Qui sont ces jeunes qui regardent des coachs de séduction en ligne ?

undefined 28 juin 2018 undefined 13h30

Marie Tomaszewski

Le web est décidément un puits sans fond de trouvailles décontenançantes, où viennent s’échouer le pire comme le meilleur de l’imagination débordante de nos congénères. Récemment encore, j’ai exhumé des cavités de YouTube des vidéos dont je ne soupçonnais pas l’existence. Pas de vieux fossiles enfouis dans les tréfonds de l’internet, non non, mais des vidéos récentes, comptabilisant des milliers d’abonnés et révélatrices en creux d’une pratique inattendue : la consultation de coachs de séduction en ligne. J’ai décidé de rencontrer deux jeunes hommes s’adonnant à leur visionnage et appliquant les conseils des coachs pour draguer dans la rue.

Je vous fait le compte-rendu de nos entretiens, significatifs de pratiques d’abordage méconnues, allant à contre-courant des sites de rencontre en ligne.


Pierre
a 17 ans. Comme beaucoup de jeunes garçons voulant augmenter leur capital séduction auprès de la gent féminine, il s’est retrouvé au fil des clics à consulter les vidéos des grands érudits de la drague comme Nicolas Dolteau et Vincent La Gouaille. Les deux hommes, qui possèdent tous deux un site web, donnent des conférences payantes, écrivent des livres, ont fait de leurs techniques de séduction, du manque de confiance et de l’inexpérience de milliers de jeunes un véritable commerce, fructueux. Icônes du milieu, comme me l’explique aussi Jean-Eudes, 21 ans, tous les dragueurs de rue les connaissent.

Qu’espèrent ces jeunes en regardant ces coachs au physique avantageux expliquer la clé de leur succès, leur permettant de pénétrer l’intimité de filles rencontrées dans la rue ou en soirée (filmées en train d’être embrassées en caméra cachée) ? Observent-ils réellement une progression dans leur capacité à plaire et à avoir une relation en visionnant "6 conseils pour BIEN aborder une fille dans la rue" ou "quels SMS envoyer à une fille ?" ? Ces vidéos permettent-elles la délivrance des timides et des maladroits, enfermés dans le cercle vicieux des râteaux à répétition par leur caractère introverti ?

© 40 ans toujours puceau - Allociné

La réponse de Pierre est mitigée : « je suis tombé par hasard sur leurs vidéos et je me suis mis à essayer. Le problème c’est qu’ils ne t’apprennent pas à draguer avec ta propre méthode, ils t’invitent à reproduire la leur ». Il pense toutefois que la drague de rue, qu’il pratique par "sessions", principalement à Châtelet - les Halles (comme une trentaine d’autres Parisiens), l’a libéré sur le plan relationnel. « Avant je n’étais pas à l’aise, ça m’a donné une certaine assurance », explique-t-il, même s’il déclare ne plus regarder ces vidéos. « J’essaie de m’en détacher et je demande à un ami de me filmer pour m’améliorer. Je me suis rendu compte que je gigotais beaucoup, que je parlais trop avec les mains quand j’étais stressé, que je m’éjectais trop vite. Je travaille sur mon body language. »

Pierre relève les bienfaits de cet "entraînement" sur sa confiance en lui : « quand t’y vas pour la première fois t’as peur et puis tu découvres que tu peux plaire. Des fois je me fixe des objectifs, comme de ne pas rentrer chez moi tant que je n’ai pas parlé à 20 filles. J’essaie de faire des sessions solo, sans mon wing (pote de drague, ndlr). Je veux avant tout être une meilleure version de moi-même. Même dans le cas du pire des bash, je suis heureux d’avoir osé le faire. »

Nous comprenons que Pierre se challenge tout seul, tente de vaincre sa timidité à coup de compliments et de conversations engagées avec des inconnues. La drague n’est-elle alors qu’un simple prétexte pour gagner en aisance relationnelle ? « Non, dément t-il, j’organise vraiment le date avec les filles dont j’obtiens les numéros et je cherche une copine qui me corresponde vraiment. » Lorsqu’on lui demande pourquoi il ne s’inscrit pas plutôt sur un site de rencontre ou n’aborde pas les filles en boite de nuit ou dans les bars plutôt que dans la rue, il répond : « Tinder c’est pas du réel, ça ne m’intéresse pas et les boîtes de nuit, je trouve qu’il n’y a pas assez de magie pour la fille. » Il reconnaît toutefois que dans le groupe, dont la tranche d’âge s’étend de 17 à 35 ans, il y a deux écoles : ceux qui « veulent faire du chiffre » et ceux qui cherchent une relation stable.

Jean-Eudes, 21 ans, fait partie des dragueurs de rue expérimentés de la communauté. Il a commencé quand il avait 14/15 ans, pour des raisons différentes de celles de Pierre, manquant de confiance : « j’ai grandi aux Antilles où avec les filles ça se faisait de façon assez naturelle, quand je suis arrivé en France en seconde je les ai trouvées plus froides et distantes. Pourtant j’étais bien intégré... J’ai compris plus tard que c’est parce que la maturité sexuelle est plus jeune aux Antilles. En France, en seconde, on n’est pas trop sexualisé, alors qu’aux Antilles la première fois c’est en moyenne à 14 ans, dès la fin du collège. Il faut attendre en moyenne 17 ans en France, c’est pas les mêmes codes. Du coup je me suis dit "tiens on va regarder un peu comment on fait en France". Mon habitude quand j’ai une question c’est d’aller sur Internet, de voir les livres qui se font, c’est comme ça que je suis tombé sur les vidéos de Nicolas Dolteau, puis sur les forums dédiés et les groupes whatsapp RSM. »

Comme Pierre, il a d’abord essayé d'entraîner ses amis dans ses sessions de drague de rue, sans succès : « il n’y avait personne qui était chaud. Ils ont vu des coachs le faire en vidéo, ils se sont dit que c’était soit du fake soit que ça ne marchait pas, comme le pensent la majorité des gens. » Malgré l’incompréhension de ses amis, Jean-Eudes s’est lancé avec détermination dans l'univers méconnu de la drague de rue et en a conclu que « ça marchait assez facilement ». « Toutes mes copines je les ai rencontrées comme ça », ajoute-t-il.

Lui non plus n'est pas porté sur les sites de rencontre : « tout ce qui est en dehors de la vie réelle ça me fatigue. J’ai choisi la rue parce que c’est un théâtre où tout est possible, et provoquer une rencontre dans un espace qui n’est pas approprié pour ça, ça t’oblige à sortir un peu de toi. Les lieux comme Châtelet sont appréciés des dragueurs pour une raison simple, les gens qui s’y baladent ne sont pas pressés, ils font les magasins, ils zonent. Moi je me fais plein de potes dans les gares parce que c’est un endroit où on part en voyage et où on est dans un autre état d’esprit. »

Jean-Eudes semble donc être motivé par l’envie de faire de nouvelles rencontres, de bousculer ses habitudes et, comme pour Pierre, de gagner en aisance relationnelle : « tu te fais des potes et tu prends l’habitude d’aller parler à des gens à qui tu n’osais pas adresser la parole – des filles au début car ce sont elles qui t’impressionnent le plus – puis tout le monde en général, comme ceux que tu trouvais trop cultivés ou trop intéressants pour toi avant. »

Il nous livre ses conseils pour progresser sur le plan relationnel : « la première étape, pour moi, c’est vraiment de se désensibiliser à la peur de l’approche. Au début les bashs ça a plutôt tendance à casser ton estime de toi, puis tu apprends à accepter le rejet, à te dire que ce n’est pas toi qu’on rejette mais la situation, l’image que tu as donnée de toi à l’instant T. L’important c’est d’y croire, de se dire que c’est possible. »

Ce dragueur appliqué a aussi pris l’habitude de se rendre à plus d’événements pour avoir un "capital culturel" à offrir à celles qu’il aborde et rendre les conversations plus intéressantes : « maintenant je me fixe deux événements obligatoires par jour, que ce soit des conférences de développement personnel, des ateliers d'initiation au théâtre, à la danse etc. Là par exemple je me rends à un concours d’éloquence », nous explique-t-il.

Selon Jean-Eudes, c’est sa curiosité qui lui permet de ne pas se lasser de ces discussions engagées avec des inconnus, que l’on pourrait craindre superficielles. Il admet passer par l'étape attendue des "qu'est-ce que tu fais dans la vie, quel est ton travail ou tes études ?", mais remarque qu'il faut poser les "bonnes" questions. « Tu fais des études de philo ? Ça peut etre une histoire passionnante comme une histoire de merde. Pourquoi tu le fais, qu’est-ce que ça te fait de le faire ? Si tu creuses bien, tout sujet peut être intéressant. », souligne-t-il. 

Nous finissons par aborder la question problématique du harcèlement, dont les frontières avec la drague de rue nous semblent franchement poreuses : « tu n’as jamais eu peur que l’on t’accuse de harcèlement ? »

« Je suis très peu sur les réseaux sociaux, donc je suis très peu au fait de ce qu’on peut penser. Mon expérience de rue, c’est que c’est rare qu’une fille réagisse mal. Il y a des filles qui vont me dire qu’elles ne se sentent pas à l’aise, mais c’est archi rare. J’ai découvert que Marion Sequin avait fait une vidéo longtemps après qu'elle soit sortie. Oui je comprends qu’une fille qui se fait traiter de pute dans la rue ou se fait aborder tous les jours quand elle va au travail soit saoulée. L’expérience que j’ai c'est qu’il y a des gens réceptifs et d’autres pas, mais que globalement le retour est plutôt positif. Une fille peut te dire non parce qu’elle a un copain mais préciser que c'est cool que tu sois venu lui parler. De temps en temps tu vas avoir une réaction archi-négative mais c’est très rare, beaucoup plus qu’on ne le pense. J’ai demandé à ma grand-mère ce qu’elle en pensait et elle m’a dit qu’elle trouvait ça plutôt sympa, qu'à son époque ça se faisait beaucoup plus et qu’il n’y avait pas tant de lieux d’échange que ça à part le bal du village. Une grande partie des couples qui se sont rencontrés dans la rue avant est passée aux sites de rencontre. »

Pierre et Jean-Eudes ne se considèrent pas comme des harceleurs, mais revendiquent un retour à un contact plus naturel, plus humain à l’heure où les rencontres se font par écrans interposés. Si on peut comprendre cette envie de tisser des liens autres que sur la toile, on défend le droit des filles à avoir une tranquillité quand elles marchent dans la rue, sans qu’un dragueur, aussi poli soit-il, ne les importune. Force est d’ailleurs de constater que les filles sont absentes de ces sessions de pêche de rue organisées, comprenant un QG et un langage codé (“nc” pour “prendre les numéros”, “sc” pour “suck close”, “pull” : pour “ramener la fille”). Les coachs en séduction ont rendu cette pratique davantage grand public, même si les dragueurs de rue tendent généralement à s’en distancier au fil du temps.