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Et si on laissait les téléphones aux vestiaires ?

undefined undefined 28 novembre 2025 undefined 14h15

undefined undefined 28 novembre 2025 undefined 16h07

Anouk Ait Ouadda

De nombreux.ses artistes ont parlé de l'usage des téléphones en concert qui tue l'expérience de l'artiste et de celleux qui filment. Mais que se passe-t-il quand on est filmé.es par d'autres en teuf ? Alors que l'on va en club, rave, free party ou concerts pour sortir des normes sociales celles-ci s'incrustent à la fête par le relais des petites caméras au dos de nos téléphones.

La caméra en teuf tue le lâcher prise 

Le smartphone est devenu l’invité permanent du dancefloor, mais à quel prix pour l’intimité, la liberté et nos comportements ? La caméra permanente n’est pas neutre : elle façonne les comportements. On danse en pensant à celleux qui regardent. On filtre notre spontanéité et on finit par performer. C’est aussi un outil de contrôle social qui s’infiltre dans des espaces supposés safe. Par exemple, qu’advient-il des personnes non out en club queer ? De la liberté des corps féminins, trans et non binaires qui seront sexualisés ou critiqués une fois sur internet ?

A-t-on le droit de disposer de l'image du corps d'autrui pour notre satisfaction personnelle ? Peut-on traiter le corps des autres comme un paysage ? Certes, la documentation de la nuit offre une plateforme de visibilité aux corps marginaux, mais le récit doit venir des personnes concerné.es. 

Un tournant technologique à l'origine du changement des comportements 

L'exposition médiatique en soirée est discutée depuis une trentaine d'années, mais a repris un certain essor ces dernières années. De nombreux travaux existent sur la question, notamment depuis l'apparition des smartphones : "Les jeunes et la photographie sur les réseaux sociaux : quand « se montrer » c’est « se dire »" de Patrick Amey (2017), "Club Cultures: Music, Media and Subcultural Capital" de Sarah Thornton (paru 1995, mais toujours fondamental), "Attending to others: how digital technologies direct young people's nightlife" de Jasmine Truong (2018). 

Exposition des soirées : un mal nécessaire ? 

Comment se passer des images quand l’exposition sur les réseaux est devenue un outil de communication à la fois pour les artistes et les clubs ?

Le besoin de viralité des acteurs de la nuit oblige la captation pour exister dans un milieu devenu ultra concurrentiel et très online après le Covid. Les photographes de soirées posent la question du consentement à être pris en photo.  À cela s’ajoute le comportement du consommateur qui filme tout dans un sentiment d’appartenance, et un désir de montrer “qu’on y était”.  Résultat : de tous les côtés il y a des flash. 

Les pionniers qui ont dit STOP

Au Berghain, le no-photo est un pilier : protéger le moment, protéger les gens. C’est le cas pour la majorité des clubs berlinois. À Londres, Fabric suit. À New York, les clubs queer underground comme le Paradise Garage dans les années 80 avaient déjà compris : pas d’images = vraie liberté. Pas de trace, pas de jugement.

Une vraie philosophie de la nuit

Filmer, c'est partager, encapsuler des souvenirs, élargir la résonnance d'un moment. Mais il est peut-être temps de remettre en question nos habitudes et d'inverser les valeurs. Est-ce qu'un moment est vraiment mieux si on l'a en archive ? 

Pour le collectif Alarma, l’objectif est clair : “Préserver l’anonymat pour que le public se sente en confiance, sans crainte d’être jugé, pris en photo ou filmé.” Une fête sans regard extérieur laisse de la place à la vulnérabilité, à l’expression et à l’oubli de soi. Les artistes le savent : "la nuit n'a pas besoin d'archives" dit la DJ neworkaise Honey Dijon. 

Paris veut suivre le mouvement 

Dans quelques clubs techno, wannabe underground et certaines soirées queer : Paris se met aussi au “No photo no video”. 

 …mais Paris sait aussi faire semblant
Soyons francs : certains clubs parisiens brandissent le no-photo comme une stratégie marketing, pas une conviction. Un vernis « underground » pour attirer. Résultat : une façade sans fond : on vend l’esthétique de la transgression sans la philosophie du care.

No Photo = no limits  ?

Un no-photo total, c’est séduisant… mais il faut poser la question : revient-on en arrière sur la sécurité ? Aujourd’hui, filmer c’est se protéger des comportements abusifs des autres, aussi de soi-même.

Picture

c/o Music Box Films

Dans les années 90, l’absence totale de limites dans les clubs a aussi participé à des drames : overdoses, comportements dangereux invisibilisés. Le no-photo protège la liberté, mais il peut aussi protéger le pire. Où place-t-on la limite ?

Oui au No Photo… mais un vrai.

Le no-photo doit être une vision, pas un décor. Une manière de protéger les identités, les corps, la liberté d’être. Un pacte entre le club et celleux qui le vivent. Quand il est sincère, il redonne à la nuit ce qui lui appartient : l’intensité, la magie de l’instant présent. Et ça, on ne peut pas le capturer dans une story.