Franchement, pourquoi on se fait encore chier avec la Saint-Valentin ?

undefined 14 février 2018 undefined 10h49

Camille Deutschmann

Après notre édito sur le Nouvel An, on a aussi notre mot à dire sur la Saint-Valentin. Rien que vous ne sachiez pas déjà, mais il fallait en (re)parler.

Par Adrien Beaujean

Tu te regardes une dernière fois dans la glace, tu t'assures qu'aucun poil ne dépasse de tes narines, qu'il n'y a pas de bave à la commissure de tes lèvres, que tu n'as rien de coincé entre les dents et c'est bon, tu es prêt : braguette fermée, chemise bien boutonnée, tu souffles un grand coup. Deux petites claques sur les joues, un peu d'eau fraîche, petit coup de parfum – enfin quatre petits coups, histoire de cocoter de malade –, tu cours rejoindre ta dulcinée, ta raison d'être, ta préféreee-eee-eeence à toii-ii-iii (Julien, si tu me lis...).

Eh ouais, c'est mercredi, c'est le 14 février, c'est la Saint-Valentin, la fête des amoureux. Pendant que tous tes connards de potes beaufs célibataires vont engloutir pizzas, bières et chips devant Real Madrid/PSG, toi tu vas aller au restaurant avec ta belle. Un restau plutôt chicos, cher mais pas trop, dans un cadre romantique, à la limite de l'aphrodisiaque mais sans trop en faire – un peu de tenue : ce soir, on AIME.

Mais on aime quoi, au fait ?

Payer un plat 40 % plus cher qu'en temps normal parce que c'est la « Saint-Valentin » ? Être limite obligé de célébrer un truc qu'on ne devrait jamais célébrer que… ben on s'aime tous les jours, quoi ? C'est clairement pas normal. Mais qu'importe, les gens y vont, ils y foncent, y accourent. Et c'est leur droit. « La Saint-Valentin dure dix jours », peut-on lire ci et là sur des encarts publicitaires dans la rue. Pour les éjaculateurs précoces, ce serait plutôt 10 secondes. Mauvaise langue, je m'égare.

Je disais : « La Saint-Valentin dure dix jours », comme une épée de Damoclès qui te suit à la trace, bien placée au dessus de ta tête. La publicité et le marketing qui gravitent autour de cette fête te rappellent quotidiennement que : soit tu es en couple, et donc va falloir assurer grave pour combler ton (ta) chèr(e) et tendre dans tous les sens du terme pour marquer le coup – pas le droit à l'erreur –, pour la (le) chérir et lui montrer qu'à tes yeux, il n'y a et il n'y aura qu'elle (lui).

Soit tu es célibataire, tu es seul(e), tu es moche, tu es indésirable, tu finiras seul(e) de toute manière, et l'amour c'est pas pour toi, même en buvant du RedBull, rien ne te donnera des ailes, si tu stresses, même Point S ne sera pas là pour toi. Finalement, personne ne sera là pour toi. Deux visions radicales, je le conçois.

Mais n'est-ce pas là l'essence même de la Saint-Valentin, cette volonté de radicaliser l'amour et de transformer des amoureux en intégristes des sentiments ? La question est posée.

À l'ère des réseaux sociaux, des likes, de l'affiche perpétuelle, des filtres, des stories, des flammes – quelle connerie, d'ailleurs – et de l'inavoué et inavouable besoin de reconnaissance et de surreprésentation sociale, la Saint-Valentin apparaît comme la fête idéale pour se montrer, se pavaner et exposer au monde entier son amour. Un petit selfie en amoureux (ou alors une photo dans un miroir crasseux, c'est selon), des cœurs à gogo en commentaire et des hashtags au goût de bonbons, de licornes et de paillettes, et c'est parti : le compteur de likes peut exploser.

S'ensuit alors le traditionnel défilé des « tout le bonheur », « vous êtes trop mignons », « wow ! », « superbe couple », « tu es très beau, et ta petite amie aussi. Bisous. Tatie qui t'aime ». On s'expose, on s'impose et au final… on implose. Ben ouais, à un moment, on s'en rend compte quand même – enfin, j'espère – que c'est de trop. Qu'on en fait trop. Qu'on s'est créé ce besoin de trop.

L'amour ne s'achète pas, l'amour ne se quantifie pas, l'amour ne se comprend pas, ne se planifie pas, ne se trouve jamais là où on l'attend.

L'amour, c'est un peu comme une chambre à air : pendant longtemps, ça tient, de temps en temps on remet un peu de pression pour que la tenue de route soit optimale, et puis malheureusement, des fois, ça pète. Une crevaison, et c'est là qu'on peut de manière infime voir et soupeser la force de l'amour : soit on change la chambre à air, soit on met une rustine. De nos jours, les gens changent la chambre à air, les gens jettent, les gens zappent, trop préoccupés à garder leurs flammes sur Snapchat.

Alors que mince, l'amour c'est beau, et ça coûte rien, une rustine. Si, ça coûte de démonter la roue, d'analyser la situation, de trouver où est le problème, et de le réparer. Pour que tout redémarre comme avant, comme quand ça roulait bien. Ok, l'amour ça fait mal, c'est teinté d'incertitude, d'expectative, de bonheur intense mais aussi de mal-être par moments. Et dans le fond, ça vaut le coup d'être vécu.

Ok, tu as déjà souffert, tu es déjà tombé sur une connasse qui t'a brisé le cœur, tu es tombée sur un connard qui t'a menti, trahi(e), trompé(e), bafoué(e), jeté(e) comme un vulgaire mouchoir. Ok, beaucoup d'entre nous ont souffert et ne retiendront que le négatif. Mais, comme dans toute relation, le négatif est forcément accompagné de positif : si tu ne le ressens pas de suite, tu le ressentiras plus tard. Tout n'est pas à jeter parce que d'un coup ça s'est arrêté.  L'amour, c'est fort, l'amour ça tient au corps comme une vapeur d'essence, ça te retourne le bide, ça te retourne le cerveau, ça te retourne le… le … bon, le slip hein, aussi, faut pas se le cacher.

Mais l'amour, ça te fait te sentir vivant. Plus que jamais.

Alors pas besoin d'attendre la Saint-Valentin pour amener ta copine ou ton copain dans un beau restaurant – en plus, ça sera moins cher donc si t'es une pince, t'es doublement gagnant(e) –, de lui dire que tu l'aimes, de te faire beau pour elle (lui) ou belle pour lui (elle), de lui acheter des fleurs, de la (le) regarder dans le blanc des yeux tout en lui caressant les cheveux et de lui dire qu'elle (il) est belle (beau), de l'embrasser, de lui sourire, de se plonger dans son sourire.

Pas besoin d'attendre la Saint-Valentin pour dire à ton homme qu'il est beau, qu'il est drôle, qu'il n'y a que lui qui te fait rire comme ça, que dans ses yeux tu as l'impression d'être une personne aimée, qu'à son contact tu t'épanouis, que dans ses bras tu ne penses à rien, qu'à travers ses baisers tu comprends ce que c'est que le bonheur. Merde, pas besoin d'attendre la Saint-Valentin pour s'aimer.