Porno : ce que veulent les femmes

undefined 13 octobre 2017 undefined 17h45

Manon Merrien-Joly

Chaque année, le site PornHub, qu’on ne présente plus, publie ses statistiques concernant la consommation de films X à travers le monde. L’an dernier, le site a connu 23 milliards de visites pour près de 92 milliards de visionnages au total (soit 12,5 vidéos par personne sur Terre), et accueilli des films pour une durée totale de 500 siècles. Rien que ça. Et parce que le porno, c’est un tiers du traffic internet mondial, chaque site propose d’innombrables catégories qui divisent et classent le désir sexuel humain dans des cases très précisément définies.


Et en France, comment ça se passe au juste ? Le pays se porte très bien : alors que nous sommes le 6e plus gros consommateur mondial de films pour adultes, les femmes françaises sont les 9e au monde (si vous voulez tout savoir, les Brésiliennes occupent le top du classement). Le Bonbon s’est justement intéressé aux goûts des Françaises en matière de pornographie, en sollicitant des femmes de tous âges ainsi que la réalisatrice de films indépendants pour adultes Erika Lust.

Depuis 2004, cette Suédoise aujourd'hui installée à Barcelone réalise des courts et long métrages pour adultes à la direction artistique ultra-léchée. Son premier film, The Good Girl, a été téléchargé plus de 2 millions de fois. Quand on lui demande les ingrédients de son succès, on obtient une attention particulière au casting, à la déco, au stylisme, à la musique, au script et à la photographie. On aperçoit un plan rapproché sur des doigts qui effleurent le tissu d’une jolie culotte, un beau barbu endormi, une jolie brune au cheveux longs qui joue du piano nue, le tout sublimé par une esthétique soignée du décor aux dessous. 

« Quand j’ai commencé, une femme à la sexualité assumée était une fille de mauvais genre. »

           Erika Lust


De la reconnaissance du porno en tant que discipline artistique

Alors que les lumières blafardes et les sous-vêtements ultra-kitsch rythment le quotidien du porno mainstream, Mariam* mentionne le manque d’attention porté à l’esthétique dans la plupart des pornos qu’elle regarde.

« L'acte sexuel, c'est quand même tout un art : l’art de l'intimité, l'art de penser à l'autre en lui faisant plaisir, l'art de s'abandonner, l'art de faire rêver en mettant en scène un fantasme, et surtout, quand il s’agit d’un film porno, l'art de transmettre un état d'esprit par les images et la vidéo… »

Et parce que le fantasme, par définition, scénarise de façon imaginaire la réalisation d’un désir, et que l’art s’adresse aux sens et à l’émotion, certaines regardent du porno pour découvrir « ce qu’elles ne feront peut-être jamais », d'autres pour tester des fantasmes inavouables avant de les réaliser, ou non. Par exemple, les films les plus prônés parmi ceux d’Erika Lust en ce moment sont ceux qui mettent en scène les pratiques BDSM.


Liberté, égalité, diversité 

Particulièrement friandes des films lesbiens et dits "female friendly", les Françaises ne représentent que 20% du trafic français total sur les sites à caractère pornographique (la moyenne mondiale étant de 24%). 

Adeptes du porno, oui, mais pas n’importe lequel : beaucoup mettent en cause la violence des vidéos issues du X dit "mainstream", reflétant un désir masculin dominateur et unilatéral : on n’y voit pas vraiment deux personnes prendre leur pied… D’égal à égal. « C’est sans doute pour ça que, davantage que du porno gay ou lesbien, les femmes recherchent l’égalité au sein de la relation sexuelle », nous précise Erika. D’ailleurs, qui n’a pas remarqué que la classique vidéo X s’achève sur l’éjaculation masculine ?

Les mots-clés les plus tapés par les femmes françaises sont "France", "lesbiennes" et "anal". Les recherches qui les différencient le plus de ces messieurs sont les films "women friendly" ou "pour femmes", " gangbang", et "double-pénétration". Pour connaître l'intégralité des recherches en France, PornHub met à disposition plusieurs infographies ici.

Maud, elle, nous parle de ce qu’elle aimerait voir changer dans l’industrie.

« Ce que je n'aime pas dans le porno, c'est que le mainstream est en grande partie fait pour et par des mecs hétéros et blancs. Du coup toutes les minorités en prennent plein la gueule, et j'ai de plus en plus de mal à en regarder à cause de ça. »

Parce qu’il est évident que la gent féminine n’est pas systématiquement dotée à la naissance d’une paire de seins et de lèvres aussi gonflés que les bouées donuts qui ont envahi Instagram cet été, un bon porno se joue avec des grandes, des petites, des femmes en chair et d’autres un peu moins, des tatouées (et pas seulement avec des flammes en bas du dos), des métisses, des rousses, des blanches, bref, des femmes.

Se détourner de l'androcentrisme qui règne au sein de l'indutrie du X qui définit les acteurs et actrices en fonction de leurs attributs physiques permettrait peut-être également de produire des films aux scénarios qui tiennent la route, et qui reflèteraient presque... la réalité.


Le naturel, ce grand absent de l’industrie porno

En dehors du fait que dans la majorité des films X, la partie émotionnelle est complètement laissée de côté, les comportements (autant féminins que masculins) et les simagrées des acteurs sont exagérés au point d'en laisser plus d'un(e) perplexe, comme Maëlys qui raconte son impression concernant le jeu des acteurs : « Quand il y a une histoire autour ça m'ennuie profondément : ça joue tellement mal, ça me casse tout mon délire. Et je n'aime pas voir le visage des acteurs et actrices, ça me met plutôt mal à l'aise, je saurais pas trop dire pourquoi... » 

Quant aux scénarios, ils sont tellement redondants qu’ils semblent souvent être écrits par un être sans une once de créativité qui ferait passer Don Draper et les autres personnages de la série Mad Men pour des féministes extrémistes. 

D’ailleurs, beaucoup de femmes à qui on a demandé ce qu’elles voudraient changer dans les vidéos porno ont mentionné les plans rapprochés, qui s’apparentent davantage à une observation scientifique des organes génitaux humains qu’à de réelles situations censées susciter le désir. C'est l'avis de Floriane : 

« En général je vais sur des sites où ce n'est pas joué, comme les sites amateurs. Je regarde soit des nanas seules qui se touchent, des mecs qui se masturbent ou des couples qui font l'amour ! Mais jamais de vidéos où on voit les sexes de près. J'ai du mal avec ça. Et voir un pénis dans un vagin en gros plan, pareil, ça relève plutôt du cours de SVT de collège, quand on nous montrait un accouchement… »


Et le porno pour femmes alors ?

Récemment, on a vu apparaître une catégorie dite "Women Friendly" sur les sites pour adultes : une appellation qui, en son seul nom, en dit long sur le reste des vidéos produites par l’industrie…

Il s’agit d’abord, pour Erika Lust, de déconstruire le cliché très répandu selon lequel la pornographie dite "féministe" serait anti-masculine dans la foulée. Elle qui se définit davantage comme une réalisatrice de films indépendants pour adultes donne sa propre définition du porno féministe : « Ce sont tout simplement des films pour adultes conçus par et pour des gens qui portent de la considération au plaisir de la femme et qui veulent voir le plaisir féminin à l’écran. »

Les films X dits féministes se tournent vers celles et ceux qui se posent régulièrement des questions concernant les conditions de travail des actrices, qui veulent voir plus de diversité à l’écran, de confiance entre les travailleurs, de transparence… et de sexualité heureuse, en somme. Bref, ce qui devrait être un standard de l'industrie selon la réalisatrice. Au même titre que la consommation éthique en matière d'alimentation, de textile, de style de vie, le porno pour femmes redonne confiance à ceux qui se posent la question : qui fait le porno que je regarde ? La différence entre le X classique et les films féministes se trouve aussi au sein des messages véhiculés par l’industrie mainstream, des messages misogynes et racistes qui forcément en dégoûtent plus d’un(e)…

Si les femmes représentent seulement un consommateur de films pour adultes sur 5, c'est aussi peut-être parce qu'il existe une multitude d'autres supports érotiques et pornographiques sur internet : on recense un nombre important de blogs tumblr et comptes instagram érotiques et arty (et accessoirement moins violents). D'autres préfèrent lirent des nouvelles, à l'instar de Val : « Je préfère lire des histoires érotiques. Elles me laissent plus de liberté, je peux adapter certains détails à ma convenance. Et puis j'aime la créativité qu'il y a dans les récits. Les situations, les lieux, les relations entre les personnes sont plus détaillés et plus variés que dans les films »


Parce qu’il est impossible de catégoriser précisément les désirs des femmes (et des hommes), il s’agit plutôt de tenter de déceler les envies d’une société entière qui se remet de plus en plus en question quant à ses pratiques en matière de sexualité et de films X, en tentant de découvrir quelques rouages du monde peu (ou mal) représentés du désir féminin.

Pour aller plus loin, on vous conseille le très bon docu-série Hot Girls Wanted : Turned On qui retrace en six épisodes les problématiques et les alternatives de l'industrie pornographique et de la sexualité en général, en mettant en lumière les acteurs de la scène progressiste du X (disponible sur Netflix). 

*Les prénoms ont été modifiés.