Une soirée chez les promoteurs : excursion au royaume des michtos

undefined 6 février 2017 undefined 00h00

Agathe

Dans un lointain passé proche, j’errais là où la pire race s’assoit en cercle pour vénérer son porte-monnaie : les boîtes de poseurs. Je gambadais vaillamment animée du besoin erratique d’observer les autres claquer du biff. Ma routine de poufiasse était ponctuée de rallyes, de feux de Bengale, de Uggs et d’expressos rincés au café Kléber. C’était chouette. J’ai tout de même le nez qui saigne, en y repensant. L’autre jour, je suis allée prendre ma piqure de rappel afin de vous conter la magie de ces enclos VIP dans lesquels on entasses des centaines de sardines entre d’épars bancs de maquereaux. Les promoteurs, vous connaissez ? Je vais tout vous expliquer.

Promoteur, n. m. : généralement masculin, le promoteur est une personne dont le job est d’haranguer un maximum de minettes, de manière à ce qu’elles se donnent volontairement en pâture aux clients de la boîte qui l’emploie. Son discours est systématique : « Salut ma belle, viens avec toutes tes copines, on t’offre une table et une bouteille. Ne te sens redevable de rien, c’est la maison qui offre ». 

En quelques textos, l’affaire était dans le sac. Au programme : un dîner puis plusieurs tours de piste dans deux ou trois clubs, grâce à la diligence d’un anonyme payé pour. J’allais pouvoir me moquer grassement de ce bal des faux-semblants, en équilibre sur une banquette en skaï. Ma passion, après la malbouffe. Ça m’avait un peu manqué. 

Claudiquant dans des pompes vraisemblablement moulées pour des pieds de femme tronc, j’accède à ma première escale en donnant le prénom du fameux promoteur. Signe qu’instantanément, mon identité propre ne sert plus à grand-chose. Un anonymat qui, tout compte fait, m’a rapidement paru sacré, tant par la honte d’être assimilée au spectacle auquel j’assistais que par le nombre d’arrivistes caucasiens que j’ai malmenés ce soir-là.

A l’intérieur, jamais vu telle concentration de vagins au mètre carré. On se serait cru au salon de l’agriculture. Les Limousines parquées à droites, les Charolaises à gauche et les Normandes en contre-bas. Une playlist hasardeuse giguait de Gilbert Montagné à Axelle Red, et le bétail broutait des pâtes à emporter un peu partout dans la boîte. C’était surréaliste. 

On me conduit rapidement vers une table, me présente un type qui a l’air de s’emmerder à mort et me sert un verre. Ok. L’amie qui m’accompagne me briefe : « ce type, c’est Truc-Truc, le promoteur qui nous a invitées. Il faudra partir de cette table à minuit. On a alcool illimité toute la soirée mais pas ici. Son périmètre à lui, c’est là-bas ». Car oui, la boite est quadrillée et chaque promoteur dispose son troupeau en fonction de la qualité de la viande : les plus cheap au niveau du dancefloor, le reste se place crescendo. A ce moment, nous sommes dans le Saint des saints : la zone VIP ++. Pour y rester, c’est simple. Suffit de mesurer 1m 75 pieds nus et de ne pas être un tank. Caractéristiques dont nous ne disposons pas, nous les trolls des cavernes.

La musique s’interrompt brusquement lorsqu’un mec s’empare du micro et commence à beugler des trucs à propos d’une appli de rencontre. Une vraie foire aux bestiaux. Le mec scande : « Envie d’une soirée Netflix plan cul ? téléchargez cette appli mesdemoiselles ! Sortez votre téléphone et téléchargez-la !» comme s’il gagnait 867,50€ à chaque exhortation. Terrifiant.

Cette parenthèse de réclame sert de préambule à une chose encore plus terrifiante : un karaoké géant où chacune est invitée à chanter sur Jenifer, Shakira ou encore Claude François. Puisque comme chacun le sait, les filles adorent toutes chanter du Jenifer, du Shakira ou encore du Claude François. J’étais ravie.

A l’approche de minuit, les choses s’accélèrent. Les barmans remplissent nos verres après chaque gorgée. Leur reste plus beaucoup de temps avant que la boîte ne soit assez blindée de zouzes dociles pour les Homo Sapiens qui arrivent. 

Un peu plus tôt, on me refourguait des billets roses d’un usage inconnu. Naïvement, j’ai cru à des tickets conso d’une taille extraordinairement exagérée. Lol. Le ménestrel sponsorisé élucide finalement l’énigme : « Les filles ! On vous a promis une surprise, la voilà ! » et deux pauvres types surgissent de nulle part. Pendant une fraction de seconde, je pense être la victime d’un scénario d’enterrement de vie de jeune fille. L’Enfer. Mais il ne s’agit pas du tout là d’un striptease. Non, non. Il s’agit, en réalité, pour une poignée de meufs triées sur le volet - c’est-à-dire dépourvues de promoteurs - d’astiquer ces deux inconnus devant une foule en liesse qui leur balance la fausse-monnaie afin de gagner une bouteille de mousseux. Un cauchemar, vous dis-je. « Frotte-le, tu la veux ta bouteille ou pas ? » finit enfin de planter le décor.

Une vague humaine d’ados drapées de lycra me transporte vers ma table exacte. J’aperçois, en tournant la tête, les lambeaux de la condition féminine virevolter en cadence avec ces affreux billets roses. La soirée vient vraiment de commencer

Très vite, le promoteur hèle son troupeau pour qu’il se réunisse autour de sa bouteille, laquelle est méticuleusement positionnée entre deux autres tables de mecs en dèche. De mémoire d’alcoolique, je ne pense pas qu’on m’ait déjà servi des verres délibérément si chargés. Un mal pour un bien, peut-être, car le reste de la soirée a soudainement défilé

Après avoir été rappelée à l’ordre car bien trop absente de mon box, après avoir fait des blagues douteuses sur le fait d’avoir le sida, après avoir heurté un rugbyman dont le métier était vraiment d’être rugbyman et lui avoir tout de même demandé ce qu’il voulait faire comme métier plus tard, après avoir bu, après avoir ri, après avoir dansé, après avoir perdu ma copine, perdu sa copine et finalement l’avoir retrouvée sur le copain du copain d’un inconnu, après avoir été appelée Sandrine, après avoir frappé au visage celui qui m’avait appelée Sandrine, nous sommes finalement parties dans un second club.

A ce stade, ce qui s’est passé reste quelque peu brumeux, pour peu qu’il se soit passé quoi que ce soit. Nous sommes arrivées, nous sommes assises et avons continué à boire tout en débitant tout et n’importe quoi. J’avais atteint le niveau d’alcoolémie qui rend ultra sociable et provoque le besoin incoercible de rallier des gens à sa cause. Une bonne chose. En parlant avec tous ces gens agglutinés autour d’une bouteille de vodka, j'ai constaté que les initiés de longue date n’ont pas boudé leur plaisir de m’expliquer à quel point ces soirées sont merdiques, tout en soulignant le fait que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.

Ce qu’il y a d’admirable avec les promoteurs, c’est qu’on ne paie que le taxi, si l’on ne paie pas son cul. J’ai très vite vu ce qui scinde la masse laborieuse qui s’y affaire. Il y a ceux qui y vont par obligation professionnelle, ceux qui pensent trouver une échappatoire salvatrice dans les finances des autres, les pingres qui profitent du système, les feignant à qui le confort promis suffit et les curieux de passage, comme moi.

Au réveil, un sentiment mitigé m’entravait. J’avais apprécié cette mascarade machiste mais mes principes ne pouvaient que condamner ces pratiques. Les raisons pour lesquelles des gens que j’affectionne participent régulièrement à ce genre d'événements sont aujourd’hui moins obscures, ce qui ne les excuse pas pour autant. Tout est question de recul et d’articulation des codes, peut-être.  

Je suis venue, j’ai vu mais je suis loin d’avoir vaincu. Vous aurez été prévenus. 

Bisous.