La « mecsplication », cette tendance horripilante des hommes à nous expliquer la vie

undefined 15 mai 2018 undefined 18h10

Manon Merrien-Joly

C'est l'histoire de Rebecca Solnit, une journaliste et essayiste féministe californienne qui, après un diner à la station de ski d'Aspen (Colorado) s'apprête à quitter la soirée avec une amie. A ce moment-là, un homme les accoste en tentant un "alors, il paraît que vous avez écrit un livre ou deux ?".

Effectivement, elle en a déjà écrit sept et le dernier est consacré au photographe Eadweard Muybridge. Elle entreprend de lui parler de cet artiste emblématique du 20e siècle et de ses travaux sur la décomposition du mouvement, mais l'inconnu l'interrompt pour lui parler d'un livre "important" paru à ce sujet : l'amie de la journaliste essaie de l'interrompre, sans succès, pendant qu'il déblatère de manière bien condescendante sur le bouquin qu'il n'a manifestement pas lu. Sauf que ce livre, Rebecca Solnit le connait plutôt bien, puisque c'est elle qui l'a écrit. 

L'histoire de cette journaliste, c'est l'histoire de beaucoup d'autres : bienvenue dans le merveilleux monde du "mansplaining" ou "mecsplication" dans la langue de d'Ormesson. Si Rebecca Solnit a conceptualisé le terme en mars dernier avec son livre "Ces hommes qui m'expliquent la vie", le syndrome touche toutes les populations sans exception ni limite géographique. Si répandu d'ailleurs que l'Oxford Dictionnary itself l'a ajouté dans ses rangs, qualifiant "un homme qui explique quelque chose à quelqu'un, typiquement une femme, d'une manière condescendante ou patriarcale".

Sur Twitter, on a déniché de très beaux exemples de mecsplication, et il ne faut pas fouiller bien profond pour dénicher ces pépites : 

"Eh les filles, c'est quoi le truc le plus énervant qu'un homme vous ai mecspliqué ?
- Comment utiliser un tampon correctement. Non, il n'était pas médecin."

"Les règles sont toujours régulières et les mêmes pour chaque femme dans le monde, et l'ont toujours été", Un ami.

"Une fois, un mec m'a expliqué le harcèlement de rue : "Apparemment, c'est un truc que les gens font maintenant". Oh, apparemment ça se fait. Merci.

Tout au long de son essai, Rebecca Solnit n'utilise à aucun moment le mot "mansplaining". Elle emploie plutôt l'invariable "la confiance de confrontation de l'ignorant total" (pas facile à traduire, celle-là). En gros, un mec qui a tellement confiance qu'il brode sur le sujet sans rien y connaître. Récemment, la journaliste a confié à Libération qu'elle était un peu réticente à l'emploi du terme mais qu'un jour, une étudiante l'a fait changer d'avis en lui rapportant que "ce mot était important, voire précieux, parce qu’il permettait de nommer une expérience qu’elle - comme beaucoup d’autres - avait connue. Elle explique ainsi que Nommer, identifier ce phénomène permet de comprendre que c’est un schéma, un syndrome, pas seulement une expérience personnelle malheureuse. Diagnostiquer un mal est la première étape nécessaire pour commencer à l’endiguer."

Condescendance ou mecsplication ? Attention malheureux-ses, si la mecsplication implique de la condescendance et/ou du paternalisme, la condescendance masculine n'est pas forcément du mansplaining. En ligne, ce comportement se manifeste la plupart du temps dans les commentaires émis par de nouveaux internautes non-habitués échangeant sur des thématiques ayant attrait à la condition féminine. Toujours est-il que la différence entre la condescendance et la mecsplication réside en la notion de "privilège" et ainsi de faire une leçon de vie dont tout le monde se passerait bien.

Êtes-vous en train de mecspliquer ? Faites le test

En faisant mes recherches pour écrire cet article, j'ai trébuché sur ce message de forum qui témoignait de toute l'incompréhension qui règne. 

"OK, je n'en peux plus. Je m'étais promis de cantonner mes posts aux conseils de gaming mais je dois parler de l'usage croissant du mot "mansplaining" dans les cercles féministes. Ca se répand maintenant dans les médias les plus généralistes. J'ai vu un article sur Jezebel utilisant ce terme et je commence à péter un câble. D'autres termes dégradent tellement la condition masculine. Celui-ci tend à invalider chaque chose qu'un homme dit en faisant de ces paroles un produit de son ego et non de son intellect. En considérant la manière dont les hommes sont mis de côté de notre système éducatif, il parait totalement sensé qu'un terme comme celui-ci va participer à amoindrir la pertinentce de toute contribution masculine.

Que ces pétasses qui utilisent ce mot aillent se faire voir. Voilà ma solution au problème. On doit se mettre d'accord avec ce terme "vous avez raison, nous sommes en train de "mecspliquer" parce que les hommes ont inventé, conçu, construit et délivré chaque chose que tu vous utilisez dans ce monde et nous sommes ceux qui ont besoin d'expliquer pourquoi les choses sont ainsi, parce que NOUS avons construit la société (...) L'autre chose à faire serait également de ne PAS aider les femmes avec des problèmes techniques pour lesquelles elles posent toujours des questions et dire "je ne voudrais pas avoir à "mecspliquer" et ainsi te dégrader. Débrouille-toi."

Donc. Pour éviter ce genre d'interprétations douteuses, le site Jezebel (qui, étrangement, constitue le point de départ de ce post) a établi 5 conseils pour les "mecspliqueurs", sous forme de questions à se poser, que nous nous sommes permis de traduire. Ainsi, on perçoit toute la nuance du terme.

- Savez-vous à quel point la femme à qui vous parlez en connait sur le même sujet ?
- Utilisez-vous votre prétendue expertise pour prouver quelque chose sur votre virilité ?
- Quand elle parle, écoutez-vous ce qu’elle est en train de dire ou êtes-vous simplement en train de préparer votre réplique ?
- Parlez-vous de votre propre expérience, ou êtes-vous plutôt en train d’universaliser vos propres sentiments ? Est-ce que vous lui expliquez sa propre expérience ?
- Savez-vous vraiment de quoi vous parlez ?

Du mansplaining au "-splaining"

Finalement, comme nous y réfléchissions plus haut, le mansplaining est une des manifestations du suffixe "splaining", comme le détaille le site Know Your Meme, qui a décelé d'autres types de "-splications". On peut croiser dans la vie des individus qui font preuve de "whitesplaining" (l'exemple de l'individu caucasien qui explique les racines du racisme à la personne noire), de "blacksplaining" (qui désigne l'acte d'une personne noire expliquant des faits et statistiques négatifs à propos des Noirs - coucou Kanye West), d' "ablesplaining" (dans le cas de l' "explication" d'un aspect de son handicap par une personne qui n'a pas vécu ça). 

Evidemment, l'inverse existe : le "femsplaining" désigne la tendance de certaines femmes à croire (à tort) qu'elles savent automatiquement plus sur un sujet qu'un homme et qui, par conséquent lui explique (correctement ou non) quelque chose qu'il sait déjà.

Précisons que si, ironie du sort, cet article peut paraître condescendant à l'égard de la gent masculine, il n'a absolument pas vocation à qualifier le comportement de TOUS les hommes, ni même des hommes condescendants car ici, nous avons bien parlé la "mecsplication", donc un comportement qui consiste à expliquer à une femme un sujet qu'elle connaît bien, en prenant pour appui son expérience et son statut d'homme. Pour plus de précisions, nous vous invitons gentiment à lire le paragraphe expliquant la différence entre condescendance et mecsplication. Toute ressemblance avec une tentative de discrimination masculine est donc totalement fortuite.