Non, la guerre bouchers VS véganes n'aura pas lieu, si l'on en croit un membre de la CFBCT (Confédération Française de la Boucherie-Charcuterie, Traiteurs) et l'association de protection animale L214. Malgré ce que l'on a pu lire dans de nombreux médias ces derniers jours, la Confédération n'a pas demandé de protection policière contre la communauté végane, mais bien contre « la minorité violente dans la minorité », nous signale cet employé qui a tenu à rester anonyme.
Une lettre adressée au ministère de l'Intérieur
Le 25 juin dernier, la CFBCT publiait sur son site une lettre adressée au ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, dénonçant la multiplication des actes de vandalisme à l'encontre des commerces de bouche. Reportant « des passages à l'acte violents qui semblent même se banaliser » de la part d' « une partie de la population » qui veut « imposer à l'immense majorité son mode de vie pour ne pas dire son idéologie. ».
Le courrier fait état des (nombreuses) attaques, comme ces jets de faux sang en Charente sur les vitrines de trois boucheries en 2017 et dans les Yvelines dans la nuit du 1er juillet dernier, le jet de pierres et les graffitis "anti-spécisme" sur quatre commerces (une boucherie, un restaurant spécialisé dans le canard, une poissonnerie et une rôtisserie) ainsi que des "antécédents" qui auraient été signalés en Occitanie. Plus grave encore, la CFBCT mentionne cette militante de la mouvance végane qui s'était réjouie de l'assassinat du boucher du Super U de Trèbes dans l'attentat de Trèbes. Depuis, elle a été condamnée pour apologie du terrorisme.
Olivier Truchot
Enfin, la Confédération dénonce la stigmatisation de ses membres « sur les bases de son appartenance à une profession » en allant même jusqu'à qualifier ces attaques répétées de « forme de terrorisme » et s'attache à défendre son savoir-faire, demandant à « travailler sereinement, loin de la haine et des diktats de certains fanatiques » et souhaite qu'on la « laisse travailler en paix » et que l'on « laisse les Français manger ce qu'ils souhaitent ».
Dans les Hauts-de-France, sept boucheries ont été aspergées de faux sang en avril, une boucherie et une poissonnerie ont été vandalisées, leurs vitrines brisées et les façades taguées de l'inscription « stop au spécisme ».
Il ne s'agit pas d'un conflit boucher VS vegans
Le Bonbon a donc contacté un membre de la CFBCT qui a tenu à commenter les informations données par la presse ces dernières semaines. « Ce n'est pas un conflit des bouchers contre les véganes comme on peut le lire partout. Comme nous l'expliquons dans la lettre, nous respectons totalement les personnes qui ne mangent pas de viande, c'est leur choix. »
Il témoigne de la lassitude voire même de la peur que ressentent les professionnels du secteur : "On réagit face aux actes de vandalisme qui ont été commis en interpellant le Gouvernement, en appelant à condamner cette violence qui devient de plus en plus présente : une centaine de boucheries caillassées et visées par des jets de faux sang dans les Hauts-de-France ou à Angers, à Castres et même à l’étranger. On a constaté le même acharnement à Genève, en Angleterre, en Belgique… » Selon lui, « le but est de terroriser les commerçants pour qu'à terme, il n'y ait plus de boucherie, de poissonnerie ou de fromagerie ». « Ces commerces sont le travail de toute une vie », ajoute-t-il.
Twitter / La Voix du Nord
L'employé a d'ailleurs pesé ses mots en dénonçant la violence de la part d'une « minorité dans la minorité » et explique qu'ils n'ont « pas demandé une protection policière ». « Nous nous adressons aux ministres, nous donnont l'alerte pour qu’ils considèrent ces caillassages et que la justice fasse son travail, parce que pour l’instant on est face à une forme d’impunité... »
Les représentants de la CFBCT ont été reçus la semaine dernière par un conseiller de police et un conseiller de gendarmerie du ministre, qui ont « pris conscience du problème de violence et sont entrés en contact avec les préfectures, pour qu’elles puissent organiser des rencontres avec les syndicats de la boucherie dans chaque département. Le but est de faire un état des lieux dans certains départements où certains individus sont plus radicalisés. ».
Les entités véganes démentent, et regrettent un emballement qui s'éloigne du sujet de fond
« Je suis surtout étonnée par le buzz engendré par ces actes qui sporadiquement existent depuis très longtemps. Ces dégradations peuvent-être qualifiées de violentes mais à mon sens, il y a une disproportion que je trouve gigantesque entre la violence d’une vitre cassée et la violence de l’activité dénoncée. Ce sont trois millions d’animaux abattus par jour. », estime Estiva Reus, rédactrice aux Cahiers Anti-Spécistes depuis 20 ans qui avoue surtout être « très surprise de la couverture médiatique de cette affaire » et appelle à mesurer la réaction face à ces événements qui restent pour elle rares, et ne véhiculent pas le bon message.
Estiva Reus reste aussi prudente face à la lettre envoyée au ministère de l'Intérieur par la CFBCT. « Je trouve que le discours de la Confédération diverge. Il est très pacifiste mais il y a quand même (de façon sous-jacente) une manière de dire que ce sont la plupart des anti-spécistes. Au cours d’une interview, un boucher (Laurent Rigaud, président des Bouchers du Nord, ndlr) a fait des allégations à propos de l’attaque d'un magasin de fromage à Lille, en pointant du doigt l’association L214. J’ai été présente aux origines de la création de l’association et je peux vous dire que ce ne sont pas ce genre de méthodes qui sont utilisées », assure-t-elle.
Twitter / Suifou Jean
Du côté de L214, l'heure est également à la surprise et au doute : « On ne sait toujours pas si ce sont oui ou non des anti-spécistes, ou si les auteurs sont des gens qui cherchent à décrédibiliser le débat qui est en train de s’installer. Pour moi, on est en train de créer un clivage en détournant l’attention du réel problème, on essaie de construire un dialogue et de rallier le plus de gens possible à la cause animale », nous a expliqué Brigitte Gothière, porte-parole de l'association.
Quant aux connections que L214 aurait avec certains mouvements extrêmistes véganes (comme l'ALF, le Front de Libération Animale qui a revendiqué la casse survenue dans une crémerie lyonnaise), l'association dément : « On essaie plutôt d’agrandir le cercle de bienveillance, d’avoir comme modèle une société en paix avec les animaux. Ça passe par un changement de vision complet de la société : en embarquant tout le monde avec nous, on veut aussi intégrer ceux qui vivent de l’exploitation des animaux. Ça va se passer par une prise de conscience des pratiques cruelles infligées aux animaux qui restent légales, comme la castration à vif des porcelets ou l’élevage en batterie. Ce n’est pas le tout de dénoncer les coupables, on est tous embarqués là-dedans. »
La question de la manière dont on tue les animaux dépasse le clivage qui sépare les véganes des omnivores
Les Cahiers anti-spécistes et L214 s'accordent également sur le fait que le débat en cours n'est pas celui pour lequel elles œuvrent : « Ces actes ont pour seule conséquence que l’on évite le débat de fond, qui reste la souffrance animale. Ce ne sont absolument pas le type d’actes qui sont propices à la réflexion et au changement. Notre meilleur atout, ce sont les images de la réalité. La volonté de dénoncer le système dans son entier, ça passe par montrer ce qui se passe ici et maintenant. On a toujours fait attention à ne pas se focaliser sur une personne mais sur le système », précise Brigitte Gothière.
« Même quand on n’a pas remis en question le fait de manger des animaux, le fait du "comment" on tue les animaux et on les traite, la question dépasse le clivage qui sépare les véganes des omnivores. Briser des vitrines ne provoque pas ce débat, par contre, ça masque les animaux qui sont derrière. La question de la guerre des commerces de bouche contre les véganes n’existe pas. On souhaite avancer ensemble. Ce qu’on propose, c’est un changement de civilisation, on se rend compte que tous les progrès sociaux qui ont été faits, la pleine reconnaissance des animaux en tant qu’individus prend plusieurs générations, il s’agit de poser les jalons aujourd’hui pour un monde qui ne considère plus les animaux comme des ressources alimentaires », conclut la porte-parole de L214.
La dernière attaque contre un commerce de bouche menée par des activistes véganes a eu lieu vendredi 20 juillet dernier dans la Moselle où une boucherie a été vandalisée dans la nuit du vendredi au samedi : le commerçant a vu sa vitrine brisée et son rideau de fer tagué d'un "stop specisme".



