Enquête : Pourquoi l'école ne prépare-t-elle pas à un monde meilleur?

undefined 22 mai 2019 undefined 16h33

La Rédac'

J'ai toujours pensé que l’école faisait partie de ces trucs de la vie impossibles à contourner, un peu comme les chagrins d’amour, la mort de mon premier animal de compagnie et les cours de natation où je me retrouvais en maillot devant tous les garçons. Ce passage obligé de 18 longues années est synonyme de merveilleuse expérience pour les uns et d’un gouffre terrible pour les autres. Mais à quoi m'a-t-elle réellement préparée ? Ai-je été encouragée à devenir actrice d’un monde meilleur ou ai-je simplement été formatée à survivre à l’atrocité du système dans sa globalité ? 

Et si le temps que nous passions à l’école était déterminant dans notre manière de se comporter avec nous-mêmes, avec les autres, et d’appréhender le monde ? « Mais ce n’est pas son rôle », me répliqueront certains. Et si ça l’était ? Et si nous étions partis du mauvais constat ? Et si ce que nous apprenions durant ces 18 premières années de notre vie n’était pas l’essentiel ? Je suis allée à la rencontre de différents acteurs et experts de l'enseignement, afin d'explorer de nouvelles pistes de réflexion.


Le Fast food de l'enseignement

Idriss Aberkane, enseignant, conférencier et essayiste français, analyse l’enseignement actuel en le comparant à un fast-food : « on peut servir un million de couverts par jour mais tout le monde mange la même chose. L’école est donc une belle réussite dans son accessibilité, le problème c’est qu’elle est ergonomiquement très faible parce qu’elle est la continuité d’un ancien système basé sur la conformité, qui n’a malheureusement pas su évoluer. En effet, l’école avait uniquement pour but de préparer l’enfant à être un parfait exécuteur d’ordre, cela permettait de former de la main d’œuvre en temps de paix et de bons petits soldats en temps de guerre. ».

La raison de cette incapacité à réformer l’école ? Son caractère bureaucratique. C’est-à-dire qu’il existe un large fossé entre la personne qui prend les décisions et celle qui en subit les conséquences. La bureaucratie ne subissant pas les conséquences de ce qu’elle fait, n’apprend pas de ses échecs ni de ses erreurs. « Les meilleurs systèmes éducatifs au monde sont ceux qui laissent une grande marge de manœuvre aux professeurs. », souligne Idriss Aberkane.

Résultat : tout le monde apprend la même chose, de la même manière, sans considération des différents rythmes, personnalités et affinités alors qu’au contraire, pour Ramïn Farhangi, fondateur de l’école dynamique, la solution semble résider dans la diversité des approches afin d’épanouir le potentiel d’une large diversité d’individus.


Des enfants qui ont peur des corrections lorsqu'on devrait leur apprendre à les adorer ! 

Pas étonnant que cela donne une société malade, du chacun pour soi, sans collaboration, peuplée majoritairement d’adultes malheureux et en manque cruel d’imagination. Pour que le monde change positivement, l’école devrait s’adapter aux enjeux du XXIe siècle – la globalisation, le numérique et la paix – en visant la coopération, l’adaptabilité et l’épanouissement.

« Malheureusement, ces trois critères ne se mesurent pas, or l’école adore mesurer, elle se base d’ailleurs uniquement sur les notes pour évaluer et définir si la personne est conforme à une attente donnéePour fonctionner, l’école devrait plutôt s’atteler à corriger, car pour apprendre correctement il faut être corrigé souvent. Confondre note et correction a des conséquences immédiates sur la psychologie de l’élève et sur l’estime de soi : à l’avenir, l’enfant évitera les corrections en se planquant au fond de la classepar peur, parce que le cerveau aura enregistré que s’il se trompait, il allait s’en prendre unePourtant, il devrait adorer être corrigé parce que par essence, l’humain se plait à recevoir les conséquences de ses actes. La clé du succès serait donc de faire en sorte que l’enfant soit gourmand de correction », m'explique Idriss Aberkane.


Des adultes incapables de s'écouter 

L'autre problème de la "cotation", c'est que l'on nous fait croire depuis qu'on est gamins que seules certaines postures mentales sont valides. Une fois adulte, il nous est alors très compliqué d'en développer d'autres et donc quasiment impossible de prendre les décisions de vie qui nous correspondent. 

Comme c'était le cas de Yazid Arifi, co-fondateur de l'École Démocratique de Paris : « J'ai eu un parcours scolaire brillant, puis j'ai intégré HEC, je me suis retrouvé à faire un métier soûlant, insignifiant, voir nocif. J'étais malheureux. Je me suis dit qu'il y avait peut-être un problème avec ce que lʼécole cherchait à produire. ».

Au vu de ces considérations, peut-être est-il temps de remettre l’humain, l’esprit critique, la confiance et la bienveillance au centre de l’éducation ? C’est en tous cas l’objectif de structures alternatives qui foisonnent partout dans le monde et dont certaines ont déjà fait leurs preuves. Elles proposent une autre manière d’aller à l’école, une autre façon d’apprendre et ont pour objectif principal de permettre à l’enfant de se connaître davantage pour ouvrir le champ des possibles et trouver sa voie dans la vie, peut-être même un sens à l’existence.


La possibilité d'apprendre de manière informelle

Je suis allée à la rencontre de l’une d’entre elles. Au cœur du 19e, l’École Démocratique de Paris s'inspire de la philosophie de la Sudbury Valley School, une école fondée en 1969 aux États-Unis qui se base sur l’aptitude de chacun à développer son propre potentiel dans un cadre libéré de tout objectif pédagogique. France-Elsa Boccard, ancienne ingénieure et professeure de mathématiques, aujourd’hui co-fondatrice de l’école démocratique, m'accueille en chaussettes et me propose une visite de l’école. Je découvre un lieu de vie constitué de différents espaces appelés salle de jeu, salle créative, salle polyvalente ou encore, salle de chuchotement, tous dénués de bancs alignés.

L’autre particularité est qu’il n’y a aucun programme imposé. Les enfants, de 4 à 18 ans, font des propositions informelles sur ce qu’ils souhaitent faire au jour le jour : « Cela crée plein d’interactions entre les membres et de facto, un apprentissage. Les enfants prennent des initiatives et font les choses parce qu’ils sont motivés et non pour obéir à un ordre. ».

Et lorsque je lui demande comment les enfants apprennent à lire, à écrire ou à compter, France Elsa me répond : « de manière informelle, comme ils ont appris à marcher ou parler. Les enfants apprennent soit par besoin soit par envie. Au fur et à mesure de leur évolution, ils ont des questions auxquelles on répond sans intention pédagogique car nous ne travaillons pas en termes de résultats. Notre souhait c’est qu’ici, les enfants aient un cadre de vie qui les rendent heureux de vivre et de venir à l’école. Cette école est un espace super pour permettre aux enfants de découvrir qui ils sont et ce qu’ils aiment faire. Elle apporte autonomie, responsabilité́ et confiance en soi, qui sont des éléments indispensables pour s’épanouir à son rythme et s’approprier son destin. ».


Changer un système où la souffrance est indissociable du mérite

Selon Idriss Aberkane, notre réticence à ce type d’enseignement s’expliquerait, en grande partie, par nos différents conditionnements. D’une part, la croyance qu’il faut souffrir pour être productif et que la souffrance est indissociable du mérite, et d’autre part, la pensée qui découle du syndrome de l’esclave, qui ne rêve pas d’être libre mais d’avoir son propre esclave : parce qu’il a souffert de l’école, l’adulte ne voit pas pourquoi ses enfants ne passeraient pas également par là. Comme le disait A. Schopenhauer, avant d’être considérée comme évidente, toute idée révolutionnaire aura d’abord été ridiculisée puis fortement critiquée.

Pour Idriss Aberkane, la clé d'un enseignement réussi serait finalement d'ajouter au caractactère massif de l'école, un caractère ergonomique. « Si on a le courage d’entreprendre un tel changement, on ferait honneur à l’esprit des lumières et à tous ces pionniers qui ont lutté ces 300 dernières années pour faire évoluer notre culture et pour libérer l’individu. », déclare Ramïn Farhangi, avant de conclure : « Faisons donc confiance à la pensée hugolienne que rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »