Que ce soit dans la rue ou dans les vestiaires, avec son appareil photo, Owen Harvey a fait un focus sur les hommes pour qui l’apparence signifie bien plus que la mode. Sans s'en rendre compte, il a développé une œuvre qui reflète le visage changeant de la masculinité, se re-définissant au fil du temps.
Here & Now est un partenariat éditorial entre Huck et Levi's Performance Denim, explorant comment les hommes créatifs remettent en question les attentes dépassées en matière de performance, de statut et d'identité.
Samedi soir. Owen Harvey est coincé au bar d'un magasin vintage d’East London. L'endroit est exigu, l'odeur de bière et d'eau de Cologne imprègne l'air. Le photographe, muni de son boitier est fin prêt à shooter. Devant lui, une piste de danse regorge de personnages d'une autre époque : des hommes sveltes vêtus de leur pantalon Levi’s® à taille haute, des danseuses burlesques en culotte à pompons, des filles en robe courte aux yeux lourdement fardés.
Owen tourne un film, donc aucun moyen de savoir s’il tient quelque chose. Mais il sait d’instinct à quel point il doit être proche. Il a passé des heures à s'entraîner pour obtenir des images nettes, et des années à photographier des personnages qui savent exactement comment ils veulent être vus.
« La photographie, pour moi, ce n'est pas seulement dire quelque chose, dit-il. Il s'agit d'explorer : avoir un échange avec les gens, adopter différents rôles, se retrouver dans des situations difficiles. Les gens que je photographie sont un miroir de moi-même.»

A 29 ans, Owen est passé des soirées 60's dans les clubs londoniens aux rues du Bronx. Il a dormi à même le sol d'hôtels à Blackpool et a partagé des appartements avec des mannequins à New York. Chaque nuit commence de la même façon : les heures asociales, l’appareil bon marché pour pouvoir évoluer dans des situations imprévisibles sans se soucier de son équipement, l'attente dans l'ombre, à regarder la vie des autres défiler.
Il a déjà choisi les visages qu'il aimerait photographier ce soir : un beau garçon aux cheveux longs dans l'escalier avec une peau de porcelaine, un homme avec une moustache en guidon dans le coin, une femme en robe bleue qui pelote la cuisse d'une autre. De l'autre côté de la pièce, un jeune homme en costume bleu marine - boutonné sur un torse nu - vient dire bonjour : Owen l'a récemment photographié pour une série sur les dandys à Soho. Ils se saluent chaleureusement.
C'est comme ça que ça finit habituellement - avec l'amitié et l'invitation à prendre plus de photos -, mais rarement comme ça que ça commence. certains de ses meilleurs sujets l’ont congédié violemment quand il est apparu pour la première fois avec son appareil photo. Cela fait partie du protocole quand on a fait carrière en photographiant des personnages aux styles affirmés guidés par ce sentiment d’appartenance à une communauté: le genre de sous-cultures qui se nourrissent d'un sentiment de bravade et d'appartenance. « Tout le monde a besoin d'un groupe auquel s'intégrer, dit-il. Sinon, le monde est un endroit solitaire.»

Owen est heureux de ne pas appartenir à quelque chose. En personne, il est amical et terre-à-terre, le genre de gars qui préfère rester discret plutôt que de se démarquer dans la foule. « Je suis un solitaire dans l'âme », dit-il d'un signe de tête, nonchalant mais sûr de lui.
Le photographe a passé ses samedis de formation à regarder le Wealdstone Football Club, une équipe qui ne fait pas partie de la ligue et qui a obtenu le soutien d'une génération rebutée par les prix des matchs de Premier League fixés dans les années 80 et 90. Owen n'a jamais aimé le football, mais il est fasciné par les histoires de combats sur les terrasses de Chelsea. Son père, pompier, était issu d'une famille ouvrière du nord de Londres, mais s’est marié à la classe moyenne. (La mère d'Owen, enseignante dans une école privée, venait d'un milieu plus aisé.)
Owen a grandi avec la curiosité de ses deux origines. Quand il a eu 12 ans, ses parents se sont séparés, son père a déménagé et son frère est parti à l'étranger, lui laissant le soin de déterminer quel genre d'homme il allait devenir tout seul. Tandis qu'Owen absorbait beaucoup de ces conversations sur les affrontements violents au foot, racontées par des hommes qui revenaient à la maison pour être des maris et des pères attentionnés, il s'interrogeait sur la manière dont ils avaient influencé sa compréhension du comportement masculin.
A 14 ans, Owen rejoint un groupe de musique. Les samedis du Wealdstone FC ont été remplacés par des tournées à travers le Royaume-Uni, son père au volant de la camionnette. Le premier lien d'Owen avec la musique vient des pochettes de disques de son père. Il se souvient encore de chaque détail de la couverture intérieure de Quadrophenia. « Mon père faisait partie intégrante du groupe, dit Owen. C’était en grande partie parce qu'il n'avait pas eu cette chance quand il était jeune. Mais il jouait aussi le "papa du week-end". C’est aussi ce lien, cette volonté de me soutenir, qui nous unissait. »
Quand Owen eut 23 ans, le groupe s'est séparé. « Toute mon identité, c'était le groupe : la musique, c'était ma façon de m'exprimer et la façon dont j'arrivais à faire sortir les choses de ma poitrine.» Mais il avait aussi investi 10 années de sa vie, au détriment de ses relations, de son éducation et de sa santé.
À la fin de l'adolescence, il restait éveillé jusqu'à ce que sa mère se prépare pour le travail à 6 h, puis il dormait jusqu'à 19h tous les jours. « J'étais extrêmement déprimé et difficile, parce que je ne prenais pas soin de moi en tant qu'être humain,dit-il. Ca m’intéressait d’explorer ces deux côtés [les origines de ses parents] pour avoir une meilleure idée de qui je voulais être. »
Owen était souvent entouré de photographes par le biais de son travail dans le groupe. Mais après s’y être mis lui-même, regarder les autres à travers un objectif lui offrit un moyen de découverte de soi. Il reprit ses études en suivant un cours de photographie et commença à prendre des photos des habitants de Watford.
Mais avec le temps, Owen s'est tourné vers des projets sur des sous-cultures hyper-masculines sans même s'en rendre compte.« Il a fallu un autre photographe pour le souligner. Il m'a dit : "Vous travaillez à 100 % pour le machisme". Et ça m'a pris de cours. J'ai dû commencer à me poser des questions et à comprendre pourquoi »

Les meilleurs clichés d'Owen capturent une vulnérabilité qui va à l'encontre de l'apparence personnelle. Comme Sosa, un New-Yorkais qui lui a fait visiter Harlem. Sur une photo, ses biceps dépassent d'un sweat à capuche sans manches alors qu'il se penche sur sa voiture personnalisée. Il a l'air dur, mais son front est légèrement sillonné et ses yeux sont doux. Ou Mykie, une skinhead qu'Owen a shooté à Hackney. Sur une photo apparue à la National Portrait Gallery, elle a 16 ans, a le visage d'un bébé et est assise raide sur un mur, sa mini-jupe est relevée pour révéler des contusions sur ses cuisses. Il y a la dualité : l'innocence et l'agressivité. « Tout le monde est à la recherche d'un sentiment d'appartenance, dit-il. "Les gens agissent pour deux raisons : par peur ou par amour, et nous avons tous ça en commun.»
« Mais je pense que l'idée de masculinité est en train de changer, ajoute-t-il. Je ne pense pas qu'il y ait autant de "règles" maintenant ; les choses sont moins rigides. Je vois ça souvent dans les gens que je photographie. Il peut y avoir un extérieur dur, mais à l'intérieur il y a une belle vulnérabilité et une certaine douceur. Pour moi, trouver du réconfort dans cette vulnérabilité est une force. Et je pense que c'est en train de changer naturellement dans l'attitude de beaucoup de gens.»
Il est presque minuit samedi soir. Owen pourrait être à la maison devant la télé ou au pub avec ses amis. Mais il est dans une friperie transformée en club, caméra haute, toujours à la recherche de la même chose : un petit morceau de lui-même qui se reflète dans les yeux d'un étranger. « Le travail consiste à comprendre les gens en me donnant une excuse pour avoir une conversation, dit-il. Et plus j'en apprends sur les gens, plus je me sens heureux avec moi-même. »



