Mémoires d'outre-tombe

undefined 26 juin 2015 undefined 00h00

La Rédac'

C’est aux abords d’une bouche d’égout que je fis la connaissance de Beber il y a quelques mois. Ce petit gars habillé comme s’il sortait de ta fosse septique était en train de car-jacker une bouche d’égout avec un pied de biche à 4h du mat’. Un peu curieux et taquin, je décidai d’aller me foutre un peu de sa gueule avant de rentrer me pieuter. Jamais je n’aurais salué ce con si j’avais su préalablement que je ne sortirais pas de sous terre avant 9h du matin. 

Beber fait partie de cette communauté que l’on appelle les cataphiles. Non, ce ne sont pas des gens qui enculent des catamarans, mais des gens qui vouent un culte sans fond aux catacombes de Paris. Je ne vous parle pas de cette parcelle ridicule que tu vas visiter à 12 ans avec ta grand-mère à Denfert-Rochereau, mais plutôt de presque 400 bornes de carrières strictement interdites au public. Ca servait à l’époque de Napoléon pour faire je ne sais plus trop quoi, et après aux nazis pour faire d’autres trucs. Enfin bref, un lieu chargé d’Histoire…

Beber s’en branle bien profond de l’Histoire, il défonce une plaque et me somme de vite le suivre ou de mourir ignorant. En bon journaliste d’investigation (pigiste au Bonbon Nuit), je suis le lapin gland dans sa fosse septique, bravant tous les dangers et une amende de 200 balles, certes, mais surtout un putain de vertige qui me fait encore mal aux balloches dès que j’y pense. On descend beaucoup. Plusieurs centaines de mètres. À l’échelle, sans corde de rappel… Bon, ça se fait par petits paliers, je vous l’avoue, mais je vous jure que ça fait un putain de choc. Une fois en bas, c’est beau. Ça fait un peu décor de cinéma, un mélange entre les bunkers de Lost et les métros de Subway de Luc Besson. C’est très officiel, ces carrières sont encore utilisées aujourd’hui, ça se sent, le mobilier est moderne. Pendant qu’on marche sur des passerelles qui surplombent le vide, Beber me fait un petit historique des cataphiles. Des mecs qui ont pas mal de connaissances dans tous les domaines techniques du bâtiment se font chier à étudier des plans toute la journée pour creuser de toutes petites chatières dans les murs en béton. Lui, c’est un suiveur, il n’est pas aussi doué ni haut placé, mais il suit les bons plans sur Internet. Il connaît chaque recoin par cœur. Sans lui, je serais mort à l’heure actuelle.

Il est facile de se perdre dans ce labyrinthe de couloirs et de petites chatières qui parfois ne mènent à rien. C’est même un peu angoissant, heureusement que j’avais mon quart de Lexomil. Beber passe pas mal de temps en bas. Il me dit qu’il y va au moins trois fois par semaine. Parfois même seul, comme ce soir. Il y va lire, et puis dormir. Il y a un hamac là-bas, il va se poser une petite dizaine d’heures pour bouquiner Les Fleurs du Mal, puis remonte à la surface, faire face à sa vie de merde. Mais de ça, il ne veut pas en parler. Beber, c’est Beber, et même si son nom est certainement Bertrand, ou Bernard, ici, c’est Beber, un point c’est tout. Tout le monde a son petit surnom ici. On croise Scroutch, Joko, Fine lame, et Johnny, allongé sur un petit banc avec une cagoule. Apparemment il pionce. Notre guide m’explique qu’il dort avec une cagoule pour faire peur aux gens qui auraient envie de le dépouiller. C’est vrai qu’avec une cagoule, on ne peut pas faire la différence entre Booba et Elie Semoun… 

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Notre soirée ne ressemblait en rien à ce qu’on peut lire sur les catas sur Internet. Même si on a croisé deux ou trois punks à chien, il n’y avait aucune fête à la Matrix, ni aucun gang de graffeurs. Je ne sais pas si la grande époque est révolue, ou si on est tombé sur le mauvais soir. Selon Beber, les soirées et la culture underground continuent à faire leur bout de chemin. Mais pas ce soir… Ce qui n’est pas plus mal. Ce n’est pas que je n’aime pas les punks à chien, c’est que, souvent, je n’ai rien à leur dire. Et puis je ne peux pas saquer les clébards. N’ayant rien d’autre à faire ce soir, mon ami allume sa cata-torche et m’emmène boire des cata-bières dans un ancien bunker de cata-nazis. On n’y distingue plus grand-chose à part peut-être des restes de latrines. Ça me fait une drôle de sensation de pisser au même endroit où chiaient ces cocksuckers. Mais comme d’habitude, c’est aux chiottes que tu te rends compte que tu es complètement bourré. C’est vrai qu’on s’était enfilés pas mal de cata-kro.

Difficile alors d’encaisser le programme de Beber : ce couillon décide de faire un gros tour avant de rentrer. Plus de cinq bornes de couloirs pour pouvoir enfin pioncer tranquille. On croise pas mal de flotte, parfois ça monte jusqu’aux couilles, je n’avais rien prévu pour… Lui se marre devant à chaque fois que je couine comme une fiotte quand je crois toucher un rat. Mais encore une fois, pas le choix faut y aller, sans le mec je suis cuit. Personne ne me retrouvera avant plusieurs semaines. On s’arrête quelques minutes pour fumer un pétard sur des ossements humains. Le mec me dit que ce sont des cadavres de malades de la peste, enfoncés bien profond sous terre à l’époque pour ne pas que se propage la maladie. C’est du moins ce que me dit l’animal, qui n’est pas Christian Jacques non plus, le gars n’est pas une source historique super fiable. Dernière étape du bizutage : on passe par une chatière de plusieurs mètres dans laquelle Cauet n’aurait pas eu sa chance. C’est super angoissant, on a à peine la place de respirer, je reprends un demi-Lexomil. La traversée dure une bonne demi-heure (cinq minutes en réalité). On sort de là par miracle de la nature et on atterrit directement sur des voies désaffectées. Le soleil est déjà debout depuis bien longtemps. On est pleins de boue, on pue la mort. Ce petit tour dans le Scion de Matrix, le Paris underground et contre-culturel, anti-social, fut une belle et épique alternative à notre société de merde. Je propose à Beber un McMorning pour le remercier.

  Raphaël Breuil