y en aura de nouvelles. Pour les productions je garde les mêmes gars que sur Flip sauf qu'à l'époque ils se connaissaient pas, ils avaient bossé chacun de leurs côtés.

Là j'ai pris mes plus gros piliers de Flip (Superpoze, Stwo...) et à cinq on est partis à Rome. On a fonctionné comme un groupe. On a tous travaillé ensemble sur chaque instru, même moi. C'était super agréable de bosser comme ça, hyper intéressant.

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour la suite ?

Que ça continue, que j'arrive à faire un deuxième album intéressant...

*Cette expérience cherchait à évaluer le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et à analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet.

Crédits photos : Alexia Abakar.