Il y a bien quelque chose que vous avez toujours rêvé de faire. En revanche, par manque de courage, simple flemme ou parce que c'est un peu la honte, vous avez gardé ce petit fantasme inavoué dans un coin de votre tête. Moi, c'est tester l'écriture érotique qui m'intriguait depuis un petit bout de temps. Alors, j'ai cherché, j'ai trouvé et j'ai testé. Tout simplement.
« J'peux pas, j'ai atelier d'écriture érotique » me suis-je entendue dire à mes potes, qui allaient boire des coups en terrasse. Pour seule indication, l'adresse d'un petit salon de thé et bouquinerie à Oberkampf, Les Voyages de Laure, et un échange de mails très cordiaux avec Marion Favry, une gourou de l'écriture érotique. L'aventure peut commencer.
J'entre. Un coup d'œil à l'assemblée : je vois un mec avec une mine de prof et des lunettes bleues, deux copines, la cinquantaine bien entamée, qui rigolent, une mère de famille souriante, une étudiante un peu comme moi et un gars avec une chemise bariolée, mais vraiment bariolée. En bref, un beau groupe hétéroclite, composé de gens comme toi, comme moi. Je m'assois.

Tandis que je sirote mon thé au gingembre (comme par hasard) en scrutant les gens, je suis quand même super gênée. Mais, à l'inverse, eux se marrent tous en se racontant leur semaine. « Oh, j'en peux plus de mes gosses, j'ai dû gérer deux fêtes d'anniversaire en moins d'un mois, c'est la première fois que je fais un truc pour moi depuis des jours ! » raconte Christine aux autres. En bref, tous semblent bien se connaître. Tu m'étonnes, ça doit bien rapprocher ce genre d'atelier, me dis-je...
Marion commence à parler. Elle a du mal à obtenir le silence, j'ai l'impression d'être en cours au lycée... A la manière d'une prof de littérature, elle explique les règles du jeu : un nouveau thème chaque mois, plusieurs exercices de style pour se chauffer et enfin la rédaction d'un essai en 50 minutes. Jusqu'à là, tout va bien.
Le début
Par contre, quand elle annonce « alors, pour cette semaine, je me suis inspirée de "S'inventer un autre jour", de Ane Bert, un livre qui érotise des personnages moches, isolés de la vie, isolés de leurs corps et de leur sexualité », je coule. Non seulement je dois écrire des trucs sexy comme je n'en ai même jamais dits, mais en plus je dois faire ça avec un personnage unijambiste. C'est quoi ce délire !?
Vu ma tête, et pour nous inspirer, elle nous lit un passage d'Ane Bert, qui raconte le rapport entre une femme et un clochard, surnommé l'homme-chien. Extrait :
« Son sexe élastique se plie à votre frénésie sans se déplier mais vous n'en avez cure, il vous survolte, vous guettez sur son visage le résultat de votre chiennasserie mais rien ne transperce, ce masque d'indifférence renforce votre folie. »

A la fin du texte, je suis carrément mal. Alors, adieu la légèreté et bonjour la tartinade de champ lexical pornographique, qui met mal à l'aise et dont je ne connais pas la moitié des significations. Par contre, pendant que dans ma tête, j'essaye d'extérioriser mon malaise par autre chose qu'un fou rire incontrôlable, les élèves se mettent très sérieusement à commenter le texte. Putains d'intellectuels...

Les exercices
Marion nous explique, en distribuant des petits papiers, que l'on doit maintenant décrire un personnage anti-sexuel en quelques lignes. Tandis qu'à ma droite, ça griffonne « Jean-Michel Bourru, curé pieux », j'aperçois à ma gauche « Sylvie Natura, une grande blonde peroxydée au botox fuyant ». Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir inventer... Il faut lire à voix haute, j'improvise, je sors un : « la reine d'Angleterre » et ma fébrilité passe inaperçue.
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Deuxième exercice, il faut faire parler son personnage « pour commencer à se le représenter, et s'imaginer sa vie, ses faiblesses, ses fantasmes et ses désirs enfouis »... Il passe un peu à la trappe à cause des assiettes de tarte qui débarquent, et je noie tout mon embarras dans ma chèvre-miel toute chaude. Au moment où je la finis, Marion annonce que nous entrons dans la phase rédactionnelle, et que pendant 50 minutes, elle nous laisse nous adonner aux plaisirs gustatifs et de l'écriture à volonté. Les consignes : « réutiliser le "vous" de l'extrait que je vous ai lu, et lâchez-vous ! »

J'écris n'importe quoi, faisant vivre à la reine d'Angleterre la plus belle sauterie de toute sa vie. Stylistiquement parlant, je m'éclate, découvrant tout un nouveau lexique de mots à ma disposition, que je me permet de tourner et retourner dans tous les sens et, en termes d'idées, je me surprends à être très inspirée... C'est pas si dur de parler de cul, finalement. Je pose le point final, terminé, bonsoir. Bonsoir ?
En page 4, la fin.
La fin
Au moment où je m'apprête à dégager le plancher, on nous sert le dessert. Et pile quand cette grosse tarte au citron meringuée, dégoulinante de jus et de sucre nous est servie, Marion nous annonce qu'il faut lire les textes. « Si vous voulez. Mais je vous assure, c'est un exercice excellent, qui clôt parfaitement bien l'atelier et vous permet de voir les réactions et les commentaires des autres. Mais pas de pression, ne le faites pas si vous ne voulez pas ».

Je vous le jure, que vous soyez gêné ou pas, littéraire ou pas, doué ou pas, personne ne vous jugera. Les lectures ont été le moment le plus sympathique, et on a vraiment bien rigolé. D'une partie de jambes en l'air entre une unijambiste et une mannequin, aux fantasmes rêvés d'une nonne toute fripée, en passant par la bonne baise de cette fameuse blonde peroxydée, qui ne manque pas d'y laisser un sein, chacun y a mis du sien. Finalement, chaque histoire était brillamment écrite, originale ou loufoque, lyrique ou narrative, et surtout à chaque fois reçue par des applaudissements.
Les Dînécritures, les mots crus ou épicés Les Voyages de Laure
tous les deuxièmes mardis du mois
17, rue de Malte – 11e

