Le physio du mois : Thierry, du Rex Club

undefined 29 mai 2015 undefined 00h00

Simon Kinski Znaty

EXT. LE REX CLUB. 5 BOULEVARD POISSONNIÈRE. NUIT

Le journaliste attend Thierry à Bonne-Nouvelle aux pieds du mythique cinéma. Le physionomiste est habillé sobrement, sans signe distinctif particulier, mais arbore le plus franc sourire de Paris. Ils s'installent à la terrasse d'un café voisin.

Comment t'es devenu physio ?

J'étais responsable sécu sur pas mal d'évènements. J'ai toujours été à l'entrée. J'ai bossé avec Fabrice Gadeau qui est le patron du Rex depuis 10, 12 ans, on avait fait des grosses soirées techno de 10 000 personnes, à l'époque déjà c'était bien. Un jour il m'appelle et me propose de reprendre la porte. L'essai s'est très bien passé, je suis toujours là. Je sors du milieu techno, c'est pour ça que j'ai ma place au Rex, parce que j'aime ce milieu-là.

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Qu'est-ce que tu préfères dans ce métier ? Et ce que tu détestes ?

On va commencer par ce que je déteste, refuser quelqu'un. C'est dur psychologiquement, pour le physio comme pour la personne refusée. On ne peut pas accepter tout le monde dans un établissement, on n'a pas une grosse jauge, on est obligé de "trier", même si j'aime pas ce terme. Il faut choisir parmi les gens, selon ce qu'ils écoutent puisqu'on a beaucoup d'artistes différents. Un coup c'est d'la techno, un autre de la house, ça peut être de la drum'n'bass. Parfois t'en refuses beaucoup, parfois moins. Ce qui me plaît c'est bosser la nuit. Puis le contact avec les clients, avec les artistes, les organisateurs, c'est un tout, t'aimes ou t'aimes pas. C'est le contact humain qui domine tout. Parfois tu refuses quelqu'un, tu te dis qu'il pourrait rentrer mais ça va pas avec l'établissement, faut toujours faire le bon choix. C'est jamais du 100%, on a toujours une marge d'erreur. C'est normal, faut savoir reconnaître les gens qui sortent du restaurant en ayant picolé un p'tit coup mais qui sont de bonne humeur, tu les fais rentrer, puis y'a ceux qui sortent du restaurant, qu'ont bu un gros coup et qui sont de mauvaise humeur.

C'est quoi la différence entre le bon et le mauvais physio ?

Le bon physio il continue à travailler. Le mauvais physio il travaille plus, tout simplement. Le physio doit gérer la clientèle qui arrive. Si tu fais bien ton boulot ça devrait bien se passer à l'intérieur. Y'a jamais de risque zéro mais 98% du temps ça se passe bien. Faut savoir reconnaître les clients habitués, les amis, les Dj's, des patrons de l'établissement d'à côté, t'es là pour ça. L'accueil des clients et des gens de la nuit, tu l'as ou tu l'as pas. C'est pas une histoire d'être habillé en physio. Y'a des établissement qui veulent des physios habillés comme si ou comme ça. Je trouve que c'est se déguiser plus qu'autre chose. Je préfère reconnaître les gens et les artistes tout de suite.

Physio du Rex, c'est différent non ?

C'est une institution oui, on a fêté nos 26 ans au mois d'octobre, ça a commencé en 88. C'est un établissement bien connu à l'étranger. Y'a une vraie culture, aussi bien au niveau du staff, de l'équipe, que de la programmation. C'est une grande et une petite famille à la fois. Grande si t'inclus les artistes, les amis, les copains, les clients, et petite avec le staff quand on se retrouve entre nous. On partage la même mentalité, la même vision des choses.

Ça t'arrive de recaler à contre-cœur ?

Bien sûr, sinon c'est que tu n'en as pas. Parfois je refuse même des clients habitués parce qu'ils arrivent dans un sale état. Je refuse pour leur bien, qu'ils aillent se coucher et qu'ils reviennent le lendemain, on sera ouvert. Il faut savoir rentrer chez soi aussi.

Tu reconnais à quoi le client casse-couilles ?

Je pourrais pas te dire, c'est instinctif quand tu fais une porte. Je travaille pas à 50 cm d'écart, je regarde la clientèle arriver au loin, c'est là que tu vois les gens qui arrivent normalement et ceux qui essayent de faire cool à l'entrée et qui dérapent à l'intérieur. Faut toujours travailler en amont parce que devant toi ils sont toujours gentils. Mais y'a pas un type casse-couilles, on est tous un peu casse-couilles dans la vie, surtout quand on a bu... L'alcool rend pas intelligent. Le mec est bourré, il rentre pas, voilà. Ça peut être un bon père de famille, quelqu'un de très bien dans la vie, si ce soir-là il est bourré il rentrera pas, tout simplement. Le lendemain si il est net il pourra rentrer. C'est la base.

On t'a déjà fait des propositions insolites pour rentrer ?

De l'argent, des voyages, des week-ends, une maison pour les vacances, un mini-iPad, des millions de choses. Mais faut jamais accepter sinon t'es mort dès le départ. Tu gagnes ton salaire, tu fais ton boulot. Faut pas accepter parce que tu rentres dans une mauvaise routine. On t'achète, indirectement. Si ça marche une fois, le mot passe et t'as plus aucun contrôle sur ta porte car tout le monde prend l'habitude de rentrer avec un billet, c'est pas le but du jeu, le but c'est d'être intègre.

Ça marche pour les meufs ?

Oui si t'es mignon, que tu fais un 1m75, 70 kilos. Quand t'en fais 1,85 et que t'as le gabarit d'un footballeur américain, pas trop, tu vois la bouille que j'ai. Enfin de toute façon je suis là pour le travail, ça je m'en fiche, si tu veux draguer tu fais ça sur tes jours de repos.

Comment tu décompresses après le boulot ?

Y'a une fatigue morale. Bon parfois tu enchaînes, comme quand on a fêté les 25 ans, là y'a de la fatigue physique en plus. Moi je vis à la campagne, en bas du 78. Quand j'ai fini, je rentre et je m'éclate. J'ai mes amis qui ne font pas partie de la nuit qui viennent me voir, comme ça on a des discussions autres que "discothèque, after, Dj". Quand je suis en week-end, je suis en week-end, comme tout le monde ! Il m'arrive de finir à la Concrete avec l'équipe du Rex, mais la grosse décompression c'est à la maison. J'écoute ma musique, j'fais un BBQ, comme tout le monde.

Quand tu vois une embrouille, t’as pas l’impression d’être goal et d’avoir pris un but ?

C'est une chose très rare au Rex, on a très peu de bagarres, 3 accrochages dans l'année à tout casser. On a un public de tout âge assez cool, une porte assez ouverte. Je suis pour le mélange des genres, je veux pas que le Rex devienne une niche sociale, c'est pas un club où tu rentres avec une carte. Tu viens danser, écouter tel ou tel artiste, tu viens kiffer !  On a de tout et tout le monde se respecte. Il y a rarement des soucis. 90% du temps c'est réglé avant d'arriver en haut. Puis c'est des petits soucis du style "tu m'as poussé en dansant, t'as fait tomber mon verre", quand c'est comme ça je paye un shot à chacun, l'histoire est close. C'est un univers à part le Rex, c'est le monde des Snorky.

Parfois y'a des problèmes de drogue avec ces Snorky-là non ?

C'est comme partout. On les sort, on n'est pas la brigade des stups. De la drogue y'en a partout, y'a pas besoin d'aller au Rex ou dans un club de musique électronique pour trouver des gens qui en prennent. Au moment où j'te parle y'en a peut-être un derrière dans les cuisines qui est en train de se faire une trace. C'est pas à nous de gérer ça, on l'encadre, on sévit quand on tombe dessus, on peut pas se permettre de laisser faire. Après comme dit Fabrice mon patron, faut rééduquer, faut pas mettre de pression. On a eu deux-trois jeunes qui faisaient des conneries, quelques années après on les revoit, ils sont rangés, ils ont leur femme, leur boulot, leur appart', ça fait chaud au cœur. Tu te dis que tu vieillis et que t'as vu des p'tits jeunes vieillir aussi. Faut bien que jeunesse se fasse. Nos grands-parents ont fait la même, nos parents ont fait la même, et nos enfants feront la même, c'est comme ça. Faut encadrer, c'est ma politique de travail, on n'est pas là pour faire de la répression, c'est surtout pas notre travail. On protège notre club et notre clientèle.

Un tuyau pour rentrer ?

Faut vraiment être cool. C'est pas la tenue, c'est l'état d'esprit. Le sourire ouvre toutes les portes. Vous venez faire la fête, c'est pas un enterrement. Tu vas à la boulangerie, "Bonjour madame j'voudrais une baguette", avec le sourire. Tu vas au Rex "Bonjour monsieur j'voudrais une entrée" avec le sourire aussi, c'est le mot de passe. Si le client a le sourire en haut, tu sais qu'il l'aura en bas. C'est aussi notre rôle d'accueillir avec le sourire, quand tu reçois correctement les gens tu passes une super soirée avec tes amis. Ça c'est le Rex, après les autres je ne sais pas, chacun sa façon de travailler.