Gros fail au Berghain

undefined 8 octobre 2014 undefined 00h00

La Rédac'

Dimanche dernier, je me mets donc en tête d’entrer au Berghain, tout seul, plein d'entrain et d’espoir. On m'a déjà tout dit et raconté sur ce club légendaire berlinois : stupéfiants, fontaines de glace, balançoires au-dessus de la foule, meilleurs sound systems d'Europe.

Un kilomètre avant l'entrée, je me descends une flasque, je garde une petite fiole de Jäger que je mets dans mon boxer, on me propose de la C mais non, ça ira.

J'arrive au niveau du terrain dégagé devant le Berghain. Aucune queue. J'avance le long de la file vidée de ses hipsters. À environ vingt mètres du videur, celui-ci me fait un geste de la main me faisant immédiatement comprendre son refus. Je ne demande pas mon reste et je pars aussitôt, la défaite enrobant mon âme.

Je commence à marcher vers Ostbahnhof, lorsque dans la pénombre de ce jour du Seigneur, j’entrevois la providence que j’attendais : des murs. J'aime grimper, j'aime grimper des murs, j'aime d'autant plus grimper des murs s'il y a récompense à la clef - en l’occurrence l'une des “meilleures boîtes d’Europe”. Je passe le premier mur, me fraie un chemin parmi la broussaille avec pour seul guide ces lumières vertes ressortant en filaments de l'ancienne centrale électrique. Je découvre un vélo abandonné enfoui sous une végétation luxuriante, puis je passe une grille et je débouche sur l’un des côtés du Berghain. J'observe longuement la façade du bâtiment. Incidemment, je ressens les effets chauds de l'alcool. J'aperçois un vasistas à peine entr’ouvert au troisième étage - il y a un escalier qui ramène au deuxième étage. Je décide d’emprunter cet escalier quand soudain une porte s'ouvre au bout des marches. Deux hommes en sortent, cigarette à la main et s'arrêtent. Ils discutent pendant cinq minutes, dix minutes, puis retournent à l’intérieur du bâtiment. Un instant plus tard, une autre porte s'ouvre, celle-ci se situe au niveau du sol, un homme en sort, le pas pressé. Des bruits d'eau et de frottement se font entendre : il y a clairement une présence humaine dans la salle où se situe le vasistas.

Berghain

Je bois une lampée de ma fiole de Jäger et me décide à escalader la façade afin d'accéder à la fenêtre à peine ouverte. J'y arrive sans trop de difficulté. Au niveau du vasistas, je me rends compte en premier lieu qu'il s'agit de toilettes, et accessoirement qu'il sera très dur de passer au travers de cette fenêtre qui laisse à peine bâiller vingt centimètres d’ouverture.

Plusieurs pensées me traversent successivement l’esprit. La première, celle d'abandonner ; la seconde, “je peux pas abandonner, je suis presque dans le Berghain, mon bras y est, putain”. Je décide donc de me lancer et me pousse par dessus la fenêtre, les bras en avant, les jambes en arrière. Avec beaucoup de difficulté, je finis par atterrir sur mes pieds.

J’ai pénétré dans l’enceinte du Berghain, mon cœur bat très fort, je suis excité et apeuré à la fois. J'avance dans ces toilettes assez vétustes, plutôt sales et anciennes. Je pousse la porte et je me retrouve dans un couloir gris sans décorations particulières. Personne dans les parages. A ma gauche se trouvent des cageots remplis de bières, je n’aime pas la bière alors je marche lentement vers la droite au bout de ce couloir et tente de prendre quelques photos floues. J'entends du son, je vois des lumières qui filtrent sous une porte, j'essaie de l'ouvrir, elle est fermée : je me rends compte que je suis enfermé de l'extérieur.

J'arrive au niveau d'un escalier. Devant moi se trouve un ascenseur. J'appuie sur le bouton d'appel et rentre dans l'appareil. Comme il y a plusieurs boutons, sans raison particulière, je choisis le premier étage. Au fur et à mesure que les portes de l'ascenseur se referment, une silhouette montant les escaliers se précise. Alors que les portes sont presque closes, j'aperçois cet homme qui, l'espace d'une seconde, s’arrête et me fixe des yeux. Les portes se referment.

Arrivé au premier étage, je sors de l'ascenseur et entends des mots en allemand émanant de l’étage supérieur. Je me met à descendre en furie les escaliers, les mots allemands se font plus forts, j’ai l’impression d’être pourchassé par la Gestapo, les deux hommes me rattrapent et m'attrapent. Ils ne sont pas spécialement musclés et n’ont pas l'apparence de videurs. Ils me parlent en allemand, je leur répond en anglais. Le Berghain est réputé pour être un endroit où un grand nombre de drogues «dures» transite ? Alors il me semble avoir une parade toute trouvée pour m’en sortir - faire semblant d'être drogué. Les vigiles me saisissent le bras droit et vérifient si je possède ou non le marquage d'entrée. «How did you get in ? How did you get in ?». Je simule une très grande confusion dans mes propos, mêlés de «I can't remember anything when I’m using, even less when I mix it with alcohol». De toute évidence, je ne suis pas des plus convaincants.

Les deux m'accusent alors de les avoir fuis dans l’escalier. J’essaie de m’en tirer en leur expliquant de façon très nébuleuse que j'ai pris peur en raison des mots qu'ils criaient. Ils persistent malgré tout et me disent que si je leur donne le nom de la personne qui m'a fait rentrer, ils iront la voir et me laisseront peut-être dans la boîte. Je n'y crois guère et continue ma litanie de l'oubli.

Les hommes font tout-à-coup mine de m'emmèner quelque part. Je commence à prendre peur, «I am no evil» leur dis-je alors qu’ils m’entraînent. Soudainement, ils me rassurent en me garantissant qu'ils ne vont pas me frapper, ils m’expliquent juste que je vais «rentrer sagement chez moi et passer une bonne nuit de sommeil».

Ils me laissent sortir.

Dehors, je réalise peu à peu ce qui vient de se dérouler. Je suis heureux et déçu à la fois, je n’ai pas été dedans, mais je suis rentré dans les coulisses. Je termine ma fiole de Jäger et je décide de re-franchir les barrières du Berghain. Arrivé au niveau de la façade, une scène surprenante et presque gratifiante s’offre à moi : j'aperçois des silhouettes portant des lampes-torche qui passent au crible chaque étage du bâtiment. J'observe cette scène depuis la pénombre, attendant qu’ils finissent leur ronde. Les faisceaux de lumières arrivent au niveau du vasistas. Ils ne se préoccupent pas de le refermer. J'attends encore dix minutes après avoir vu la dernière lumière et m'avance à nouveau afin de passer la première grille. En me rapprochant, la lumière d'une salle s'allume, un homme torse nue s'assied et, de mon point de vue (je le vois mal), il me semble qu'il est en train de se fixer ou de se droguer d’une quelconque manière. J'attends dix minutes, vingt minutes, trente minutes. Il finit par partir.

Je monte les escaliers et grimpe jusqu'au vasistas. Là, je me pousse une seconde fois au travers de la minuscule fenêtre, non sans mal car un pan de ma veste est coincé. Soudain, à force de tirer et sous mon poids, un boulon soutenant la fenêtre se décroche. La vitre valdingue et vient dans un grand fracas se cogner contre un pan du mur. Pris de panique, je dégringole le plus vite possible de la façade, descends l’escalier, franchis la grille et m'en vais au plus vite de cet endroit.

Bref, c’est pas demain la veille que je vais pouvoir m’enfiler une glace à la kéta en me suspendant comme un con au-dessus des hipsters teutons.