Reda Kateb, le dernier parisien

undefined 8 février 2017 undefined 00h00

Agathe

Hotel Intercontinental Opéra, 16h. Une armée de journalistes et de comédiens a pris possession d’un étage pour de multiples promotions de grandes machines internationales. C’est dans cette ambiance affreuse que nous réussissons à passer une demi-heure avec Reda Kateb, et ceci pour un film qu’il ne vient même pas promouvoir car il était surtout là pour parler du film de Wim Wenders. En effet, nous avons causé des Derniers Parisiens. Une ode au quartier de Pigalle et surtout à ses habitants, le premier film de La Rumeur. L’acteur qui voulait se séparer de sa gueule cassée nous parle, le jour de ses 40 ans, de sa carrière, qui a commencé par un rôle de clown dans un salon du camping, pour finalement rejoindre Hollywood et Wim Wenders. 


Bonbon Nuit : Tu as eu 40 ans hier. Du coup, on va faire une interview quarantenaire. Ça va tu bades pas trop ? 

Reda Kateb : Hier matin je me suis réveillé un peu…(silence) Tout de suite c’est un chiffre qui change quelque chose. Et puis en fait non, ça va ! 


Bonbon Nuit : 
Est-ce que comme Florent Pagny tu t’es acheté une Porsche pour tes 40 ans ? 

Reda Kateb : Non, je pense que c’est une des rares choses qui nous différencient Florent Pagny et moi. 


Bonbon Nuit : 
Après 10 ans de carrière, est-ce que tu regrettes ton anonymat ?

Reda Kateb : Ça serait un peu déplacé d’être nostalgique de ça. Y'avait quand même beaucoup de galère et moins de place pour m’exprimer. Pour être honnête, parfois j’aimerais être anonyme, mais je continue à vivre comme si j’étais anonyme. Je cultive l’amour de mon métier, tout en cultivant ma vie, je ne suis pas un acteur dans ma vie. Certaines choses changent, mais je ne pense pas à ça du matin au soir. Très heureux de la chance que j’ai.


Bonbon Nuit : 
Qu’est-ce que tu n’as jamais fait à 40 ans ?

Reda Kateb : Sauter en parachute. Après y'a pas mal de trucs que j’ai pas fait et que je n’ai pas envie de faire donc je t’en parle pas. J’aimerais bien aussi faire une belle comédie. Un vrai challenge d’aller sur ce ton-là. J’ai déjà refusé des comédies. Non, je ne dirai pas lesquelles.  

Bonbon Nuit : T’as déjà eu des regrets sur des rôles refusés ?

Reda Kateb : Jamais ! J’aime bien regarder les films que je refuse. 


Bonbon Nuit : 
Maintenant que tu as 40 ans, est-ce que tu vas profiter de ta notoriété pour faire des discours politiques aux César ?

Reda Kateb : Peut-être qu’un jour j’aurai un truc politique à dire aux César, mais j’ai toujours trouvé ça un peu bizarre de parler du monde ouvrier une coupe à la main. Je trouve qu’il faut séparer les choses, je suis citoyen au même titre que toi. Et si de temps en temps ma position peut aider à faire avancer les choses je ne dis pas non, mais j’ai beaucoup de mal à utiliser mon métier pour aller sur le terrain de l’engagement. Je préfère faire des petites choses anonymes à mon niveau. J’ai toujours eu du mal avec le côté vitrine promotionnelle de l’engagement. Lors d’interviews, je peux donner mon avis sur différents sujets, mais je n’ai jamais été un leader. Si je monte sur la scène pour recevoir ou remettre un prix, je trouve ça déplacé de voler ce moment pour des déclarations qui n’engagent que moi.  


Bonbon Nuit : 
Un mot sur les élections, à 40 ans tu vas retourner ta veste ? 

Reda Kateb : Je vois un fossé de plus en plus grand entre la parole politique et la vraie vie des gens. Cela m’inspire un peu d’anxiété pour le monde que l’on va laisser à nos enfants. Les politiques nous bercent avec des fausses promesses alors qu’ils n’ont que peu de moyens pour arranger les problèmes économiques. Et tout ça c’est le terreau d’une colère malsaine. Qui peut être récupérée par des gens qui savent très bien où ils veulent aller. 


Bonbon Nuit : 
Tu as réalisé des courts-métrages, est-ce que le long viendra pour la quarantaine ?

Reda Kateb : C'est pas encore dans les tuyaux. J’ai réalisé un court-métrage qu’on ne peut pas encore trouver. Ça s’appelle Pitchoune, il est passé en télé/festival mais pas encore libre de droit pour que je le mette sur YouTube. Ça raconte une période de ma vie que j’ai toujours eu envie de traiter, c’est quand j’étais clown, il y a 15 ans, pour les enfants en général, et ce jour-là on m’a envoyé au salon du Camping-car dans une halte garderie. Y'avait ce ressort tragi-comique qui me plait beaucoup, que j’ai eu envie de m’offrir et d’offrir à Philippe Rebbot qui me donne la réplique dans le film. 


Bonbon Nuit : 
Est-ce qu’à 40 ans tu peux te vanter d’être le premier acteur français qui s’appelle Reda sans être "l’Arabe de service" ? 

Reda Kateb : Je n’ai aucun rapport communautaire à revendiquer. Si j’ai eu à m’affranchir d’une chose, c’est plus une histoire de gueule cassée, de dealer etc… Et de ce prisme communautaire des gens qui posent des questions sur la place de l’Arabe dans le cinéma. 

Bonbon Nuit : On suppose que maintenant que tu tournes avec Wenders, ton implication dans le film Les Derniers Parisiens est un peu plus qu’être acteur ? 

Reda Kateb : Sur le tournage c’était essentiellement être acteur. Avec La Rumeur, réalisateur du film, c’est une histoire qui date. A la base on avait un projet de mini-série pour Canal qui s’appelait De l’encre, qui finalement n’a été qu’un unitaire et ensuite un court-métrage, Ce Chemin devant moi. Sélectionné d’ailleurs à Cannes il y a quelques années. On avait ce projet de faire un long métrage ensemble, leur premier. Mon implication a été déjà d’être leur ami et d’encourager les auteurs Hamé et Ekué. Et sur le tournage, j’étais très partie prenante sur mes positions, des choix artistiques.


Bonbon Nuit : 
Tu as servi de caution pour la production ? 

Reda Kateb : On s’est connu avant que je fasse du cinéma donc non, absolument pas. Après, étant donné que je suis plutôt dans un vent favorable ça n’a pu qu’aider, forcément. Mais j’étais quand même à la source du projet. Tous les acteurs qu’on voit sont essentiellement des amis. A part Mélanie Laurent qui est arrivée plus tardivement sur le projet. Ils se sont rencontrés dans le quartier (Pigalle), à une terrasse de café. 


Bonbon Nuit : 
Vous venez tous de ce coin-là ? 

Reda Kateb : Moi non mais eux, La Rumeur, ont une longue histoire avec Pigalle, ils se sont construits puis se sont développés là-bas. Maintenant ils y ont leurs bureaux, Ekué habite là-bas et toute la faune du film sont des gens du terrain, connus de longue date. Comme les frères Dardenne, jamais plus de 20 km autour de chez eux. L’inspiration vient de là ! Et moi-même j’ai besoin de travailler avec des gens qui savent où ils m’amènent, dans des lieux qu’ils connaissent bien.

Bonbon Nuit : La réinsertion, la gentrification, la mixité sociale, le monde de la nuit, Pigalle. Quel est le vrai sujet du film ?

Reda Kateb : Ça me déplait de résumer le film à une seul vision. J’ai l’impression de perdre ma liberté. La Rumeur est un groupe éminemment politique, qui a une histoire et une continuité dans un engagement politique, mais dans ce film-là, il ne se résume pas. C’est politique d’avoir filmé Paris de cette façon-là, c’est politique d’avoir à la fois une trame centrale de frères avec une narration classique et en même temps de s’attarder sur tous les autres protagonistes qui sont autour. Des gens qui généralement n’ont pas leur place sur grand écran. Ou alors ramenés au folklore ou à la caricature. Ce film propose une galerie de personnages en ne cherchant ni à la montrer antipathique, ni sympathique mais simplement comme ils sont, de rentrer dans leur vie, et de leur donner une chance. Et c’est assez rare dans le cinéma aujourd’hui. Plonger dans la vie des gens sur le trottoir d’en face à qui on n’oserait pas demander du feu. Eux aussi ont des fêlures, des rêves. Ça a plus d’engagement politique pour moi qu’un film qui voudrait qu’on soit tous de gauche et qu’on se sert la main. Y'a ce personnage de SDF qui n’apporte rien à l’histoire, il ne fait pas avancer la narration, mais ce n’est pas pour ça qu’il n’est pas intéressant. La proposition du changement de position quand on regarde quelqu’un, c’est ce qui me plait dans le cinéma. Et c’est pour ça que ce film s’appelle Les Derniers Parisiens, et pas "le" dernier. 

 

Par Raphaël Breuil, extrait du Bonbon Nuit n°71 - Fevrier 2017

©Flavien Prioreau