La jupe pour hommes va-t-elle (enfin) s\'imposer cet été ?

undefined 28 mai 2018 undefined 16h26

Manon Merrien-Joly

« Porter une jupe ne signifie pas que vous n'êtes pas quelqu'un de masculin. La masculinité ne vient pas des vêtements. Elle vient de l'intérieur. Les hommes et les femmes peuvent très bien porter les mêmes vêtements en restant des hommes et des femmes. C'est ce qui est amusant. » Ces mots sont ceux de Jean-Paul Gaultier, interviewé à l'issue de son défilé "Une Garde-Robe pour Deux" en 1984 au sein duquel les modèles hommes arboraient des jupes. Précurseur ? C'est un euphémisme.


Combat esthétique VS nécessité pratique

Avant d'entrer dans l'aspect purement visuel de la chose, permettez-nous de soulever un point important. En milieu professionnel, en plein été, le choix est clairement plus restreint côté masculin que chez les femmes. Le vestiaire classique permet aux hommes de jouer à la limite sur les matières, à la rigueur de porter un pantacourt si vous avez la "chance" de travailler dans une boîte "à la cool" de type start-up.

Ça se corse au moment des rendez-vous professionnels, comme le souligne Luke Leitch, journaliste chez 1843, le magazine culturel de The Economist. Dans un article à propos du dresscode masculin en période estivale, il raconte l'anecdote suivante : 

« Il y a quelques années, je portait un short au cours d'une interview en plein mois d'août avec une entrepreneure multi-millionnaire du secteur de la mode. Mon short était d'une longueur parfaitement respectable, juste au-dessus du genou. La journée était particulièrement chaude – par rapport au climat londonien, du moins – mais le souvenir de la rencontre avec cette femme de style demeure encore plus brûlant à mes yeux. Au moment où j'entre dans son bureau, elle a éclaté de rire. "Un short ! Je n'arrive pas à croire que vous portez un short à un rendez-vous d'affaires !" Elle me taquine encore à propos de ça presque à chaque fois qu'on se voit. »

Et pourtant, la jupe masculine a moultes fois tenté d'exister : Jean-Paul Gaultier, Yohji Yamamoto, Ann Demeleumeester ou encore Vivienne Westwood ont tenté de l'imposer, sans grand succès. Le designer Marc Jacobs, lui, l'a adoptée depuis des années, mais la tendance persiste à ne pas vouloir descendre dans les rues et encore moins dans les entreprises. 


La mentalité occidentale prête à évoluer ?

À New York, le vêtement semble être déjà la norme. La preuve avec cet article de Scott Schuman (le très respecté photographe derrière le blog The Sartorialist) abordant le sujet de la longueur des jupes pour hommes... En 2010. En Écosse, le port du traditionnel kilt rend tout débat obsolète tandis qu'en France, le vêtement s'en rapprochant le plus, c'est la soutane – qui possède au passage un potentiel mode non-négligeable. On y reviendra plus bas. En 2016, Jaden Smith (mannequin, chanteur, acteur... fils de Will) apparaissait dans une publicité Louis Vuitton arborant une jupe aux influences rock, tout comme ses trois comparses féminines. Le vêtement retentait une percée.

©The Sartorialist

C'est en 2017 que le vêtement refait son apparition, pas dans la mode cette fois-ci mais bien chez le quidam. C'est assez drôle d'ailleurs, puisqu'on en a entendu parler presque simultanément au Royaume-Uni et en France.

Le 19 juin, un dénommé Joey Barge, jeune anglais résidant à Exeter en Angleterre, se pose la question sur Twitter : « Si les femmes peuvent porter des jupes et des robes au travail, est-ce que je peux porter un short stylé comme celui-ci ? ». Il se rend donc au travail (dans un centre d'appel) avec ledit short... avant de se faire renvoyer chez lui pour se changer.

Sans se départir de son humour, il se change et enfile une robe en twittant « À bientôt Twitter, on va me renvoyer me changer d'ici peu. » Sa direction semble avoir compris le message puisqu'elle envoie ensuite à ses employés un mail stipulant qu'en prenant compte des températures élevées, « les employés hommes sont autorisés à porter des bermudas, de couleur sobre seulement – noir, bleu marine ou beige. » Nous passerons sur l'aspect esthétique du bermuda pour simplement souligner cette injustice vestimentaire de haut vol, laissant le reste de l'année le reste de la gent masculine suer dans des chinos souvent trop serrés tandis qu'auprès d'eux virevoltent de façon narquoise les jupes de leurs homologues féminins. 

Le jour suivant, à Nantes, des conducteurs de bus s'étaient habillés en jupe pour protester contre l'interdiction du port du bermuda en été, sachant que les températures au volant peuvent monter jusqu'à 50 degrés. Deux jours plus tard, ils obtenaient gain de cause, leur direction les autorisant à porter un bermuda mais une fois encore, seulement de couleur noir ou beige... et uniquement en période de canicule.


Robes et jupes vont-elles réconcilier les hommes et leur garde-robe estivale ?

En France comme ailleurs, les frontières du genre s'estompent, la mode devient de plus en plus unisexe et c'est tant mieux. Dans les années 1970 déjà, la robe masculine figurait dans plusieurs catalogues danois et ne remettait nullement en cause la virilité de celui qui la portait. 

 Un vieux calendrier danois des années 1970 aimablement partagé par une internaute

Plus récemment, Thom Browne (styliste américain fondateur de la marque éponyme) s'est saisi de la question du confort au travail pour son défilé homme Printemps-Été 2018 au sein duquel on peut voir des costumes aux lignes droites, couleurs ultra-sobres portées par des mannequins en jupe et talons, diablement masculins. Côté inspiration, on se trouve dans un intéressant croisement entre le businessman des années 80 et le prêtre provençal à la Don Camillo. 

©Vogue

©Vogue

©Vogue


Si la soutane ne fait pas le moine, la jupe peut-elle faire le businessman ? De notre côté, on en est persuadés.