Rencontre : Lord Esperanza, entre rap affûté, mélancolie et ultraproductivité

undefined 21 février 2018 undefined 15h31

Camille Deutschmann

Le rappeur ultraproductif a accepté de répondre à nos questions en vue de son concert à la Laiterie de Strasbourg le 5 avril.

On parle de lui à travers son style, son flow ou ses références littéraires, mais il est difficile de percer la véritable identité de Lord Esperanza à jour. Âgé de 21 ans, le rappeur est un porte-étendard de sa génération des années 90 : créature des réseaux sociaux, il a laissé ses études de côté pour se consacrer à sa passion et porte en lui un spleen qui l'a forgé.

Difficile de ne pas se reconnaître dans ses morceaux, pour la plupart sombres, tranchants et bileux, même si parmi les 52 titres qu'il a sortis en 2017, beaucoup de styles et de références émanent. Dans son troisième et dernier EP en date, Polaroid, sorti en 2017, Lord admet d'ailleurs avoir voulu laisser passer un peu de lumière.

Le 4 mars, il sort le clip de son morceau "Anna", qui apparaît sur son dernier album. Fidèle à l'esthétique en clair-obscur de l'artiste, la vidéo nous plonge dans l'univers de Lord, entre fête brumeuse et sensations exacerbées. À l'occasion de son passage à la Laiterie de Strasbourg le 5 avril prochain, en première partie de Roméo Elvis, Lord Esperanza a accepté de se confier à nous.


Le Bonbon Strasbourg –
Tu peux nous expliquer, en quelques mots, comment tout a commencé ? 

Lord Esperanza – Ce sont mes parents qui m'ont transmis la passion de la musique, ils en ont toujours beaucoup écouté. Ça pouvait aller de MC Solaar à Amy Winehouse en passant par les Doors. Aussi, j'ai toujours aimé lire et écrire, j'écrivais des poèmes, des petites histoires, et je me suis rendu compte que je pouvais le faire en musique. 


LBS –
Donc pour toi le rap est la meilleure façon de faire passer de la poésie en musique ?

LE – C'est ça. Et je me suis aussi rendu compte que, depuis le début, c'était pour moi une porte d'entrée. Le rap est pour moi un moyen de toucher plus grand, parce que malheureusement, il reste pour beaucoup une sous-culture. Je pense qu'il peut être au contraire une porte vers la variété, vers la chanson, car les deux se mélangent beaucoup. De mon côté, j'ai conscience que le rap est une ouverture sur quelque chose de plus grand.

Le rap est mon identité car c'est ce que j'aime et je continuerai d'en faire, mais j'ai pour ambition d'aller peut-être un peu plus loin. Les frontières sont tellement minces aujourd'hui que ça ne veut pas dire grand-chose. De nos jours, la musique peut même être une porte d'entrée vers le cinéma, et le rap a cette faculté d'être multiculturel.


LBS – 
T'écoutes quoi en ce moment ? 

LE – Au final, j'écoute assez peu de rap. En ce moment, j'écoute Jorja Smith, Eddy de Pretto. J'écoute aussi un peu de classique, genre Erik Satie. J'adore aussi ce que fait Roméo Elvis, il m'a pris sous son aile d'ailleurs et m'a donné pas mal de soutien. Sinon, en rap, j'aime beaucoup Kendrick Lamar et en rap français, Damso.

© Jason Piekar

LBS – En écoutant tes EP, on se rend compte que tu as un univers plutôt sombre... Comment tu décrirais ton style ?

LE – J'ai souvent cette réponse, un peu simple mais qui est sincère et authentique, qui dit que je préfère laisser aux gens le soin de s'approprier ma musique. Il y a tellement de choses différentes, entre "Maria" et "Drapeau noir" en passant par "Pour ce soir", il y a plusieurs interprétations possibles et j'ai pas envie de synthétiser. C'est sombre, mais ça l'est de moins en moins. Une lueur d'espoir arrive – enfin, je crois.

Il y a aura en revanche toujours une petite part d'ombre. La musique est un exhutoire pour moi, par rapport à des choses que j'ai vécues. Ça me permet d'extérioriser, car la mélancolie est quand même assez réconfortante. Ça me fait penser au spleen baudelairien, à Rimbaud... Il y a cet aspect où tu te complais, de manière assez efficiente, dans la mélancolie en général.


LBS – Si la mélancolie aide à trouver l'inspiration, avec les 52 morceaux que tu as sortis en 2017, il faut croire que tu étais hyper triste... Comment tu es dans la vraie vie ?

LE – [Rires.] Parmi les 52 morceaux, il n'y a pas que des chansons tristes, quand même. Il a l'avantage de l'ego trip aussi, qui permet d'être assez productif sans avoir besoin de dire grand-chose, et puis il y a des chansons assez conscientes et engagées. Il y a aussi pas mal de chansons d'amour.

Beaucoup de mes chansons me représentent, forcément, comme autant de morceaux de mon âme. Mais le titre qui me représenterait le mieux, c'est peut-être "Drapeau noir". C'est l'une de mes chansons les plus introspectives. D'ailleurs, dans mes projets à venir, je vais encore davantage me confier. [Il réfléchit.] J'allais dire mon prénom, mais ça, ça reste encore un peu secret. Il faut pas que les gens le sachent, sinon, disons que le mystère disparaît. 


LBS – D'ailleurs, tu penses donner ta véritable identité un jour ?

LE – Ouais, je suis plus ou moins déjà en train de le faire en me livrant dans mes chansons, encore plus qu'avant. J'ai déjà écrit plusieurs chansons pour mes prochains projets, qui parlent effectivement de choses plus personnelles. C'est important aussi, que les gens apprennent à savoir qui tu es. J'avais besoin d'écrire ces chansons pour moi aussi.

LBS – Un papier du Parisien dit que tu es "le nouveau Nekfeu"... T'en penses quoi ? 

LE – J'en parle dans un freestyle, où je dis : "Je ne suis qu'un nouveau Nekfeu pour les généralistes." C'est un clin d'œil, un moyen de rappeler que ça ne me dérange pas qu'on parle de moi de la sorte, si déjà on en parle dans des médias comme Le Parisien, c'est un grand pas. J'ai eu la chance d'être sur France Inter récemment, et ils n'ont pas mentionné Nekfeu une seule fois. C'est juste une comparaison qui buzze et qui fait cliquer.

C'est plus simple de me catégoriser, et ça ne me dérange pas plus que ça. Ce qu'on fait est relativement différent, genre je vois pas trop Nekfeu chanter mon titre "Maria". Ça me saoulerait davantage si je sentais une ressemblance, mais là, en l'occurrence, même s'il m'a influencé, ce qu'on fait est différent. C'est pour ça que la comparaison ne me gêne pas.


LBS – Tu seras à la Laiterie le 5 avril. Il faut s'attendre à quoi pour le concert ? Tu es déjà venu à Strasbourg ?

LE – Il faut s'attendre à de la sueur, des postillons... [Rires.] Je pense qu'il faut s'attendre à un bon moment, à un moment généreux en tout cas. Je suis venu à Strasbourg quand j'étais très jeune. J'ai trouvé la ville très belle, les colombages tout ça... Quant au reste, pour être honnête, je n'en ai plus vraiment de souvenirs.


LBS –
Tu seras sur scène avec Nelick et Majeur-Mineur. Un petit mot sur eux ?

LE – Nelick, on a tout commencé ensemble, on a un groupe et il m'accompagne sur toute ma tournée. Je trouvais ça cool qu'il puisse en bénéficier, du public et tout. Ça fait partie de notre politique, et c'est pour ça que notre label s'appelle Par amour. On essaie de se donner de la lumière.

Majeur-Mineur aussi, je l'ai beaucoup mis en avant aussi, parce qu'on a sorti un EP ensemble, et que je remettrai en avant à l'avenir quand l'occasion se présentera. Les producteurs, beatmakers, sont pas assez mis en avant je trouve alors qu'ils méritent autant de lumière que le rappeur. Nelick et MM m'accompagnent et j'ai avec eux une très belle aventure humaine.

LBS – Tu as un rapport assez étroit avec les réseaux sociaux, tu as beaucoup d'abonnés sur Twitter...

LE – Quand j'ai commencé à me dire que je voulais faire de la musique, j'ai autant aimé le fait de créer que de faire ma propre promo sur les réseaux. J'aime bien me dessiner un univers et un personnage un peu mystérieux sur Internet. Je ne donne pas mon prénom, je ne donne pas forcément mon âge non plus, je dis que je suis un enfant des années 90. Je cultive un certain mystère.

En même temps, j'aime beaucoup les réseaux sociaux aussi parce que c'est grâce à eux que j'ai percé. J'ai mis des trucs sur Twitter, sur YouTube, et c'est comme ça que tout a commencé. Je suis un enfant d'Internet. Internet, 95 % de ma carrière est due à ça, j'en ai conscience. Mais j'ai construit ça avec beaucoup d'intérêt, j'ai bien étudié la chose, même si c'est un truc un peu inné pour moi. Ça m'intéresse beaucoup, mais je vais devoir laisser un peu ça aux mains d'un CM parce que ça me prend énormément de temps.


LBS – Tu fais autre chose à côté ?

LE – Non. Pour ne pas passez à côté de mon rêve d'enfant, j'ai choisi d'abandonner les études il y a deux ans. Ce qui n'a pas été forcément encouragé par mes proches au début, ce qui est normal. Mais je pense que, tout doucement, ils se rendent compte qu'ils ont eu raison de me faire confiance. 

Pour moi, arrêter les études m'a aidé à créer. Quand tu arrêtes la fac pour faire des chansons, tu culpabilises quand tu ne produis pas. Il y a certains jours, si je ne faisais pas au moins une ou deux chansons, je me sentais coupable. J'ai un côté un peu névrosé par rapport à la productivité, un peu perfectionniste. Quel est l'intérêt d'avoir arrêté pour être chez toi si tu ne produis rien ?


LBS – C'est quoi la suite ?

LE – Dans un futur proche, je vais encore sortir quelques clips pour le projet Polaroid. Et pour après, de nouvelles choses qui restent secrètes pour l'instant !


Lord Esperanza sera en concert à La Laiterie de Strasbourg le 5 avril 2018. Le concert est déjà complet, mais Le Bonbon te fait gagner deux places ! Il suffit de participer au tirage au sort ci-dessous. Si tu as gagné, tu recevras un mail la semaine du 5 avril. 

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Lord Esperanza sera en concert le 25 avril au Printemps de Bourges, le 15 juin à Marsatac (Marseille), le 22 juin à la Gaîté Lyrique (Paris) et le 6 juillet aux Ardentes (Lièges – Belgique).